A propos de Trierweiler, de littérature et d'objet littéraire

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A propos de Trierweiler, de littérature et d'objet littéraire
Succès fulgurant dans les librairies pour l'ouvrage de Valérie Trierweiler © Photo AFP PASCAL GUYOT
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Cupidon n’a pas survécu à la verdeur du printemps. Las, l’automne pointe aigrement un nez rougi par les larmes et le ressentiment.  Difficile en cette saison d'échapper au fiel de Valérie Trierweiler. Même si les libraires font de la résistance, les amis du président du déminage, les Français se ruent sur le brûlot : 145 000 exemplaires vendus en 4 jours. Quelques 500000 écoulés à la mi-septembre.  « Merci pour ce moment », vraiment ? Qu’y a t-il dans ce récit qui attire autant le public  et effarouche les critiques ? D’aucuns y ont vu nulle matière littéraire. Dur.
Littérature : what else ?

Si  l’on affirme que « Merci pour ce moment » n’est pas de la littérature, c’est néanmoins un « objet » littéraire. Cela pose donc LA question : qu’est-ce que la littérature ?
Consultons les spécialistes, de Voltaire à Philippe Caron, linguiste français, spécialisé dans l'histoire de la langue française. Etudions (brièvement) l’évolution du concept, du latin littera - lettre à litteratura - écriture, grammaire et culture.
Au fil du temps, la « chose écrite », conception très technique au  12ème siècle, devient à la fin du Moyen Âge synonyme de « savoir tiré des livres ».
Sautons jusqu’au 17ème, en 1635, année de création de l’Académie française. Le cardinal de Richelieu lui donne pour mission de « fixer » la langue française, de lui donner des règles afin qu’elle soit compréhensible par tous. Les grands acteurs du monde littéraire de l'époque planchent donc pour définir le « bon » français, la « bonne » littérature.  
Comment  la Littérature passera-t-elle des « bonnes lettres » aux « belles lettres ».  Par les Lumières. Philosophie, idées, raison, sciences.... partout l’effervescence intellectuelle et le culte du progrès. La culture se fait dans les cafés, les salons. L’esprit est célébré. Voltaire : « La littérature désigne dans toute l'Europe une connaissance des ouvrages de goût ».
Selon Philippe Caron,  « la Révolution Française sert de frontière chronologique entre l'ère des Belles-Lettres et l'ère de la Littérature ». Plus de référence aux Belles lettres dans le livre de Madame De Staël : « De la littérature » écrit en 1800. Héritée des lumières, elle défend sa conception d’un écrivain militant, en phase avec les préoccupations de son époque.

Et aujourd’hui ?  La littérature désigne l’ensemble des œuvres écrites ou orales fondées sur la langue et dont la dimension esthétique les distingue des œuvres scientifiques ou didactiques. Le dictionnaire Encarta y ajoute les notions de « valeur » et d’ « intention esthétique, relevant d’une époque, d’une culture ou d’un genre particuliers ».
Pour en revenir enfin à Madame ex-première dame, laissons conclure Jean-Paul Sartre. Dans « Qu'est-ce que la littérature ? » essai publié en 1948, Sartre affirme : « Ecrire, c’est révéler ». Nul  ne peut ignorer le monde.  Selon Sartre, l’auteur contemporain est traversé par une crise de conscience morale, il n’arrive plus à cerner son rôle. Alléluia ! Valérie Trierweiler ne fait peut-être pas de la littérature mais elle est bien un écrivain au sens sartrien du terme. 
 
A propos de Trierweiler, de littérature et d'objet littéraire
Une affiche de libraire en colère contre le livre de Valérie Trierweiler, reprise de @Twitter/VictorRobert
La complainte du petit cheval

C'était un petit cheval blanc, tous derrière et lui devant. Vous connaissez la fin de la poésie de Paul Fort. Un jour dans le mauvais temps, il meurt par un éclair blanc. Ainsi Valérie Trierweiler foudroyée en plein quinquennat. A terre, la fille Courage, détruite la mère Abnégation, bafouée la femme amoureuse. La Pasionaria encombrante cf l’affaire du tweet de soutien à Olivier Falorni (rival heureux de Ségolène Royal dans la course à la députation à La Rochelle en 2012, mère des enfants du président, première ex donc ndlr). Tombée en amour d’un animal à sang froid. Un politique qu’elle commence à perdre dès son investiture à la tête du PS.

