Fil d'Ariane
7 000 femmes se sont portées partie civile.
Une victime parle d'"une bombe à retardement installée dans son corps", une autre de "vies gâchées", une autre encore, évoquant la société PIP et sa Direction : "ils ont fait de nous des rats de laboratoire".
Joëlle Manighetti, elle, écrit sobrement sur son blog : "Cela ne représente qu’une très petite satisfaction au regard des préjudices que des milliers de femmes ont subi en France et dans le monde."
Nous rencontrons Joëlle Manighetti, 60 ans, mariée, trois enfants, dans un restaurant du 17ème arrondissement de Paris. Ces phrases sur son blog ont retenu notre attention quelques jours plus tôt : "En novembre 2009, suite à un cancer, j'ai dû subir l'ablation d'un sein qui a été remplacé par une prothèse PIP. J'ai fait partie des premières femmes à porter plainte quand ce scandale sanitaire mondial a éclaté, en mars 2010. J'ai dû être réopérée plusieurs fois pour réparer les dégâts causés par la prothèse, que je n'ai portée que 6 mois. (...) La dernière intervention, datant de juin 2015, a permis un résultat esthétique à peu près satisfaisant, mais mon chirurgien m’a annoncé qu’il ne pourrait plus rien faire contre les douleurs. J’ai mal en permanence dans tout l'hémithorax gauche et quelques fois dans tout le bras."
Joëlle est précise dans les mots qu'elle choisit. Elle peut. Trente ans durant, elle a travaillé dans le milieu médical. Elle a ouvert son blog pour venir en aide à toutes les femmes qui s'interrogent sur cette affaire, des femmes souvent désorientées par l'abondance des informations parfois contradictoires, fausses ou incomplètes.
Joëlle Manighetti parle avec passion, sans jamais se laisser déborder par ses sentiments. Elle est vive, mais refuse le sensationnel, le pathétique, le sensible dont raffolent quantité de médias. Echaudée par le travail approximatif de plusieurs journalistes "en mal d'humain" et qui n'hésitent pas à cambrioler les coeurs pour faire sensation, nous lui promettons de ne garder que son témoignage, sans commentaire aucun.
Le voici.
"Je suis en colère parce que depuis six ans que cette fraude a été découverte, rien n'a changé. La condamnation de Jean Claude Mas (Directeur de la société PIP ndlr ) n'est que le premier volet judiciaire, celui qui reconnaît que nous avons été trompées sur la marchandise que l'on a vendue aux chirurgiens et qui nous ont implanté ces prothèses. C'est une tromperie "aggravée", ce qui signifie que le gel est potentiellement dangereux et on se rend compte que toutes les femmes ont pas mal de problèmes.. Nous allons être indemnisées par des fonds de solidarité de l'Etat. Oui, c'est l'Etat qui va payer, donc nous. Ces indemnisations sont "plafonnées" avec un maximum de 3000 euros par victime, sachant que cela représente très très peu pour les femmes qui ont payé leurs interventions et qui n'ont pas les moyens de refinancer une nouvelle intervention. De toutes les manières, cela ne nous ramènera jamais la santé que nous avons perdue."
"Personnellement, j'ai été opéré huit fois pour réparer les dégâts. Tout cela, c'est la Sécurité Sociale qui l'a payé. C'est absolument anormal que la collectivité paye pour cette fraude. Et cette fraude, elle a été rendue possible parce qu'il y a plein de choses qui ne vont pas. Cette affaire a révélé beaucoup de failles. Au niveau des certifications, au niveau des déclarations d'événements indésirables auprès des autorités sanitaires, la réactivité de ces mêmes autorités sanitaires, la réactivité des politiques, le lobby des chirurgiens esthétiques, le lobby des laboratoires qui fabriquent les prothèses.
La société PIP était au prix du marché, contrairement à ce qu'ont dit certains médias, comme les autres fabricants de prothèses. Elle a remporté l'appel d'offre pour le Centre de Lutte contre le Cancer parce que c'était les seuls à proposer des prothèses anatomiques, c'est à dire des seins droits et gauches très utiles en reconstruction.
