A l'image de Louisette Ighilahriz, qui, en dépit de son âge avancé, a tenu à être présente pour dire aurevoir à "sa soeur", évoquant avec émotion "la douleur de l'arrachement à ses filles que les forces de police coloniale ont fait subir à la défunte, en sus des supplices infligés en prison, sans que cela n'entame sa détermination à aller au bout de l'idéal auquel elle a cru", sur le site de l'agence de presse algérienne APS.
Kamel Bouchama, ancien ministre algérien
Fadéla Sahraoui, ancienne formatrice et engagée au sein du FLN de France, a connu Annie Steiner à l'université dans les années 50. "Elle m'a ouvert les yeux sur la réalité de ma condition de femme", confie-t-elle à la presse algérienne en marge de la cérémonie.
El Watan - Décédée mercredi dernier à l’âge de 93 ans : Obsèques de la moudjahida Annie Steiner à El Alia https://t.co/JiBHMoGPoZ pic.twitter.com/hBn53arKVn
— Afropages (@Afropages) April 24, 2021
Kamal Guerroua, Le Quotidien d'Oran

De son côté, Jazairhope.org salue en Annie Steiner "une icône qui ne s’éteindra jamais. (...) Elle n’a pas changé d’un iota, elle est restée elle-même avec son humilité, Annie Steiner, une femme dont l’amour envers la patrie est resté intact. Annie s’est éteinte mais son combat et son sacrifice seront gravés dans la mémoire collective des générations."
Décès Annie Steiner
— Horacius (@HoraciusD) April 23, 2021
Une très belle leçon de vie, utile par les temps courants.#genre #racisme #Discrimination #colonialisme https://t.co/37QgU1aRMo
Une Algérienne comme les autres
Dans les rues du centre-ville d’Alger, la silhouette d’Annie Fiorio-Steiner est familière. Collés aux murs, des jeunes la saluent toutes les deux minutes. Le sourire aux lèvres, Annie leur répond et continue sa route, d’une démarche lente mais assurée. Annie est une Algérienne comme les autres.
Elle voit le jour en 1928 dans la région de Tipaza d’un père directeur d’hôpital, originaire d’Italie, et d’une mère institutrice, née en Aveyron. Son père, qui parle arabe, « était un grand rebelle », assure-t-elle. « Il se battait contre toute forme d’injustice ». A sa mort en 1941, sa mère ne se remarie pas. Fervente catholique, elle ne comprend pas pourquoi sa fille apprend l’arabe au collège puis se lance dans des études de droit. « Vous savez, à l’époque, les filles pied noir étaient éduquées comme les Algériennes », sourit Annie.
Diplômée en 1949, elle travaille dans les centres sociaux algériens, créés par Germaine Tillion (figure de la résistance et ethnologue anticolonialiste entrée au Panthéon en 2015). Leur mission est de soigner et d’alphabétiser la population. Là, avec ses collègues, elle fait face à la misère des Algériens. « Les gens avec qui je travaillais avaient déjà de bonnes idées, se rappelle-t-elle. Mais je suis sans doute allée plus loin qu’eux. »

Annie Fiorio-Steiner devient ainsi agent de liaison du FLN, transportant des lettres et des couffins : « On ne m’a jamais demandé de poser de bombes. J’ai transporté des ouvrages sur la fabrication d’explosifs mais j’ai surtout transporté des lettres qui ont permis les accords entre le FLN et le PCA (Parti Communiste Algérien). » L’ancienne militante reste très modeste quant à son rôle durant la guerre. « J’ai pu faire beaucoup de choses car je n’étais pas fichée, mais non parce que j’étais meilleure que les autres. »
Solidarité sans faille en prison
Elle est arrêtée à son travail en octobre 1956 et emprisonnée à la prison de Barberousse, où sont enfermés les militants du FLN avant leur procès. Là, elle rencontre ses « sœurs », des moudjahidate, qui l’accompagneront durant sa captivité. Meriem, Fadila et Safia étaient infirmières au maquis. Avec elles, Annie ressent une réelle solidarité, un lien indissociable face à la dureté et la solitude de la prison. Aujourd'hui encore, elle est intarissable sur le sujet. « Sans solidarité, il n’y a plus de groupe. Il fallait faire bloc et se soutenir mutuellement. » Avant son procès, ses "sœurs" lui préparent des bigoudis et l’habillent avec les moyens du bord : « Surtout, il ne fallait pas provoquer de la pitié au tribunal. »