317 pages d’autocélébration, de confidences sur l’injustice du monde et la traîtrise des hommes. Ce genre de complaintes qu’on déverse dans les oreilles compatissantes d’une bonne copine, après le énième verre exigé par la profondeur d’un chagrin d’amour. Servies dans une langue simple et si accessible à tous que les ventes dépassent, et de loin, toutes les prévisions de son éditeur des Arènes.
Dépit amoureux et lutte de classe, secrets d’un livre« bankable » ?

J’ai lu « Merci pour ce moment », en suis tombée à la renverse, et me relevant, ai cherché des éléments de compréhension. J’en ai trouvé quelques uns dont celui ci.
Atlantico (site d'information, classé plutôt à droite) a donné la parole à Jules Naudet, sociologue au Centre de Sciences Humaines de New Delhi, spécialiste de la question de la mobilité sociale.  Son analyse : « La tension entre son milieu d’origine et son milieu d’arrivée est au cœur de l’ouvrage de Valérie Trierweiler. Elle cherche à transformer son origine populaire en une ressource, une stratégie très fréquente chez les personnes en mobilité. » 
Valérie Trierweiler, page 230 : « On m’a prise pour une bourgeoise, glaciale et méchante, je n’étais simplement pas à ma place. Doublement illégitime. Après le communiqué de rupture, ma famille a fait bloc. On ne se renie pas chez les Massonneau. »

Jules Naudet poursuit . « Son ouvrage a un caractère doublement thérapeutique : il s’agit de produire un récit lui permettant de réparer à la fois la blessure d’une séparation et la blessure provoquée par l’éloignement de son milieu d’origine. »
Valérie Trierweiler encore, page 231 : « J’avais tous les défauts pour le rôle : pas mariée, pas fortunée, le besoin de travailler... Cela ne fait pas une vraie première dame. »

Est-ce le livre qui est scandaleux ou son traitement médiatique qui en fait un torchon?”
Merci pour cette question, M. Beccaria. L’éditeur au nez très creux de ladite confession nous renvoie dans le pif cette fausse interrogation en forme de vraie accusation.
Editeur également du mook « la Revue XXI » (moitié livre, moitié magazine), l’homme n’est pas un perdreau de l’année. Ce qui a fait son désir de publier l’ancienne compagne présidentielle : avoir retrouvé chez elle, dit-il,  quelque chose de libre, de franc et de droit” qui lui plaît et lui rappelle Eva Joly avec laquelle il avait co-écrit « Notre affaire à tous ». “Vilipendée par les médias, Eva avait réussi à se faire comprendre grâce à une autobiographie publiée par Les Arènes”.

Même chose avec Valérie Trierweiler ? Peut-être pas. Car ce que Laurent Beccaria ne pouvait savoir alors, c’est le pauvre indice de sympathie dont elle bénéficie auprès des français. Pas aussi calamiteux que celui de son ex-compagnon, mais pas terrible non plus. Selon une enquête réalisée par VSD début septembre, sur un échantillon représentatif de 1.271 personnes, 68% ont une "mauvaise" ou "très mauvaise" opinion de l’ex-première dame. Qu’importe : le patron des Arènes ne reconnaît qu’un juge. Le public. " Les lecteurs seront les seuls juges. A la fin, seul demeurera le divorce entre l'hostilité de la quasi-totalité des médias, notamment audiovisuels, et le rush des lecteurs ".
Et il ne se trompe pas : le livre qui mixe intimement public et privé cartonne. Le tirage initial de 200 000 exemplaires, défini selon les chiffres de vente des ouvrages des anciennes “premières dames”, (de 500000 exemplaires pour Danièle Mitterrand à 100000 pour Cécilia Attias ex-Sarkozy) est vite insuffisant. “Personne n’imaginait alors l’impensable, c’est-à-dire le raz de marée des lecteurs qui va submerger les libraires françaises en deux jours”, raconte l'éditeur.

Pourtant pour  56% des sondés par VSD, Valérie Trierweiler a eu tort de publier ce livre, désastreux pour le chef de l'Etat.
71% la jugent "opportuniste", 66% plutôt "agaçante" et 77% n'estiment pas que le mot "sympathique" lui corresponde.
 
