Dans un premier temps, la Cour supérieure du Québec a autorisé leur recours, mais le 8 janvier 2020, la Cour d’appel a renversé cette décision, jugeant qu’un recours collectif n’était pas le « véhicule procédural approprié » pour porter plainte contre le fondateur de Juste pour rire.
Les Courageuses portent l'affaire contre Gilbert Rozon devant la Cour suprême du Canada. https://t.co/wEKwrrLkEC pic.twitter.com/w9F94SYOeg
— Droit-inc.com (@Droitinccom) January 9, 2020

Gilbert Rozon, 65 ans, avait été inculpé en décembre 2018 pour des faits qui se seraient produits en 1980 impliquant une victime, dont l'identité n'a pas été révélée. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP, parquet) du Québec n'avait pas déposé d'accusations pour treize autres dossiers de victimes.
La victime présumée était âgée de 20 ans et travaillait dans une station de radio au moment des faits reprochés.
(Re)lire notre article Terriennes:
>#MeToo au Québec : dans l'affaire Rozon, une seule accusation de viol retenue sur 14 plaintes
L'avocate Sophie Gagnon explique les raisons qui ont motivé la décision de la Cour d'appel de rejeter la demande des Courageuses.
— Le 15-18 (@le1518) January 9, 2020
Elle précise que cela ne signifie pas que Gilbert Rozon est blanchi des allégations qui pèsent contre lui https://t.co/vD5SFdU8GH
Crimes sexuels : un système de justice inadapté
Patricia Tulasne relève une certaine incohérence dans le système de justice : les plaintes individuelles que les « Courageuses » ont déposées au criminel ont été rejetées parce qu’on les a accusées d’avoir contaminé leurs témoignages en se parlant entre elles, parce qu’il y avait des similarités dans leurs cas, et aussi parce qu’il n’y avait pas de preuve tangible hors de tout doute raisonnable pour faire condamner Gilbert Rozon. Et dans le cas de leur recours collectif au civil, les deux juges qui viennent de casser la décision de la Cour supérieure ont fait valoir que leurs causes ne sont pas assez similaires.Patricia Tulasne
Dans le droit québécois, c’est la présomption d’innocence qui prévaut, donc la personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit reconnue coupable, c’est donc à la partie accusatrice de démontrer la culpabilité de l’accusé. « C’est le maillon faible du système en matière de crimes sexuels», déclare Patricia Tulasne, qui dénonce une certaine forme de complaisance du système de justice en faveur des agresseurs.
Patricia Tulasne
Pour Patricia Tulasne, s'il est normal que les présumés agresseurs sexuels bénéficient de ces droits, il serait bon que les présumées victimes en profitent aussi, « alors qu’on est toujours considéré comme si on était des menteuses, on le sent très bien durant tout le processus, on sent très bien qu’on doit essayer de convaincre quelqu’un que l’on ne ment pas. Et ça, c’est terrible quand on est une victime, non seulement on porte tout le poids de l’acte lui-même, mais aussi de la dénonciation qui vient parfois plusieurs années plus tard et qui est un autre traumatisme. Et si on se fait finalement dire : désolée, on vous croit mais on n’a pas de preuves, c’est un autre traumatisme, donc c’est un processus qui peut être très destructeur pour la victime ».
Il l’a été pour Patricia, elle a dû prendre des antidépresseurs et suivre une thérapie après avoir porté plainte. Voilà pourquoi d’ailleurs si peu de victimes de crimes sexuels se tournent vers la justice pour dénoncer leurs agresseurs et obtenir réparation.
Ici le témoignage de Patricia Tulasne, en octobre 2017 à Radio-Canada.
Pour la mise en place d’un tribunal spécialisé
Dans la foulée du mouvement #MeTooMoiAussi, un comité consultatif sur les violences sexuelles s’est créé au Québec, il regroupe notamment des représentantes des quatre partis politiques de la province, la ministre de la Justice Sonia Lebel, la députée libérale Hélène David, la députée péquiste Véronique Hivon et la députée de Québec solidaire Christine Labrie. Ce comité travaille sur la mise en place de mesures concrètes pour venir en aide aux victimes de crimes sexuels. Il a justement annoncé l’automne dernier la mise en place d’un projet-pilote pour aider les victimes à porter plainte : un soutien psychologique mais aussi des conseils juridiques pour préparer la victime à ce processus judiciaire éprouvant.Patricia Tulasne
Patricia croit aussi, comme beaucoup d’ailleurs, que la mise en place d’un tribunal spécialisé pour traiter des affaires de crimes sexuels serait la solution pour adapter le système de justice dans ce domaine. « Il y a beaucoup de résistance chez les avocats et les juges alors que la population y est beaucoup plus favorable - relève la comédienne - Ces agressions sexuelles sont tellement particulières, la psychologie des victimes, comprendre les mécanismes d’une agression, ce ne sont pas tous les juges et les avocats qui ont cette sensibilité. La formation des juges et des procureurs c’est essentiel dans ce domaine et dans un tribunal spécialisé, on va fonctionner à partir d’autres critères et rééquilibrer le rapport de force entre la victime et l’agresseur parce que là, dans notre système de justice actuel, ce rapport de force est au détriment de la victime ».
« Il faut que la honte change de camp »
Patricia se félicite de l’impact du mouvement #MeTooMoiAussi sur la dénonciation des agresseurs sexuels et elle se réjouit de voir que des Gilbert Rozon et des Harvey Weinstein soient définitivement tombés de leur piédestal, et ce, quelle que soit l’issue des procès qui sont en cours contre eux – dans le cas de Gilbert Rozon, le procès va se tenir devant un juge en juin prochain. Mais la comédienne croit qu’il y a encore bien du travail à faire pour que l’on en arrive à zéro tolérance dans nos sociétés en matière de crimes sexuels.Patricia Tulasne
Au-delà du système de justice qu’il faut repenser pour rééquilibrer le rapport de force entre les victimes et les agresseurs, l’actrice québécoise estime qu’il y a des mentalités à faire évoluer : « Tant que les victimes auront peur de dénoncer, elles seront les complices des agresseurs, parce que les agresseurs comptent beaucoup sur le silence de leurs victimes, en se taisant nous aussi on protège les agresseurs. Mais c’est en train de changer, avec cette prise de paroles des victimes. Aujourd’hui il faut absolument que la honte, elle change de camp, ce n’est plus à la victime à avoir honte et à avoir peur, mais c’est à l’agresseur. Les agresseurs doivent savoir maintenant qu’à chaque fois qu’ils posent un acte d’agression, ils seront dénoncés, et ça, ça va changer la donne ».
Patricia Tulasne est convaincue que si les plaintes pour agressions sexuelles se multiplient, le système de justice n’aura d’autres choix que de s’adapter pour y répondre adéquatement.
Patricia Tulasne
#Gilbert_Rozon, dirigeant déchu du groupe «Juste pour Rire», ex-juré d'“Incroyable Talent”, sera jugé à #Montréal Canada) en juin pour viol et attentat à la pudeur sur une victime (VoixduNord). pic.twitter.com/80MVjL62Ss
— VALLÉE Jean-Claude (@jclvallee1) January 8, 2020
Le procès de Gilbert Rozon devrait se dérouler devant un juge sans jury au palais de justice de Montréal du 8 au 12 juin 2020. Agé de 65 ans, l'ex-producteur québécois avait été inculpé en décembre 2018 pour des faits qui se seraient produits en 1979 impliquant une victime, dont l'identité n'a pas été révélée. Il sera jugé pour viol et attentat à la pudeur.
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