Projet de loi en France contre les violences sexuelles : l'article 2 sur le banc des accusés

Débat houleux, mobilisation des réseaux sociaux, rien n'y a fait. L'article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles a été adopté par l'Assemblée nationale. Cet article 2 fait l'objet d'une vive polémique. Les associations féministes et de défense des droits de l'enfant l'accusent de faire du viol sur mineur.e un délit et non plus un crime. Une pétition #LeViolEstUnCrime a recueilli en deux jours 114 000 signatures sur le net.
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montage viol n'est pas un crime
Sur les réseaux sociaux, les soutiens à l'appel lancé par 250 personnalités pour réclamer le retrait de l'article 2 de la loi contre les violences sexuelles se multiplient.
Captures d'écran/Facebook
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Article actualisé le jeudi 17 mai 2018

Dans la nuit du mercredi 16 au jeudi 17 mai, les députés français ont approuvé en première lecture le projet de loi de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. L'Assemblée a ainsi mis fin à trois jours de débats passionnels. Le texte a été approuvé par 115 voix contre 29 et 25 abstentions. La majorité LREM-Modem a voté pour, tout comme le groupe UDI-Agir/Indépendants. Les Républicains se sont abstenus et la gauche (La France insoumise, le Parti communiste et le Parti socialiste) a voté contre. Il doit maintenant être débattu au Sénat.

Au terme de près de 5 heures de violents échanges nocturnes sur les bancs de l'hémicycle, l'Assemblée nationale française a finalement dit oui à l'article 2 si controversé du projet de loi contre les violences sexuelles.

Adopté par 81 voix (LREM principalement) contre 68, "cet article est ferme" et "protège mieux les enfants", a assuré Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes.

L'article de loi ne fixe pas un âge de consentement sexuel à 15 ans, comme évoqué un temps. En revanche, il introduit dans la définition du viol une protection particulière pour les mineurs de moins de 15 ans : les notions de contrainte et surprise, constitutives d'un viol, pourront "être caractérisées par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes".

Les députés LR ont déploré "une réponse fragmentaire" qui "ne pose pas un interdit clair". Les socialistes ont appelé à réécrire un article qui "ne satisfait ni les associations ni le monde judiciaire". Les communistes estiment qu'il ne faut pas "maintenir un halo d'ambiguïté". La France insoumise appelle à ne pas envoyer de mauvais "signal à la société". A l'unisson, les élus UAI (UDI, Agir et Indépendants) ont dit leur "grande déception".

Au coeur de la nuit, un épisode a particulièrement marqué ces débats, lorsqu'un député a fait une allusion à "la vie sexuelle" de la secrétaire d'Etat, qui a aussitôt réclamé une suspension de séance. 


De son côté, sur Europe 1, Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, porteuse du projet de loi, a déclaré qu'elle ne comprenait pas "la colère des féministes" concernant l'adoption de cet article.

Les féministes vent debout


"Nous sommes inquiets. Nous ne voulons pas d'un autre Pontoise", disent les signataires de l'appel #LeViolEstUnCrime lancé à l'initiative du mouvement féministe Groupe F.

Militant.e.s d'associations, médecins, sage-femmes, universitaires, politiques et personnalités publiques : près de 250 personnes ont signé cette lettre ouverte adressée au président français Emmanuel Macron. Parmi elles, l'ancienne ministre des Droits des femmes Yvette Roudy, l'élue de La France Insoumise Clémentine Autain, l'actrice Karin Viard et l'initiatrice du projet la féministe Caroline De Haas. Un objectif : obtenir le retrait pur et simple de l'article 2 du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, examiné lundi 14 mai 2018 et mardi 15 mai 2018 en première lecture à l'Assemblée nationale.

Après l'affaire du tribunal de Pontoise, qui s'était finalement déclaré incompétent pour juger l'agresseur d'une fillette de 11 ans, lui-même étant âgé de 28 ans au moment des faits, l'article 2 était très attendu par les associations de défense des droits des femmes et des enfants. Sur le papier, cet article envisage de "renforcer la répression des infractions sexuelles sur mineurs". Or, pour les signataires de #LeViolEstUnCrime, il "fait l'inverse", et ouvre "la porte à une correctionnalisation massive des viols de mineurs".