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Deux lectrices, deux regards : Le livre ouvert de Elizabeth Adela Forbes et La Liseuse de Fragonard - Wikicommons
Populaire ou déclassée ?

Voilà qui n’améliorera pas la côte de sympathie de la dame. Les français adorent Cosette mais n’aiment pas qu’on les prenne pour des dindons. La famille de Valérie Trierweiler n’aurait pas grand chose à voir avec le Lumpen prolétariat qu’elle semble décrire. Voir l’anecdote sur les godillots de son frère dont la fillette est obligée, à sa grande honte, de se chausser un matin pour se rendre à l’école.
De milieu populaire ou déclassée : la nuance ne manque pas de sens quand on fait pleurer dans les chaumières. Issue d'une "famille bourgeoise totalement désargentée", ainsi se décrit Valérie Trierweiler. A juste titre. Si la famille Massonneau vit modestement - son père infirme de guerre a perdu une jambe en 1944 - la famille n'a pas toujours connu la scoumoune. Ses grand-père et arrière-grand père paternels étaient banquiers. Simple employé, Léon Bordier devient dirigeant associé de la banque Bordier-Massonneau en 1923 après la mort de son fondateur. Le grand-père Jacques prend la succession. Il en est le co-directeur jusqu'à sa faillite en 1950. Comment la dite-faillite se produit-elle ? La famille Bordier accuse la famille Massonneau qui s'en défend. La famille Massonneau est-elle restée actionnaire ? Si oui, combien de parts de l'établissement détiendraient-elle encore ? Mystère et boule de gomme. Info ou intox, le web fourmille de détails sur les dites actions et sur la présumée fortune des descendants. Difficile de vérifier. Seule certitude : ces informations mettent à mal la légende Trierweiler d'une jeune fille méritante quasiment sortie du ruisseau pour accèder aux plus hautes marches. Celles, branlantes, de l'Elysée.

Qu'en dit, l'auteur ? Elle n'aurait découvert que très récemment le passé familial. Ce qui semble plutôt surprenant. Celle qui reconnaît sa peur permanente de "manquer" peut se rassurer. Selon le Parisien, la vente record de son livre lui assurerait selon nos confrères un grassouillet pactole d'un million et quelques d'euros. L'ex-première dame qui s'inquiétait de comment nourrir ses enfants n'a donc plus de souci à se faire.
 
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Valérie Trierweiler et François Hollande président en 2013, avant la rupture AFP/Fred DUFOUR
Vie publique, vie privée

Lui qui préfère se passer d’un repas lorsque ce n’est pas du premier choix, ne mange pas mes fraises si elles ne sont pas des « garriguettes », ne goûte pas aux pommes de terre si elles ne proviennent pas de « Noirmoutier », et met directement à la poubelle la viande si elle est sous vide. Il connaît si peu le prix des choses.

A-t-on envie de savoir si François Hollande aime ou pas les fraises ? Peut-être pas, bien que ce genre de détails donne un peu de proximité à ces grands fauves qui nous gouvernent. Le plus gênant pour le lecteur : que ces fraises deviennent SES fraises. Que Valérie prenne pour elle le fait que le Président n’aime pas ses humbles fraises qui ne sont pas des garriguettes. Sur un même plan,  le goût du Président pour un certain luxe et le fait que ce luxe soit si peu consubstantiel de Valérie qu’il la nie. Ou du moins qu’elle s’en sente niée.

Hollande se voulait un président exemplaire, en rupture avec le Bling de l’ère Sarkozy. Par ce livre, le roi est nu. Plus que jamais, déshabillé jusque dans sa chambre par le dépit amoureux de sa belle. Le roi est nu, et ce n’est pas bien joli.
 

Isabelle Soler : à propos de l'auteure

A propos de Trierweiler, de littérature et d'objet littéraire
Journaliste à la rédaction de TV5Monde depuis une dizaine d’années, je suis toujours bluffée par l'hystérie de parution lors de grands événements tels la rentrée de septembre ou la remise des prix littéraires. Après avoir dépouillé au printemps 2012, tous les ouvrages liés à la présidentielle française, pour Terriennes, je me pencherai sur la littérature de et autour des Femmes : thématiques, essais, romans, coups de coeur ou coups de gueule… Je vous propose un décryptage régulier de la littérature francophone.