Fil d'Ariane
Il y a près de six ans, Véronique est réveillée en pleine nuit par les sonneries de son téléphone. Un message la prévient que Claire, sa fille unique, a été blessée au Bataclan. Fauchée à 23 ans le 13 novembre 2015, la jeune femme n'a été identifiée que quatre jours plus tard.
"Son petit ami est arrivé vers 5h00 et m'a dit qu'elle était touchée à la cuisse et qu'il n'avait pas pu l'extraire car il y avait trop de corps par terre (...) qu'il l'avait laissée près de la porte pour que les services de secours la trouvent tout de suite", relate cette assistante de direction de 61 ans, qui ne souhaite pas donner son patronyme. "On l'a cherchée partout. On a téléphoné 10 000 fois, on nous a dit qu'on nous rappelait 50 000 fois", confie Véronique, les yeux rougis derrière ses lunettes. Elle était alors "persuadée que Claire était à l'hôpital quelque part et qu'on allait la retrouver".
Au téléphone, elle ne cesse alors de "décrire (sa) fille physiquement, tous les détails, y compris ses vêtements, comment elle était coiffée", sa taille, son poids, où elle se trouvait dans la salle du Bataclan. Avec l'une de ses soeurs, Véronique fait la tournée des hôpitaux, même ceux de province car elles avaient appris "que des victimes étaient parties jusqu'à Rouen".
A l'Ecole militaire, où les autorités ont mis en place un accueil pour les familles, elle "(s')écroule" après trois jours de vaines recherches quand "un officiel" répond par la négative à sa question: "Est-ce qu'il y a encore des gens dans le coma qui n'ont pas été identifiés ?"
Ce n'est que "le mardi soir", le 17 novembre 2015, que Véronique apprend officiellement le décès de Claire.
Pendant tout ce temps, sa fille était à l'Institut médico-légal (IML), arrivée "comme X pouvant être mademoiselle machin", un "problème d'identification" peut-être lié à la carte de transport d'une autre jeune femme retrouvée dans ses affaires. A l'IML, on lui accordera "sept minutes" pour reconnaître le corps.
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Véronique a pris des congés sans solde jusqu'à la fin de l'année pour être "sûre" d'assister au moins aux premiers mois du procès des attentats du 13 novembre, "déterminée" à y témoigner. "Il y a quelque chose de vital à se saisir de ce moment unique" pour parler de Claire, "une battante" qui vivait sa passion du rock "à fond", de son double cursus en commerce et philosophie et du premier CDD qu'elle venait juste de décrocher.
A la barre, Véronique veut aussi évoquer "cette attente monstrueuse", les "appels infructueux" et les fausses "promesses" qu'on allait la "tenir informée en une heure", mais aussi son "énorme quête" pour "connaître les circonstances exactes" du décès de sa fille.
Alors que le #procès des #attentats #13novembre2015 s'ouvre l'occasion de lire ou relire notre #bd #1311 publiée en 2016. Retrace le périple du commando #stadedefrance #terrasses #Bataclan, le contexte pol & géopo de l'époque, explore les zones d'ombre,les ratés & quelques pistes pic.twitter.com/4tTJrwicNl
— Anne Giudicelli (@Terrorisc) September 7, 2021
A-t-elle souffert et "à quelle heure son coeur s'est arrêté ?" Insatisfaite du premier rapport d'examen médico-balistique de sa fille, Véronique a demandé que soit ordonné un rapport complémentaire... qui ne lui donnera pas plus de réponses.
Elle a aussi sollicité le directeur de l'IML et les secrétaires d'Etat chargés de l'aide aux victimes successifs, détaillant son parcours et s'élevant contre les "manquements" dans la prise en charge. "Depuis, ils ont travaillé", notamment "sur l'annonce du décès aux familles", reconnaît Véronique. Mais il lui est toujours "impossible d'accepter que la France, en plein Paris, ait été dans une pagaille aussi totale sous prétexte qu'on n'avait pas connu ça depuis la Seconde guerre mondiale".
Le procès, qui s'ouvre le 8 septembre, Véronique ne le "(voit) pas trop comme une étape, mais comme un but", sans trop d'appréhension. "Je me prépare à être déçue, pas déçue de la justice, car je n'attends rien sur les peines, mais déçue parce que mes attentes ne correspondent pas à ce procès".
De son côté, Suzie, qui se trouvait dans la fosse du Bataclan, n'a accepté que récemment de parler à la presse. "Avant, je trouvais ça bizarre comme démarche de vouloir en parler, que ce truc très intime soit partagé", explique la jeune femme qui avait 18 ans à l'époque. "Mais ce qui s'est passé pendant le premier confinement" a réveillé chez elle le traumatisme avec un sentiment d'oppression et de ne plus être en sécurité, même chez soi. "Ça a été une claque".
"J'ai également très, très peur d'oublier", poursuit la jeune femme en évoquant le besoin que son témoignage "existe parmi les témoignages", que sa "parole existe parmi les paroles".
La jeune femme participe au programme "13-Novembre". Né dans l'urgence, ce travail scientifique tentaculaire s'intéresse à la construction et l'évolution de la mémoire des attentats ("étude 1000") et à l'impact des chocs traumatiques sur la mémoire (étude "Remember") sur une période de dix ans. Entre la première phase de 2016 et la seconde de 2018 - la troisième est prévue cette année, la dernière en 2026.
En ce moment, #témoignage très fort d’Aurélie dt le compagnon est mort au #Bataclan alors qu’elle était #enceinte de 5 mois et que son fils aîné n’avait que 3 ans. @agathelecaron recueillera ts les jrs des histoires fortes sur le nveau plateau de @lmdmF2 ! @jcaza @aurelietaguet pic.twitter.com/RnLs0mFAdn
— Fabienne BAROLLIER (@Fabarol) September 7, 2021
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