"En créant un nouveau délit, celui d'atteinte sexuelle sur mineur par pénétration, puni de 10 ans de prison, la loi facilitera le renvoi vers le tribunal correctionnel des affaires de viols sur mineur, affaires dans lesquelles on estime souvent que la contrainte ou la surprise seraient difficiles à établir", estiment-ils.

Pour Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et Partage, interrogé sur RFI, l'ambiguïté autour du consentement du mineur de moins de 15 ans peut être dangereuse. Selon le texte du projet de loi, il faudra prouver la contrainte et la surprise pour établir l'accusation de viol, sinon cela restera une atteinte sexuelle. "On va légaliser le débat en fait sur le consentement d'un mineur de moins de 15 ans pour savoir s’il a été violé ou agressé sexuellement. C’est totalement absurde. On va être dans une totale contradiction. C'est à dire qu'on a un texte qui est maintenu, qui existe déjà, qui est celui de l’atteinte sexuelle. Celui par lequel on dit : même s’il y a des actes sexuels qui ont été possiblement consentis avec un mineur de 15 ans, de toute façon ça restera un délit d’atteinte sexuelle. Ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire que l’on reconnaît implicitement qu’un mineur de 15 ans de toute façon ne peut pas consentir à une relation sexuelle puisque son consentement ne viendrait pas dédouaner celui qui en est l’auteur."

Contrainte, surprise et consentement ...

Le projet de loi, porté par la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, et par la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Nicole Belloubet, entend faciliter les condamnations pour viol sur mineur en prévoyant que "lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans", les notions de contrainte et surprise peuvent "être caractérisées par l'abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes".

Pour les cas où le viol ne pourrait être établi, il aggrave en outre les peines pour l'atteinte sexuelle (délit qui réprime tout acte sexuel entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur) : sept ans contre cinq actuellement, et dix ans lorsqu'il y a pénétration, une distinction qui n'existait pas auparavant.

Pour la députée LREM (La république en marche, parti du président Macron), Pascale Fontenel-Personne, ce projet de loi est une avancée pour les mineurs victimes de viol, comme elle le dit sur les réseaux sociaux : " Nos prédécesseurs n'ont rien fait. Nous, nous engageons à faciliter la démonstration et nous créons un seuil (15 ans) afin d'éviter la correctionnalisation des viols sur mineurs !" " Nous allons créer les tribunaux criminels départementaux et y dédier des magistrats afin d'éviter la correctionnalisation des viols sur mineurs. Le viol en France est un crime depuis 1980 : aujourd'hui, 1 plainte sur 10 aboutit à une qualification pour viol ", ajoute-t-elle encore sur son compte twitter. Des soutiens relayés par d'autres twittos, et partisan.e.s du projet de loi comme ici, Fatima El Ouasdi, présidente-fondatrice de l'association @Politiquelles qui, point par point, démonte les arguments du Groupe F évoquant de la "mésinformation" ou "désinformation", ou encore d'autres élues du parti présidentiel, telle Marie-Pierre Rixain députée de l'Essonne, convaincues des bienfaits du texte qui "précisera la notion de contrainte pour viol sur mineurs de - de 15 ans et renforcera la criminalisation du viol.."

Risque accru de correctionnalisation de viols

C'est pourtant bien la crainte d'une correctionnalisation des viols sur mineurs qui mobilise celles et ceux qui réclament la suppression de l'article 2. D’abord parce qu’il définit l’atteinte sexuelle, par la pénétration, critère qui normalement différencie viol et agression sexuelle. "On risque donc de juger des viols hors des Assises", craint Clémentine Autain, élue à l'Assemblée nationale de la France insoumise. D’autant que la peine encourue pour atteinte sexuelle devrait passer de 5 à 10 ans, ce qui pourrait éventuellement encourager les juges à poursuivre pour atteinte sexuelle, donc en correctionnelle, et non pour crime. Pour le Groupe F, il s'agit d'"éviter un nouveau verdict comme Pontoise, dans lequel une fille de 11 ans, violée par un homme de 28 ans, avait été déclarée « consentante » (sic). Le gouvernement le valide"

Le Haut Conseil à l'égalité a pour sa part publié un communiqué, dans lequel il salue le travail de la Commission des lois qui, la semaine dernière, a enrichi le texte en reprenant notamment certaines de ses propositions, mais tient aussi à attirer l’attention des parlementaires sur les améliorations qui peuvent encore y être apportées, avec ce rappel :  la loi doit impérativement reconnaître "qu’un.e enfant de moins de 13 ans n’a jamais le discernement lui permettant d’accepter ou de refuser un rapport sexuel et qu'un adulte ne peut ignorer ceci".

