Les garçons investissent davantage la ville et bénéficient plus que les filles des loisirs publics. C'est ce que démontre une étude menée par une équipe de chercheurs dans deux grandes agglomérations du Sud de la France.
Les communes investissent plus pour les loisirs pratiqués par les garçons.
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A quand des villes faites pour les filles ? Entre les deux tours des élections municipales en France, cette question prend toute son importance. Selon des études menées pendant trois ans, de 2010 à 2013, dans l'agglomération de Bordeaux et de Toulouse, les garçons sont les premiers à bénéficier des équipements et des offres de loisirs soutenus par les collectivités locales. Les résultats chiffrés sont éloquents : deux tiers des activités de loisirs publics - toute confondues, autant sportives que culturelles - sont pratiqués par les hommes et un tiers seulement par les filles. Autre constant : « le décrochage des filles », souligne le géographe Yves Ribaud qui a collaboré à cette enquête. « A partir de la classe de 6e, poursuit le chercheur du CNRS, elles disparaissent des activités de loisirs alors que, plus jeunes, elles fréquentent les centres d'animations, font du sport et partent avec les Vacances pour tous ». Déséquilibre budgétaire Le déséquilibre devient d'autant plus fort qu'« une faible offre d'activités est proposée aux adolescentes tandis que les garçons bénéficient d'équipement coûteux comme les skates parks ou les terrains de foot et de basket » Ce qui se traduit par une injustice budgétaire : « trois quarts des efforts financiers en matière de loisirs portent sur les garçons », conclut Yves Raibaud.
« On a absolument tout compté ! »
Interview du géographe Yves Raibaud.
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Canaliser les garçons Du côté des élus locaux, qui procèdent aux choix financiers, les justifications sont quasiment toutes identiques. « On a bien vu au courant des entretiens que nous avons réalisés que c'est pour eux de l'ordre de l'évidence. "Les filles préfèrent rester chez elles, elles travaillent mieux en classe, elles sont plus studieuses", disent-ils. A leurs yeux, ce sont les garçons qui posent problème, qui sont perturbateurs dans la rue et en difficulté scolaire. Dans leur logique, il est donc "normal" que des aides publiques soient débloquées pour les garçons. » Autrement dit, « les élus mais aussi les directeurs de service ont une vision hétéro-normative de la ville avec les femmes à l'intérieur et les hommes à l'extérieur », analyse le chercheur.
La pratique du rugby féminin tend à se développer dans les villes.
Recommandations Comment changer cet état de fait ? Les idées ne manquent pas. En juillet 2013, un rapport sur l'égalité femmes-hommes dans les territoires a établi 60 recommandations. « Grosso modo, elles sont de deux types », synthétise Yves Raibaud. D'une part, élargir l'offre de loisirs pour les adolescentes, tout en rapprochant les lieux de loisirs (notamment sportifs situés le plus souvent en périphérie) du centre ville et en assurant une meilleure sécurité. « Par exemple, depuis que l'Union de rugby de Bordeaux–Bègles a ouvert une section cadette pour les filles, la pratique du rugby féminin est en train d'exploser », constate le spécialiste. D'autre part, calculer ce que la collectivité locale dépense par sexe - ce qui est appelé dans le jargon sociologique de la « gender budgétisation » - pour être en capacité d'évaluer le degré d'injustice budgétaire. Sans oublier aussi de permettre à plus de femmes d'accéder aux conseils municipaux et plus encore aux postes décisionnels stratégiques afin de faire évoluer la vision que les élus peuvent avoir de leur ville. Aujourd'hui encore en France, il n'y a que 35% de conseillères municipales, 13,8% de femmes maires et 7 % de présidentes élues à la tête des communautés de communes et des communautés d'agglomérations, selon le Haut conseil de l'égalité. Il est possible que les élections du 30 mars fassent augmenter les chiffres d’autant que la règle de la parité a été élargie aux petites communes (jusqu’à mille habitants). Toutefois, au premier tour, seuls 17% des têtes de listes étaient des femmes.
Montréal : une ville exemplaire
Interview du géographe Yves Raibaud.
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Plus qu’une nouvelle façon de représenter l’espace, c’est d’une autre manière de faire la géographie qu’il s’agit. Cela commence par un soupçon : à qui profite la géographie ? Le monde qu’elle prétend décrire n’est-il pas le monde qu’elle entend construire ? Géographie socio-culturelle, Yves Raibaud, L'Harmattan, 2011.