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Addiction sexuelle, faille narcissique, pratique sadomasochiste... Comment expliquer le mécanisme du passage à l'acte chez les accusés poursuivis pour des viols commis sur Gisèle Pélicot ? Une experte psychologue, qui a examiné plusieurs cas, dresse leur profil psychologique.
Croquis de Valentin Pasquier montrant Gisèle Pelicot et son ex-mari Dominique Pelicot lors du procès, à Avignon, le 17 septembre 2024.
Plusieurs des hommes accusés de viols ou agressions sexuelles sur Gisèle Pelicot ont développé un mécanisme de défense face à leurs failles narcissiques, qui leur a permis un "passage à l'acte", explique Annabelle Montagne, psychologue, au procès des viols de Mazan.
Parmi eux figure Joan K., le plus jeune des 50 co-accusés, aujourd'hui âgé de 26 ans et toujours détenu, soupçonné de s'être rendu à deux reprises chez le couple Pelicot. C'est par cet homme qu'elle a commencé la lecture de ses rapports d'expertise psychologique. Né en Guyane, il a rejoint son frère à Avignon à 16 ans avant de s'engager dans l'armée, dont il a été radié au moment de son incarcération dans le cadre de cette affaire en 2021.
En couple avec une femme rencontrée sur internet, leur relation sera marquée par de "nombreuses confrontations" en raison de "gros caractères" et de "relations extraconjugales des deux côtés". Au moment de leur séparation, la compagne de Joan K. est enceinte. Une nuit, il se rend chez le couple Pelicot pour agresser sexuellement Gisèle Pélicot en novembre 2019, au lieu d'assister à la naissance de sa propre fille.
Sa capacité à se penser lui-même n'est pas très élaborée. Annabelle Montagne
Consommateur chronique d'alcool et de cannabis, dépressif, impulsif et solitaire, il a eu besoin au cours de sa vie du soutien de ses compagnes et de l'armée pour faire face à des "angoisses potentiellement envahissantes", précise la psychologue. "Et de celui de Dominique Pelicot ?", le mari de Gisèle, qui faisait venir des hommes recrutés sur internet, lui demande le président de la cour, Roger Arata. "Sa capacité à se penser lui-même n'est pas très élaborée", répond l'experte.
Lors de son interrogatoire, Joan K. estime qu'il y a eu "de la manipulation, quelque part", de la part de Dominique Pelicot. "Il m'a beaucoup rassuré, il m'a dit T'inquiète pas, ça fait longtemps qu'on fait comme ça", expliqué-t-il. "Je n'allais pas pour violer une dame", a-t-il ajouté, en reconnaissant qu'il ne maîtrisait pas à l'époque la notion de consentement. Comme pour chacun des accusés, Dominique Pelicot a assuré au contraire lui avoir expliqué, comme aux autres, qu'il cherchait quelqu'un "pour abuser de sa femme, droguée par (ses) soins".
Fabien S., 39 ans, deuxième cas examiné, a, lui aussi, un caractère impulsif. Réfractaire à l'autorité, adepte des pratiques sado-masochistes, il a "besoin d'immédiateté", selon Annabelle Montagne. Quant à Husamettin D., 43 ans, il a une personnalité qui "s'oriente autour d'une faille narcissique, due à une enfance marquée par la misère socio-économique et un rejet de son père". Il a développé une "addiction" à la sexualité qui constitue une manière de "lutter contre un vide interne et un risque d'effondrement narcissique".
A des degrés divers, c'est un même mécanisme qui permet de passer à l'acte. Annabelle Montagne
Ont-ils pour point commun d'avoir construit un "clivage" entre vie publique et vie sexuelle, un "mécanisme de défense" qui leur "permet d'exister ?", lui demande Béatrice Zavarro, l'avocate de Dominique Pelicot, qui présentait lui-même cette double face. "Oui, à des degrés divers, c'est un même mécanisme qui permet de passer à l'acte", répond Annabelle Montagne, en soulignant toutefois la nécessité "d'individualiser" les comportements.
Hugues M., 39 ans, a expliqué s'être rendu chez le couple quelques heures à peine après avoir échangé sur internet avec Dominique Pelicot. "Cela devait être juste un trio, avec la particularité que madame dormirait et qu'elle se réveillerait au moment de l'acte", a assuré cet homme aguerri aux pratiques de l'échangisme. Il reconnaît avoir trouvé Gisèle Pelicot couchée sur le côté et tenté en vain de la pénétrer, faute d'érection. "Lorsque M. Pelicot vient me remplacer et qu'il pénètre son épouse, et qu'elle ne se réveille toujours pas, je me dis qu'il y a un problème et je m'en vais rapidement", a-t-il poursuivi, niant farouchement la tentative de viol dont il est accusé.
Dominique Pelicot, accusé principal des viols de Mazan, a détaillé un mode opératoire "basé sur le contrôle et la domination", selon Joanna Smith, psychologue spécialisée en victimologie et criminologie. S'il a reconnu avoir drogué, violé et fait violer son ex-épouse par des dizaines d'inconnus recrutés sur internet pendant dix ans, il tient aussi à ne pas apparaître comme le seul coupable, souligne l'enseignante à l'université Paris-Descartes et autrice de Protéger son enfant des violences sexuelles.
Les agresseurs sexuels ont trois types de motivations, qui peuvent se cumuler : contrôle-domination de la victime, violence-hostilité et une motivation sexuelle, l'excitation liée au fait de forcer la victime. Joanna Smith
Comment tenter d'expliquer ses motivations ? "Les agresseurs sexuels ont trois types de motivations, qui peuvent se cumuler : contrôle-domination de la victime, violence-hostilité et une motivation sexuelle, l'excitation liée au fait de forcer la victime", répond-elle lors de son audition au tribunal d'Avignon. "Le fait de l'immobiliser, de la rendre inconsciente, de lui imposer des faits à son insu, qui plus est en passant par d'autres hommes, est un mode opératoire basé sur le contrôle et la domination. L'archivage des images avec tous les détails est aussi souvent un signe de plaisir lié au contrôle".
Concernant les 50 co-accusés, elle estiment certains de leurs propos "laissant entendre que la femme appartient à son mari et que son consentement à lui suffit vont dans le sens de cette domination de l'homme, de l'agresseur, sur sa femme, la victime".
Le procès entre dans sa cinquième semaine. Pas moins de 90 médias, dont une trentaine sont étrangers, sont accrédités pour assister au procès de Dominique Pelicot et des cinquante autres hommes accusés. Après une première salve de manifestations en soutien à Gisèle Pelicot, des associations féministes ont appelé à une nouvelle mobilisation le 19 octobre 2024 pour les victimes de violences sexuelles et réclamé des "actes forts" au nouveau gouvernement.
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