Jenny Westerstrand, chercheure à l'Université d'Uppsala (Suède), spécialiste des droits des femmes et de la violence des hommes contre les femmes.
Quelle était l'état de la prostitution en Suède avant la loi pénalisant la clientèle ?
Il y avait beaucoup moins (de prostitution, ndlr) en Suède par rapport à la France ou dans les autres pays européens. La raison est que la Suède a toujours été depuis très longtemps un Etat providence (assurant de nombreuses aides sociales, ndlr). Il y avait donc de l'argent. Le marché du travail a toujours été ouvert aux femmes ce qui les a aussi protégé. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de (prostituées) d'origines étrangères. Elles représentent 90% des prostituées. Avant, il y avait un mélange de Suédoises et d'étrangères. Les maisons closes officielles ont toujours été interdites, mais il y avait quand même des bordels dans les appartements et surtout de la prostitution de rue.
Quelles ont été les difficultés rencontrées dans la mise en place de la loi ?
C'était une loi un petit peu controversée qui a quand même mis 20 ans à se mettre en place parce que personne ne montrait vraiment d'intérêt pour ce sujet. Au début, quelques femmes se sont constituées en groupe pour réclamer cette loi. Petit à petit, ce groupe s'est agrandi. Finalement, le peu d'intérêt de la population sur la question a aussi été un avantage puisqu'en face il n'y avait aucune opposition.
Quels sont les chiffres de la baisse de la prostitution ?
La prostitution n'a pas augmenté autant que dans les autres pays. Ensuite, on a des chiffres qui attestent que les hommes achètent moins d'actes sexuels qu'auparavant.
La Norvège a aussi adopté une loi pénalisant les clients, mais ce fut un échec (
augmentation des actes de violences à l'égard des prostituées). Comment l'expliquez-vous ?
Beaucoup de gens le disent, mais je pense que ce n'est pas vrai. Dans le même temps, la loi norvégienne n'est pas exactement pareille. Juridiquement, c'est construit différemment. Et c'est trop compliqué d'en parler.
Est-ce qu'il y a encore des obstacles aujourd'hui dans l'application de cette loi ?
Dans certaines instances juridiques, il y a parfois des freins, plus que dans la société elle-même. Ces freins juridiques sont controversés. Par exemple, il s'agit des cas où l'acheteur ignore que la victime était mineure au moment des faits ou encore lorsque l'acte sexuel n'a pas été consommé. Dans ces cas là, le client n'est pas considéré comme un acheteur. Dans d'autres cas, les freins sont d'ordre économique. L'affaire est abandonnée quand la police n'a pas d'argent.
Quels conseils donneriez-vous à la France ?
Il faut voir la prostitution comme un problème et en parler comme on parle de tous les problèmes. Parce qu'actuellement, on n'en parle jamais. Si on n'aborde pas la question de la prostitution, on ne pourra jamais rien faire. En Suède, cela fait 100 ans qu'on en parle. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Aujourd'hui, c'est devenu normal de pénaliser la prostitution. Ensuite, il y a la loi, mais elle ne représente qu'un seul paramètre. Il faut aussi attaquer la prostitution sur tous les fronts et dans tous les domaines.