Back to top
En France, mais aussi à l'étranger, sa coupe au carré et ses lunettes rondes se déclinent en tags, pancartes ou autocollants : Gisèle Pelicot incarne la figure d'héroïne féministe. Refusant le procès à huis clos, elle a décidé d'affronter ses bourreaux en face afin que "la honte change de camp".
Cette fresque en hommage au combat de Gisèle Pelicot a été peinte par l'artiste Maca sur un mur de la ville de Gentilly, dans le Val-de-Marne.
Le procès dit "des viols de Mazan", un procès hors norme qui, deux mois après son coup d'envoi début septembre 2024 à Avignon en France, a braqué sur lui les projecteurs du monde entier, mettant en pleine lumière d'importants débats sociétaux, tels que la soumission chimique, les violences sexuelles et la question du consentement.
Je ne veux plus qu'elles aient honte. La honte, ce n'est pas à nous de l'avoir, c'est à eux. Gisèle Pelicot
Une exemplarité assumée par Gisèle Pelicot qui a refusé un procès à huis clos, pour que "toutes les femmes victimes de viol se disent 'Madame Pelicot l'a fait, on peut le faire'". "Je ne veux plus qu'elles aient honte. La honte, ce n'est pas à nous de l'avoir, c'est à eux. (...) J'exprime surtout ma volonté et détermination pour qu'on change cette société", a-t-elle lancé devant la cour.
A lire Procès des viols de Mazan : le consentement au coeur des débats
Une exemplarité que renforce le contraste entre des faits qui semblent parfois à peine croyables et la "banalité" du couple au centre de l'affaire, comme celle de nombreux violeurs présumés.
En apparence, il y a deux sexagénaires au moment des faits (2011-2020), mariés maintenant depuis cinquante ans, Gisèle décrivant son ex-époux Dominique en compagnon quasi "parfait". Comme un rappel que dans 49% des cas, les agressions sexuelles sont perpétrées par une personne connue de la victime, selon le rapport 2022 "Vécu et ressenti en matière de sécurité" du ministère français de l'Intérieur.
Derrière l'apparence, une décennie d'agressions sexuelles orchestrées, filmées puis méticuleusement archivées par Dominique Pelicot. La victime, son épouse, qu'il assommait à coups d'anxiolytiques avant de la violer et la faire violer par au moins une cinquantaine d'inconnus recrutés sur Internet.
Des agresseurs de tous âges, de 26 à 74 ans, bien insérés socialement. Des "Monsieur Tout-le-monde", incarnations de la banalité du mal(e). Mais si les faits et le mode opératoire se répètent, chacun des accusés a droit à une peine individualisée. Et ce sont donc 51 procès criminels en un seul qui ont lieu.
Gisèle Pelicot, droguée par son ex-mari afin d'être violée par d'autres hommes alors qu'elle était inconsciente, quitte le palais de justice d'Avignon, dans le sud de la France, le 16 octobre 2024.
Sans vidéos, le procès n'aurait assurément pas eu la même ampleur. La matérialité des faits étant peu contestable, l'accusation et la partie civile tâchent de faire prendre conscience aux accusés que la "relation sexuelle" qu'ils évoquent constituait bien en réalité un viol.
Il n’y a pas 'viol et viol'. Ce sont des violeurs, ils violent, point. Et quand ils s’excusent, en fin de compte, ils s’excusent eux-mêmes. Gisèle Pelicot
Un concept qui semble abstrait pour la plupart. Seuls 14 ont reconnu les accusations de viols et beaucoup persistent à parler de scénarios libertins d'un couple auxquels ils auraient été conviés, voire appâtés, par Dominique Pelicot. Jusqu'à avancer des explications parfois baroques, parlant d'actes effectués "à contre-coeur", "par peur", "pour faire plaisir" au couple, par "erreur de jugement", voire même "par accident".
"Il n’y a pas 'viol et viol'. Ce sont des violeurs, ils violent, point. Et quand ils s’excusent, en fin de compte, ils s’excusent eux-mêmes", a fustigé Gisèle Pelicot.
Mais "savaient-ils tous", réellement, ce qui les attendait dans la chambre conjugale, comme le répète inlassablement Dominique Pelicot ? Dans un rôle inhabituel de procureur, il les charge collectivement, comme pour les entraîner dans sa chute et ne pas apparaître unique responsable.
Ou bien a-t-il adapté son discours en fonction de ses interlocuteurs, fin "manipulateur" comme l'ont décrit plusieurs psychiatres, pour parvenir à assouvir sa "paraphilie (perversion) de type voyeurisme" ?
Ce croquis de Valentin Pasquier montre Gisèle Pelicot, à gauche, et son ex-mari Dominique Pelicot, à droite, pendant son procès, au palais de justice d'Avignon, à Avignon, dans le sud de la France, le 17 septembre 2024.
L'avocat d'un accusé, qui souhaite rester anonyme, le procès ayant déclenché des échanges souvent violents sur les réseaux sociaux, se demande ainsi combien, parmi les agresseurs, avaient "les codes, l'éducation nécessaires" pour ne pas "foncer tête baissée dans le seul objectif d'avoir un rapport sexuel ? Peut-on punir de la même façon quelqu'un qui savait et quelqu'un qui n'a pas voulu ou su savoir ?"
Ces hommes sont en train de me souiller. Ils souillent une femme inconsciente. Ils se dédouanent de toute responsabilité. Gisèle Pelicot
Ne pas savoir, malgré le strict protocole dicté par Dominique Pelicot ? Venir de nuit, se déshabiller dans la cuisine, se réchauffer les mains avant d'entrer à pas feutrés dans la chambre et chuchoter pour ne pas réveiller la victime, sédatée. Aucun n'a tenté d'entrer en contact avec elle pour s'assurer de son consentement. Personne n'a fait demi-tour. Tous se sont focalisés sur leur plaisir exclusif et immédiat.
"Ces hommes sont en train de me souiller. Ils souillent une femme inconsciente. Ils se dédouanent de toute responsabilité", a lâché Gisèle Pelicot, dont le monde s'est "effondré" quand les enquêteurs lui ont appris les faits, vidéos à l'appui.
(Re)lire la tribune de Camille Froidevaux-Metterie Le calvaire de Gisèle Pélicot ou la violence patriarcale ordinaire
Depuis son ouverture le 2 septembre 2024, le procès a amplement débordé du tribunal d'Avignon. Gisèle Pelicot y est accueillie par des haies d'honneur, parfois des bouquets de fleurs. Le tout quasiment en mondovision : 138 médias sont accrédités, dont 57 étrangers.
Collages et banderoles tapissent les murs d'Avignon et d'autres villes en "soutien à Gisèle" et aux victimes de violences sexuelles et pour dénoncer "la culture du viol". Des manifestations ont été organisées et de nombreuses personnalités françaises et étrangères s'expriment.
Parallèlement, des hommes ont commencé à faire leur introspection, notamment dans des tribunes de presse, invitant à "en finir avec la domination masculine".
En attendant le verdict, prévu le 20 décembre, beaucoup espèrent que la déflagration de ce procès permettra aux victimes de violences sexuelles d'être finalement écoutées et enfin crues. Pour que la honte change de camp.
Lire aussi dans Terriennes :
Procès des viols de Mazan : le consentement au coeur des débats
Anne Bouillon, l'avocate qui plaide pour elles
Procès des viols de Mazan : une marche "pour Gisèle" et toutes les autres
Procès des viols de Mazan : décrypter le mécanisme du "passage à l'acte"
Le procès des viols sous soumission chimique : "sacrifiée sur l'autel du vice"