En mars 1957, elle est condamnée à cinq ans de prison et est emprisonnée à Maison-Carrée où elle rejoint des prisonnières de droit commun. Elle raconte, émue : « J’ai d’abord passé plusieurs jours au cachot où était enfermée une femme qui avait perdu la raison. La surveillante qu’on appelait Baqara (vache en arabe) m’a ensuite amenée dans les "cages à poules". C’était un grand dortoir avec des cellules très petites et grillagées. Devant moi, il y avait toutes les Algériennes, assises sur un banc posé contre le mur. »
J’étais révoltée et je le suis toujours bien sûr. Vous savez, la prison est une grande école
Annie Fiorio-Steiner
Annie Steiner continue à faire front avec ses "sœurs" et paye ses actions au prix fort. « Nous avons obtenu de rencontrer le CICR (Comité International de la Croix Rouge) lors de sa venue dans notre prison. Devant le directeur, j’ai affirmé qu’il y avait des vers dans la viande qu’on nous servait. J’ai alors passé trois mois en prison disciplinaire à Blida (à 50 kms sud ouest d'Alger, ndlr). » Dans cette nouvelle prison, la jeune femme ne peut pas sortir de sa cellule. Elle obtient une demi-heure de sortie par jour après une grève de la faim de deux semaines. « J’étais révoltée et je le suis toujours bien sûr. Vous savez, la prison est une grande école », affirme-t-elle.
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La perte de ses enfants
Annie Fiorio-Steiner est ensuite envoyée en France, dans des prisons de Paris, Rennes (Ouest) et Pau (Sud). En 1961, elle est libérée et se rend en Suisse Alémanique où résident son mari et ses deux petites filles. « Après mon arrestation, il avait quitté l’Algérie et il avait emmené mes filles qu’il avait arrachées à ma mère. J’ai essayé de reprendre leur garde mais j’ai perdu mon procès devant les tribunaux suisses. » Dans un silence, la dame aujourd'hui âgée a le regard embué : « Finalement, j’ai perdu la garde de mes filles, et c’est ça qui a été le plus dur. Je n’accepte pas le fait que l’on m’ait pris mes enfants. »
En savoir plus : Le témoignage d’Annie Fiorio-Steiner a été recueilli par la journaliste Hafida Ameyar et a été publié dans un ouvrage « La moudjahida Annie Fiorio-Steiner, une vie pour l’Algérie » édité par l’association « Les Amis de Abdelhamid Benzine ». Des extraits peuvent être consultés en ligne.
A Genève, elle rencontre Meriem qui lui paie le voyage pour rentrer en Algérie. A l’entrée du port d’Alger, des femmes, des émigrées kabyles de retour au pays, lancent des youyous pour célébrer la levée du drapeau algérien sur le bateau. Sans le sou, Annie est accueillie par ses "sœurs" de prison. Peu de temps après, elle occupe un poste de Directeur au Secrétariat Général du Gouvernement, poste qu’elle gardera plus de trente ans. Elle y aide de nombreux jeunes de l’administration algérienne à se perfectionner : « Ils avaient beaucoup de volonté. Ils sont comme mes enfants maintenant. »
Annie Steiner
Par modestie, Annie ne s’est jamais vantée de son parcours. Elle répète à l’envi que la guerre a été collective, menée par le peuple de façon anonyme. De nationalité algérienne, elle n’a plus jamais quitté son pays. Son attachement aux principes du 1er novembre 1954 l’incite à se révolter, encore aujourd'hui : « J’ai toujours cet idéal de libération, je ne l’oublierai jamais » assure-t-elle.
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