Fil d'Ariane
On se souvient du Nobel de la Paix 2014, attribué à la Pakistanaise Malala Yousafzai, à son combat pour défendre le droit des filles à l’éducation, la tentative d’assassinat dont elle avait été victime de la part des talibans. Il s’agissait là du plus jeune Prix Nobel de l’histoire, puisque Malala n’avait que 17 ans au moment de sa proclamation.
> A relire sur Terriennes : Malala : icône hyper-médiatisée de la paix
A la veille de l'annonce du choix 2015, le nom d'Angela Merkel avait circulé avec insistance sur les réseaux sociaux, résultat de son attitude vis-à-vis de la détresse des réfugiés, en particulier syriens, aux portes de Paris. "Mama Merkel" pour tous ! Quelques autres femmes Nobel de la Paix sont restées dans les esprits, telles l’Albanaise Sœur Emmanuelle (1979) pour son action auprès des pauvres de Calcutta, et la Birmane Aung San Suu Kyi (1991).
> Relire notre article sur l'incroyable destin de la dame de Rangoon Aung San Suu Kyi
Il n’en demeure pas moins que, sur une centaine de nominations au Nobel de la Paix, le comité norvégien en charge de leur attribution n’a trouvé bon, au fil du temps, que de distinguer quelque 15% de femmes remarquables.
La lauréate de la Paix 1997, Jody Williams, militante dans la lutte contre les mines antipersonnel et très investie contre la guerre au Vietnam, s’en était d’ailleurs étonnée dans son discours.
Un taux nettement supérieur toutefois à celui de l’ensemble des Nobel, toutes disciplines confondues, comme le détaille un article publié sur Wikipédia.
Le processus n’est heureusement pas inéluctable et un « rattrapage » est intervenu ces dernières années puisque 9 femmes ont reçu un Nobel de la Paix depuis 1991.
Dans un ouvrage d’entretiens consacré en 2014 à cette présence si réduite des « Nobelles », Esmeralda de Belgique, princesse royale et journaliste, indique que « comble d’ironie, ce sont deux femmes, semble-t-il, qui furent à l’origine de la décision du chimiste et industriel suédois Alfred Nobel de créer cette distinction ». Il s’agirait de Florence Nightingale, une infirmière anglaise qui oeuvrait pour soigner les blessés de la guerre de Crimée. Et surtout de son amie d’origine austro-hongroise Bertha von Kinsky, devenue Baronne von Suttner , auteure et militante antiraciste, anticolonialiste et féministe, qu’Alfred Nobel rencontra à Paris où il vécut pendant plusieurs années.
Bertha fut d’ailleurs la première femme « Prix Nobel », suivie, mais seulement 15 ans plus tard, en 1931, par la sociologue Jane Addams, une des pionnières, aux Etats-Unis, du mouvement des femmes et du combat pour l’obtention du suffrage universel ainsi que de la lutte pour l’interdiction du travail des enfants dans l’industrie. Elle créa par ailleurs à Chicago un centre d’accueil pour les migrants.
> Lire le portrait : "Les femmes et la 1ère guerre mondiale : Bertha von Suttner, alter ego autrichienne de Jean Jaurès"
Au palmarès des femmes Nobel de la Paix, on retrouve aussi, en 1976, deux Irlandaises, Mairead Corrigan et Betty Williams, en première ligne dans le dialogue et le retour à la paix à Belfast grâce à la mobilisation des femmes protestantes et catholiques.
La diplomate suédoise Alva Myrdal (1982) s’était, quant à elle, distinguée au sein des Nations Unies pour avoir milité pour le désarmement.
La faible présence des femmes n’est pas le seul sujet de polémique que suscite le mode d’attribution du Prix Nobel.
On se souviendra des réactions déclenchées en 1973 par l’attribution du Prix à Henry Kissinger et du refus du lauréat cambodgien Le Duc Tho de se voir attribuer le Nobel en tandem avec lui.