Quand l'affaire a éclaté, les femmes qui ont fait de la chirurgie esthétique sont revenues voir leur chirurgien , elles se sont entendu dire : "cela va être très compliqué de vous réopérer parce que si jamais le silicone a coulé, ça va nous prendre du temps, c'est long et coûteux, ce n'est pas juste on enlève et on remet d'autres prothèses etc.." Donc, il y a eu des dépassements d'honoraires très importants et le changement de prothèse a coûté plus cher que l'implantation initiale, alors que l'explantation était prise en charge par la sécurité sociale !
Les femmes qui ont eu des cancers du sein n'ont pas toutes été traitées de la même façon. Il y a eu des centres anticancers qui ne prenaient pas les femmes en charge "en interne" et demandaient des dépassements d'honoraires en les orientant vers des cliniques privées.
Il y a tellement de choses qui rentrent en ligne de compte que rien ne bouge ! Six ans après, nous en sommes au même stade. Un nouveau Mas pourrait très bien arriver dans n'importe quel marché des dispositifs médicaux et refaire la même chose."
"On a estimé qu'il y avait, en France, 30 000 femmes potentiellement porteuses de ces prothèses, et aujourd'hui il y en a 18 000 qui se sont fait explanter. Où sont les 12 000 autres ? Est-ce qu'elles n'ont pas été prévenues ? Savent-elles ce qu'elles portent ? Est-ce qu'elles ont tourné la page et elles ne veulent pas savoir ? Où est-ce que leur opération n'a pas été déclarée ? Ou y a-t-il eu erreur sur l'estimation ? On ne sait pas. Aucun registre n'existe pour recenser les porteuses d'implants, nous attendons toujours sa création.
Et dans le monde, on en sait encore moins car, par exemple en Amérique Latine où la chirurgie esthétique est très répandue, on a du mal à savoir combien de femmes sont concernées. On a donné des chiffres qui vont, dans le monde, de 300 000 à 500 000. C'est une fourchette énorme !"
"Les médias nous ont fait beaucoup de mal"
"Les médias, malheureusement, ont stigmatisé le fait que 80 % des victimes étaient des femmes qui avaient eu recours à la chirurgie esthétique. Dans le public, c'est ce qui a été retenu. Il y a eu des insultes, des choses innommables sur les forums, sur les commentaires d'articles de presse.
Un vrai combat a été mené contre ces femmes alors que chacun est libre de faire ce qu'il veut de son corps. On n'a pas à juger pourquoi les femmes l'ont fait. C'est leur problème intime. Et elles ont payé pour qu'on leur implante des produits certifiés.
On n'a pas évoqué les VRAIS problèmes, qui est que cette fraude a duré 10 ans, dans un pays comme le nôtre, la France, avec des produits qui étaient fabriqués sur notre territoire, par une entreprise française, par des employés français qui savaient tous qu'ils fraudaient. Cela n'a choqué personne et personne ne s'est posé la question de savoir comment cela avait été possible, ou n'a cherché à démonter tous les rouages qui ont permis que cette fraude ait lieu et qu'elle puisse durer 10 ans. Cela, c'est scandaleux."
Aucun fond d'indemnisation pour ce scandale
"Aucun ministre n'a jamais reçu une association de défense des victimes. Les avocats, qui demandaient un fond d'indemnisation, n'ont jamais été reçus non plus. C'est le seul scandale sanitaire en France qui n'a pas de fonds d'indemnisation.
Le seul pays où tout s'est très bien passé pour les femmes, c'est la Suisse. Ils avaient, je crois, 280 victimes. Elles ont toutes été prises en charge et opérées rapidement et on en a plus entendu parlé. En Grande Bretagne et en Amérique Latine, les femmes ont été averties deux ans après le scandale ! Et elles ne sont absolument pas prises en charge médicalement par leur système de santé.
"Il y a des jours où je me dis "à quoi bon ?" et puis d'autres où je reçois des messages de femmes qui sont dans un tel état de lassitude, de souffrance. Il y a des femmes qui ont tout perdu : leur entreprise, leur conjoint... A plus de cinquante ans, certaines sont retournées avec leurs enfants chez leurs parents. Elles ont perdu leur boîte, leur boulot. Elles n'ont plus rien financièrement parlant, mais aussi socialement et, surtout, plus de santé... Il y a aussi