Prothèses PIP : les Latino-Américaines se mobilisent
Elles sont Argentines, Vénézuéliennes, Colombiennes, Brésiliennes. Elles sont en colère et elles ont peur : elles portent des implants mammaires défectueux de la marque française PIP. Elles ont entamé des actions juridiques dans leur pays, contre les distributeurs locaux, mais aussi en France.
Jusqu'à sa fermeture fin 2009, l'entreprise française PIP produisait 100 000 prothèses par an, dont plus des trois quarts partaient à l'exportation. D'après le quotidien espagnol El Mundo, l'Argentine, le Venezuela, la Colombie et le Brésil en ont absorbé 58% en 2007 et 50% en 2009. Des pays où le culte de la beauté est fort : chaque année au Venezuela, 40 000 femmes se font implanter des prothèses mammaires. Le Brésil est le deuxième pays au monde où il a le plus d'interventions chirurgicales plastiques, dont 60% esthétique. Une pratique à la portée d'un plus grand nombre grâce aux facilités de crédit.
La mise en examen de Jean-Claude Mas et de Claude Couty pour blessures involontaires a été saluée avec soulagement par les 300 à 400 000 porteuses potentielles dans le monde. Jeudi 26 janvier les deux hommes ont été placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la France et de fabriquer des produits de santé. A ce jour, 190 victimes ont été recensées. Une autre procédure est engagée contre PIP par 2500 plaignantes pour tromperie aggravée et le procès est prévu fin 2012 ou début 2013. Les avocats des victimes s'interrogent également sur les responsabilités d'autres collaborateurs de la société PIP qui savaient qu'un gel frauduleux était utilisé pour remplir les implants. Autres question : comment les autorités sanitaires françaises ont-elle pu passer à côté de l'affaire ? Et l'Union européenne ?
Jean-Claude Mas n'exprime aucun remord et soutient que le produit non homologué ne présente aucun danger pour la santé. Pour le moment, aucun lien n'a été établi avec la vingtaine de cas de cancer relevés parmi les femmes qui portaient ces implants, mais le gel est irritant pour les tissus et les taux de rupture sont élevés. Reste que si tous les gouvernements recommandent aux femmes de se faire retirer les implants, les prises en charge varient d'un pays à l'autre.
Le point avec Arié Alimi, l'avocat français qui travaille sur les cas de plaignantes argentines et vénézuéliennes.
L'avocat Arié Alimi.
Sur quels fronts travaillez-vous ? Nous essayons de déterminer si nous allons pouvoir engager une action contre l'assureur de PIP, Allianz. La question est de savoir si le contrat permet aux victimes étrangères de se retourner contre Allianz en France. Si Allianz obtient la nullité du contrat avec PIP - l'assurance a engagé une action en ce sens-, ce sera compliqué pour les victimes étrangères et françaises. Cette voie serait la plus rapide et la plus pertinente. Parallèlement, nous avons instauré un "lobbying" auprès des autorités françaises et européennes pour solliciter un fond d'indemnisation des victimes étrangères. En France, contrôlent les médicaments avant leur mise sur le marché. Pour les dispositifs non médicamenteux (l'esthétique, la cosmétique), aujourd'hui, c'est le fabricant qui est responsable. Il doit seulement obtenir des tests par des laboratoires agrées par les autorités. Cependant ce qui s'est passé avec les prothèses PIP prouve qu'une fraude est toujours possible. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de contrôles inopinés sur le site ? Il s'agit aussi de considérer que si des produits et des dispositifs médicaux passent les frontières de l'Union européenne, c'est que la législation est totalement laxiste. Nous en déduisons une forme de responsabilité si ce n'est juridique au moins morale de l'UE. Si certains pays sont très stricts, comme les Etats-Unis, pour d'autres, la certification européenne suffit car elle considérée comme un gage de crédibilité.