Pour Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, invitée sur le plateau de TV5monde, mardi 15 mai 2018, cette loi est un véritable recul, "On inscrit noir sur blanc dans ce projet de loi que la pénétration sur mineur constitue seulement une atteinte sexuelle et non un viol. C'est à la victime de prouver qu'elle a été sous contrainte".

Mêmes crainte du côté du Planning familial (association féministe créée en 1960 pour permettre aux femmes de contrôler leur fécondité). Pour Danièle Lanssade, l'une des porte-paroles jointe par téléphone, "l'envoi en correctionnelle nous inquiète, au lieu de renforcer la protection des victimes mineures, encore une fois on les fragilise et on leur demande de se justifier, alors qu'on allège la peine de l'agresseur". En mars 2018, le Planning familial s'était inquiété d’une modification de la loi visant à définir un âge pour la reconnaissance du consentement : "cela induirait une notion de «majorité sexuelle» qui pourrait être utilisée pour autoriser ou interdire toute activité sexuelle selon l’âge retenu et serait ainsi le prétexte à limiter la liberté sexuelle des jeunes et l’accès à la contraception pour les mineur.es, avec une moralisation et un contrôle de la sexualité de la jeunesse." 

Plus en colère, la députée UDI (Centre) Sophie Auconie. C'est plus l'ensemble du projet de loi qui déçoit, selon elle. Interrogée par le quotidien gratuit 20minutes, elle le juge trop timide, "Il y a un recul critiquable entre ce qu’on avait sous-entendu tant à l’Elysée que par Schiappa et ce qu’on est en train d’adopter. Après une centaine d’auditions, des échanges de bonnes pratiques avec d’autres pays, nous avons rendu notre rapport avec 24 recommandations, sensées et peu coûteuses. On a eu une seule reprise dans le projet de loi. (Délai de prescription de 20 à 30 ans pour les viols sur mineurs, ndlr)."

19 700 plaintes pour violences sexuelles sur mineurs en 2016
Observatoire national de la protection de l’enfance

Selon un rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), 19700 plaintes pour violences sexuelles sur mineurs auraient été enregistrées en 2016. Ces chiffres, bien que déjà très alarmants, seraient bien en deçà de la réalité, puisque comme le rappelle l’ONPE, moins de 10 % des violences sexuelles font l’objet d’une plainte. Pour trois victimes sur dix, "l’atteinte sexuelle" prend place au sein même de la sphère familiale.

madelin et lyes
Une pétition est lancée sur le site de change.org sur internet derrière le mot dièse #LeViolEstUnCrime.
Capture d'écran

"Nous sommes Madeline et Lyes, militante et militant des droits de l'enfant. Aujourd’hui, Monsieur le Président, nous sommes sous le choc. Votre gouvernement souhaite faire évoluer la loi sur les violences sexuelles et permettre que le viol d’un enfant, un crime, soit jugé comme un délit", lit-on sur l'appel à signer la pétition sur internet .

Un rassemblement -à l'appel de l'association internationale des victimes de l'inceste (AIVI)- est organisé mardi 15 mai à 10H00 devant l'Assemblée nationale à Paris.

{Publication Facebook de la conseillère municipale d'Orléans, Dominique Tripet, PCF}

Crime ou délit ? Les députés vont devoir y répondre cette semaine. Mais outre la loi, on sait combien les mots font exister les maux. En attendant le verdict des élu.e.s et la réponse s'il y a du président de la République, illustration de l'importance de la langue. Dans son édition 2019, le dictionnaire français Le Petit Robert inscrit le mot frotteur dans ses colonnes. Dans sa définition, le dictionnaire évoque une "personne, souvent homme, qui recherche les contacts érotiques à la faveur de la promiscuité des transports en commun". D'agression sexuelle à pratique érotique, le rubicon semble bien mince à franchir ...  Face à la polémique grandissante au fil des heures, la direction du Robert a déjà fait son mea culpa, assurant qu'une correction sera apportée.