Polémique d’une autre nature, plus loin dans le temps, en 1935 : le journaliste pacifiste et anti-fasciste allemand Carl von Ossietzky se vit « empêché » d’aller chercher son Prix (il était d’ailleurs en prison), Hitler profitant de l’occasion pour interdire à tout Allemand d’accepter à l’avenir cette Haute Distinction !
Mais la polémique peut aussi croiser le « genre » : c’est ainsi que l’économiste radicale socialiste et syndicaliste, originaire de Boston, Emily Greene Balch, Nobel de la Paix 1946, ne reçut jamais les félicitations des Autorités américaines pour l’honneur qui lui était rendu.
C’est elle qui est à l’origine de la Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté. Elle s’était aussi distinguée pour les critiques émises à l’égard des puissances occidentales et de leur échec à contrer les avancées d’Hitler et de Mussolini.
Les déséquilibres géographiques ont également longtemps marqué le Nobel, dont l’académie a distingué des ressortissants originaires à 80% de pays développés jusqu’en 2003.
Un écart compensé, depuis, par la proclamation de personnalités du Sud dont plusieurs femmes, comme la Kényane Wangari Muta Maathai, en 2004, pour son action en faveur du développement durable. C’est elle qui avait créé le « Mouvement de la ceinture verte », principal projet de plantation d'arbres en Afrique, et avait ainsi promu à la fois la biodiversité et la création d’emplois pour les femmes.
L’avait précédée, un an plus tôt, une Iranienne, l’avocate Shirin Ebadi, qui malgré plusieurs emprisonnements, continua à se battre contre les violations des droits humains dans son pays. C’est elle qui, en 2006, en tandem avec Jody Williams, créa la « Nobel Women’s Initiative ».
> Relire notre portrait sur la Nobel iranienne Shirin Ebadi : « Le feu sous la cendre »
En 2011, on retrouve trois Africaines en haut de l’affiche : les Libériennes Ellen Johnson Sirleaf, première femme cheffe d’Etat en Afrique et grande organisatrice de la présence des femmes aux premières élections démocratiques dans son pays et Leymah Gbowee, à l’origine du mouvement des femmes contre la guerre civile et de la signature d’un Accord de Paix en 2003, avec Tawakkol Karman, héroïne du Printemps arabe au Yémen.
Esmeralda de Belgique est donc allée à la rencontre de 10 femmes Nobel de la Paix, « fortes et déterminées ». Elle s’interroge opportunément sur l’impact de la distinction pour qu’aboutissent les « causes défendues » par ses lauréates. Et fustige au passage quelques esprits chagrins, dont deux journalistes britanniques, qui estimaient, dans les années 1970, négligeable le rôle des lauréates irlandaises dans la fin de la guerre civile. L’auteure ne tait pas les critiques émises, selon elle avec justesse, ici et là à l’égard de certaines lauréates. Elle évoque aussi les actions militantes déclenchées dans le prolongement de l’attribution du Prix, dont celle de Rigoberta Menchu, primée en 1992, et qui consacra le montant de son Nobel au financement d’une Fondation axée sur l’éducation, le respect des droits des peuples autochtones, la promotion du micro-crédit au Guatemala. Pour l’anecdote, la guatémaltèque reçut un soutien financier du célèbre chanteur Pavarotti et bénéficia de ses prestations pour plusieurs concerts de solidarité et de collecte de fonds.
Le Nobel Museum de Stockholm constitue une autre manière de parcourir le palmarès des Nobel féminins, toutes disciplines confondues cette fois.
Leurs histoires, leurs témoignages figurent dans plusieurs sections du musée. Et notamment dans l’exposition temporaire « Legacy » (héritage) visible jusqu’au 15 novembre 2015, où 14 Nobel, hommes et femmes, ont été interviewé(e)s sur ce qui a inspiré leur parcours professionnel, sur leur rôle dans leurs communautés scientifiques ou de pensée, sur les valeurs auxquelles ils/elles sont attaché(e)s.
Au fil de la visite, on trouvera aussi la trace de Marie Curie qui fut la première femme à décrocher un Nobel (Nobel de Physique en 1903 puis Nobel de Chimie en 1911).