Le procès a sans doute fait plus de bruit au Nord qu'au Sud de la Méditerranée. Amina Sboui, plus connue sous le pseudonyme d'Amina Tyler, a été condamnée à 300 dinars (150 euros environ) à l'issue son procès à Kairouan (centre du pays), pour port prohibé d'une bombe lacrymogène, une accusation fondée sur un texte datant du 19ème siècle. Le juge d'instruction en charge du dossier a indiqué que la jeune femme de 18 ans sera interrogée le 5 juin dans le cadre de nouvelles poursuites pour atteinte aux bonnes moeurs et profanation de cimetière, délits passibles de six mois et deux ans de détention. Il a laissé la porte ouverte à des peines plus lourdes en invoquant la section "association de malfaiteurs" du code pénal, laissant entendre qu'Amina avait pu agir en bande organisée. Les peines peuvent alors atteindre de six à 12 ans de prison. Amina Tyler s'était rendue le 19 mai à Kairouan pour protester contre un rassemblement, interdit, du groupe salafiste jihadiste Ansar Asharia. Elle avait été arrêtée après avoir peint sur un muret près d'un cimetière "Femen" puis placée en détention pour le port prohibé d'une bombe lacrymogène. Un soutien extérieur La jeune femme avait déjà fait scandale en mars en publiant sur internet des photos d'elle sein nus à la manière de Femen, entraînant des menaces d'islamistes à son encontre
et une vague internationale de soutien à son cas. Sa mère, qu'Amina accuse de l'avoir séquestrée en avril, avait alors exhibé le dossier médical de la jeune fille, dans lequel différents psychiatres la décrivent comme dépressive. La militante Femen n'avait pas démenti sa maladie, tout en insistant sur le caractère réfléchi de son action. "C'est un procès politique", a-t-elle déclaré en sortant du tribunal de Kairouan. Son père Mounir Sboui est venu lui exprimer son soutien : "Je suis fier de ma fille (...) Elle commet des actes démesurés mais elle défend ses idées", a-t-il dit. En Tunisie, les voix ont été peu nombreuses à prendre parti pour Amina ou à s'associer aux Femen. C'est seulement le 21 mai dernier que la plus importante des organisations a faite entendre sa voix. Ce jour-là, la présidente de l'
Association Tunisienne des Femmes Démocrates, Ahlem Belhaj, a en effet déclaré, un peu contrainte, que "l'association prendra la défense d'Amina Tyler du mouvement Femen, s’il s’avère que ses droits ont été bafoués".
Seule Henda Hendoud, journaliste et militante féministe tunisienne semble s'être clairement engagée : "Il n'y a pas d'exception aux droits de l'Homme, Amina est une activiste, une femme qui essaye de se défendre, ce serait une honte de la laisser tomber aujourd'hui", a-t-elle lancé dans son blog, où elle retrace ses hésitations à la soutenir.
Les Femen font polémique parmi les féministes occidentales. Nulle surprise donc qu'en Tunisie, pays qui s'est longtemps présenté comme un modèle d'égalité hommes/femmes au coeur du Maghreb, les organisations de défense des droits humains pensent que le combat pour la sauvegarde des acquis pour les femmes passent par d'autres méthodes, comme l'éducation ou la culture, que le "sextrémisme" provoquant des Femen. Pourtant, la Tunisie est aujourd'hui le seul pays arabe où le mouvement a recruté. Nous avions rencontré Meriam, l'une de ses membres, à Paris, en mars 2013. Elle expliquait son adhésion principalement par un ras le bol absolu du harcèlement de rue dont elle se disait victime en permanence en Tunisie. Des méthodes contre productives ?
Dans un éditorial ironique sur l'action des Femen, le quotidien tunisien francophone Le Temps pointe les failles de tels moyens pour faire bouger les choses : "Que voulaient ces manifestantes venues spécialement d’Europe ? Soutenir Amina, ont –elles affirmé. Cependant leur action ne constitue-t-elle pas une diversion des problèmes essentiels qui préoccupent actuellement le citoyen ? Ce n’est pas par la nudité, en effet qu’on parvient à éradiquer la violence et à préserver les droits et les libertés publiques. Ce n’est pas par l’atteinte à la morale et aux bonnes mœurs qu’on arrive à résorber le chômage et à assurer la paix et la sécurité des citoyens. La liberté consiste à respecter, aussi bien les convictions religieuses que la tenue vestimentaire de chacun, sans empiétements, ni dépassements en vue d’une coexistence pacifique entre tous les citoyens égaux dans les droits et les devoirs." Lors de la visite privée à Paris du président tunisien Moncef Marzouki en avril 2013, les Femen avaient tenté de perturber sa réception à l'Institut du monde arabe. Un geste très mal vu de l'autre côté de la Méditerranée. L'opposition et les associations féministes tunisiennes accusent régulièrement Ennahda majoritaire et au pouvoir, de remettre en cause les acquis des Tunisiennes. Le parti islamiste avait fait scandale en 2012 en proposant que la loi fondamentale évoque la "complémentarité" des sexes, un projet abandonné depuis. Et aujourd'hui, cette formation est largement débordé par les salafistes du mouvement intégriste Ansar Asharia. Le dernier brouillon du projet de Constitution, daté d'avril, stipule que "tous les citoyens et citoyennes ont les mêmes droits et devoirs", que l'Etat protège "les droits de la femme et soutient ses acquis", et "garantit l'égalité des chances entre la femme et l'homme".