Quelles difficultés rencontrez-vous ? A la différence des victimes françaises qui peuvent venir au cabinet pour apporter leur dossier, les Argentines et les Vénézuéliennes sont représentées par des associations. Il y a des problèmes de transmission des dossiers, des pouvoirs. Il y a ensuite des problèmes de traçabilité des prothèses, les femmes n'ont pas toutes les certificats. Soit parce qu'elles faisaient confiance à leur médecin, soit parce ce que l'opération a été réglée au noir. En Argentine par exemple, en raison de la situation bancaire difficile, beaucoup payent en espèce. Or pour se constituer en France, il faut prouver qu'on a bien des prothèses PIP et qu'on a des lésions visibles sur une mammographie. C'est un travail de collecte des informations de longue haleine.
Les procédures pourraient-elles prendre des années ? Je n'espère pas. Les victimes n'ont pas toujours les moyens de se faire "explanter", en tout cas dans les pays où il n'y a pas de prise en charge comme l'Argentine. Dans d'autres endroits, l'extraction est prise en charge uniquement en cas de rupture ou bien quand l'opération était consécutive à une maladie. De plus, tous les pays n'ont pas le même système de sécurité sociale. On oublie souvent que ces femmes vivent avec ces prothèses. Se retrouver sans est impossible à concevoir pour elles. C'est l'aspect psychologique, le rapport au corps qui est dramatique et qui n'a pas véritablement été pris en compte dans toute cette explosion médiatique et politique.
Le scandale des implants PIP au Venezuela
JT de TV5Monde, 26.01.2012. Commentaire : Sophie Roussi.
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“La société condamne encore celles qui veulent avoir une meilleure image d'elle-même“
Virigina Luna, avocate, représente des porteuses de prothèses mammaires PIP en Argentine. Elle-même porte ces implants. Aujourd’hui, les analyses médicales ont montré qu’elle devait se faire opérer.
"Une des difficultés que nous rencontrons, c’est la minimisation du problème : il s’agit de femmes qui dans la majorité des cas ont subi une opération esthétique parce qu’elles voulaient se sentir mieux, avoir une meilleure image d’elle-même. La société semble encore condamner cela. La chirurgie esthétique est une sous-catégorie de la chirurgie plastique, mais cette dernière est une discipline médicale et en tant que telle, elle s’occupe d’êtres humains dans leur intégralité, santé comprise. Considérer uniquement la question sous l’angle de la beauté me paraît superficiel. Mais je suis optimiste sur les possibilités de changement de la société. D’un point de vue administratif, l’Etat argentin ne tient compte que de l’information officielle et celle-ci affirme seulement que le gel des implants n’est pas celui autorisé. La détérioration de la prothèse à cause du gel industriel n’est pas confirmée par les autorités sanitaires françaises. D’après ce que je sais, si cela venait à être confirmée, l’Etat argentin prendrait immédiatement des mesures préventives. Par ailleurs, il faut savoir que nos infrastructures de santé publique sont insuffisantes pour organiser en urgence des explantations sur 13 500 femmes dans des conditions de sécurité satisfaisantes".
Les grandes étapes de l'affaire des implants mammaires PIP :
2010 - 30 mars: retrait du marché des implants de Poly Implant Prothèse (PIP). Le parquet de Marseille ouvre une enquête. - 2 avril: première plainte. - 9 avril: retrait du marché au Chili.
2011 - 8 déc: Deuxième décès signalé. - 23 déc: la France recommande le retrait à titre préventif, après le signalement de huit cas de cancers. Les recommandations de surveillance, puis de retrait, se multiplient en Amérique latine et en Europe.
2012 - 5 jan: le fondateur de PIP Jean-Claude Mas admet la tromperie. - 11 jan: Allianz, assureur de PIP est condamné à indemniser une porteuse à hauteur de 4.000 euros. - 17 jan: l'Organisation mondiale de la Santé conseille aux porteuses de consulter si elles suspectent une rupture ou éprouvent une douleur. - 26 jan: interpellations de Jean-Claude Mas et de Claude Couty.