Tout a commencé par un article publié dans le New York Times, trois jours avant le sacre de Serena Williams, le 13 juillet, au tournoi de Wimbledon au Royaume-Uni. Troisième victoire de la championne olympique sur quatre Grand Chelem disputés dans la même année. Mais cet article ne s’intéresse pas aux exploits sportifs de la joueuse, loués par ailleurs dans les médias.
Il consiste à comprendre comment les meilleures joueuses mondiales de tennis parviennent à trouver "l'équilibre" entre l’image qu'elles véhiculent de leur corps et leur ambition sportive. Sous-entendu : une sportive qui adopte un physique très musclé perdrait-elle en "féminité" ?
Le journaliste du New York Times donne Serena Williams en exemple : « Williams a de grand biceps et une musculature qui sort du moule, alliant la puissance et l’athlétisme, qui ont dominé le tennis féminin depuis des années. Ses rivales pourraient essayer d’imiter son physique mais la plupart ne le font pas ». Pourquoi donc les autres joueuses n'essayent pas de rivaliser avec "cette puissance et cet athlétisme" qui participent apparemment tant à la réussite de l’Américaine ?
Les autres sportives du circuit interrogées avancent quelques raisons : elles considèrent qu'elles manqueraient de féminité et craignent une mauvaise considération des autres dans le sérail, des médias, du public, …
Le physique de Serena Williams sortirait donc d'une certaine norme établie ?
Après cet article, c’est la réflexion d’un internaute qui enflamme la toile. Ce dernier commente un tweet de l’auteur d’Harry Potter : J.K.Rowling, grande fan de l'Américaine :
#SerenaSlam! I love her. What an athlete, what a role model, what a woman!
— J.K. Rowling (@jk_rowling) 11 Juillet 2015
"Je l'adore. Quelle athlète, quel modèle, quelle femme."
Parmi les nombreux commentaires à ce tweet, certains internautes comparent Serena Williams... à un homme jusqu’à ce "@diegtristan8" qui attire l’attention de J.K Rowling en écrivant : « C’est assez ironique que la principale raison de son succès c’est qu’elle est faite comme un homme ».
L’écrivaine britannique lui répond par une photo de la joueuse en robe ajustée accompagnée d’une phrase saupoudrée de sarcasme qui va faire le tour d’Internet : « Oui, mon mari ressemble exactement à ça en robe. Vous êtes juste un idiot. »
.@diegtristan8 "she is built like a man". Yeah, my husband looks just like this in a dress. You're an idiot. pic.twitter.com/BCvT10MYkI
— J.K. Rowling (@jk_rowling) 11 Juillet 2015
Sa réponse entraîne une levée de boucliers de certains internautes qui défendent le physique de l’Américaine, s’insurgeant contre les propos sexistes des autres.
Ce que laissent transparaître l’article du New York Times comme les propos sexistes qui fusent ici et là, c’est la nécessaire évaluation du physique musclé d’une joueuse comme Serena Williams à l’aune de critères féminins souvent dictés par les médias eux-mêmes, la mode, le marketing... Le corps d’une femme devrait répondre à des clichés souvent fixés sur papier glacé. En tant que personnages publiques ces joueuses y sont aussi confrontées.
Sorties de la norme établie, les critiques tombent. On voit tout de même rarement cela pour des sportifs jugés sur leur "masculinité". Mais dans le sport féminin, on renvoie (trop) souvent les femmes à leur "féminité".
Des "tests de féminité"
Lors de la dernière Coupe du monde de foot féminin au Canada, la Fifa a fait une annonce édifiante : procéder à des « tests de féminité » afin « d’étudier toute déviance dans les caractéristiques sexuelles » des joueuses.
Il s’agit en fait de mesurer le taux de testostérone des participantes. Cette décision a fait réagir jusqu’en France : « Chercher le taux de testostérone, ça me gêne énormément », a réagi Frédérique Jossinet, en charge du foot féminin au sein de la Fédération française. « D’un sportif qui court très vite, on va dire: "Qu’est-ce qu’il est beau, qu’il est fort". Une sportive qui fait ça, on va dire: "Elle est un peu trop masculine". »
Si ce type de tests qui ne ciblent que les femmes, ont pu choquer en ce début d'année, la procédure n’est pas nouvelle dans le sport. Ces tests sont apparus en 1966 dans l’athlétisme au championnat d’Europe de Bucarest. La Fifa qui procède depuis 2011 à des tests hormonaux a établi « arbitrairement le taux de testostérone qu’une joueuse de foot devrait avoir pour ‘être une femme’ », explique Anaïs Bohuon au magazine spécialisé français So Foot. Elle est l’auteur du livre Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?
Un fort taux de testostérone suggère qu'une femme se rapprocherait des capacités physiques d'un homme et créerait un déséquilibre dans la compétition...
Mais Anaïs Bohuon souligne auprès de So Foot qu’« aucune étude scientifique n'atteste que la testostérone est la molécule maîtresse de la réussite d'un athlète ou d'une athlète. »
Quelle est donc la crainte de la fédération pour réaliser un tel test ? Se retrouver avec des joueuses perçues comme des hommes sur le terrain ? Car il est arrivé que des sportives soient considérées entre deux sexes au niveau chromosomique.
Mais parfois, il s'agit simplement d'apparences... Lors de la dernière Coupe du monde de foot féminine, c’est ainsi qu’était considérée la joueuse coréenne Park Eun-Seon qui ne correspondait pas aux critères occidentaux de la féminité.
Pourquoi on régulerait un avantage physique plutôt qu'un autre ?
La spécialiste Anaïs Bohuon pose une question intéressante dans cette interview. Pourquoi les instances sportives traquent-elles autant les différences biologiques, morphologiques, hormonales des femmes ? « Pourquoi on régulerait un avantage physique plutôt qu'un autre ? C'est aussi insensé que de limiter la taille d'un basketteur. »
Par ailleurs, une absence de poitrine, une musculature très saillante, une voix plus grave, une plus grande pilosité peuvent aussi être les signes d'un dopage aux stéroïdes qui accroît les capacités physiques. La sprinteuse américaine Marion Jones a ainsi du rendre ses médailles olympiques des Jeux de Sydney pour s’être ainsi dopée.
Sans tomber dans le dopage, toutes ces considérations sur le physique des sportives interrogent nos stéréotypes, nos représentations de la femme sportive, et met aussi en question la définition du genre en général.
Certaines sportives troublent les lignes. Le 1er septembre 1977, l’Américaine Renée Richards (43 ans) affronte Virginie Wade pour son premier match de Grand Chelem à l’US open. Deux ans auparavant, la joueuse Renée Richards était encore..un homme. Après avoir changé de sexe en 1975, elle est parvenue à entrer dans la compétition féminine au prix d’un procès avec la fédération américaine de tennis. Jeu, set et match.