C'est donc fait : les députés ont adopté vendredi soir 30 novembre 2013 la pénalisation des clients de prostituées, mesure phare de la proposition de loi sur la prostitution qui n'a été réellement combattue que par les écologistes. Les députés ont voté à main levée la disposition la plus controversée du texte, celle qui punit l'achat d'actes sexuels d'une contravention de 1.500 euros. En cas de récidive, l'infraction deviendra un délit puni d'une peine d'amende de 3.750 euros dans "un souci de pédagogie et de dissuasion, graduelle et progressive", selon un amendement voté. Alternative à l'amende ou sanction complémentaire, un "stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels" est aussi prévu. Les députés ont également abrogé le délit de racolage passif institué par Nicolas Sarkozy et qui pénalisait les prostitué-e-s.
Ils ont aussi voté des mesures d'accompagnement social pour celles qui veulent quitter la prostitution, qui seront alimentées par un fonds de 20 millions d'euros par an. Les étrangères engagées dans ce "parcours de sortie" chapeauté par une association agréée pourront prétendre à un titre de séjour de six mois, éventuellement renouvelable. Le vote sur l'ensemble du texte interviendra le 4 décembre, avant d'être examiné plus tard au Sénat. La proposition de loi s'inspire de l'exemple de la Suède où les clients sont pénalisés depuis 1999, ce qui a conduit à une réduction de moitié de la prostitution de rue en dix ans. S’attaquer aux clients pour abolir le plus vieux métier du monde.
C’est donc la victoire de la nouvelle stratégie de lutte en France contre la prostitution,
proposée le 10 octobre 2013 par plusieurs députés socialistes. Au lieu de pénaliser les « travailleuses du sexe », la France, à l’image des pays nordiques, veut criminaliser les clients. Une évolution du droit français qui sanctionnerait les "acheteurs" par une amende
En revanche, aucune peine de prison n’est prévue dans le texte, alors que les députés eux-mêmes ont insisté sur la violence du système prostitutionnel.
« Un phénomène sexué »Selon
le rapport de la mission d’information de 2011, sur laquelle s'appuie les arguments des députés socialistes, les clients seraient à 99% des hommes et sur les 20 000 prostitués que compterait la France, 85% seraient des femmes. Un « phénomène sexué » où ces dernières seraient les principales victimes, ont souligné les députés. Najat Vallaud-Belkacem, ministre française des droits des Femmes, va plus loin.
Pour elle, la prostitution est fondée sur la « domination de masculine », a-t-elle déclaré en septembre dernier à Bruxelles lors du 65e anniversaire de la convention de New York pour la suppression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution.
Depuis l’annulation de la loi le 28 mars 2013 interdisant le racolage passif, les prostituées ne sont plus mises au rang de délinquante et peuvent se réinsérer professionnellement. Les parlementaires affirment que la pénalisation des clients pousserait donc toutes les prostituées, dorénavant privées de ressources et bénéficiant d’un casier judiciaire vierge, à « changer de métier ».
Les politiques français, de gauche ou de droite, légifèrent depuis plusieurs années, sur la question de la prostitution, en particulier sur sa disparition. Pour cause,
la France s'est rangée depuis 1947 aux côtés des pays défenseurs de l'abolition de la prostitution. Le gouvernement actuel, par sa ministre Najat Vallaud-Belkacem a justement réaffirmé cette position
le 30 septembre 2013 à Bruxelles. Le principe : la prostitution reste légale, mais elle doit disparaître de manière « naturelle » par l’interdiction de toutes les formes favorisant son développement (proxénétisme, clientèle, etc). A l’inverse, les États prohibitionnistes interdisent directement la prostitution et sanctionnent toutes les personnes qui y contribuent.
Une majorité de Français pourraient s'y opposer Mais cette position ne plaît pas tous. En premier, les principaux syndicats des travailleuses du sexe, soutenus par plusieurs associations dont Médecins sans frontières ou Act up. Cette dernière, affirme dans
un communiqué, que la pénalisation de la clientèle « dégraderait encore plus leur condition de travail » et favoriserait le « recours aux proxénètes » par les prostituées dans le but de contourner la loi. De même, une majorité de Français pourraient aussi contester ce texte abolitionniste. D’après
un sondage réalisé par Harris Interactive en 2012 pour « Grazia », ils seraient 54% à être opposés à la disparition de la prostitution.
Ce débat risque de se prolonger au moins jusqu'à fin novembre, date à laquelle la proposition de loi pénalisant les clients pourraient être discutée à l'Assemblée nationale. Les députés à l'origine de ce texte, veulent, quant à eux, qu'elle soit débattue le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.