Fil d'Ariane
[VIDÉO] Au G20, interrogé sur l'#Afrique, Emmanuel #Macron se lâche sur les «7 à 8 enfants» des Africaines. Un problème «civilisationnel». pic.twitter.com/pJgdaeuuoz
— Politis (@Politis_fr) July 10, 2017
Rapidement, ses propos ont été commentés dans les médias. Ainsi dans le quotidien Libération, la journaliste Balla Fofana signe un édito "M. Macron, laissez tranquille le ventre des Africaines" soulignant qu'"il est intéressant de voir à quel point notre président, salué pour sa jeunesse, est un Moderne qui embrasse les thèses des Anciens (...). Macron réactive ainsi une idée qui a prospéré dès les années 1950 : les femmes africaines ne maîtrisent pas leur sexualité, elles sont à l'origine de la surpopulation et du sous-développement."
Même ton et même remarque dans la tribune d'Eliza Anyangwe dans le journal britannique The Guardian. Pour son auteure, le président qui a qualifié de "crime contre l'humanité" la présence coloniale française en Algérie, "reste sur une ligne ancienne quand il s'agit de la position française en Afrique", et ce "en dépit de sa jeunesse et de sa vitalité". Elle rappelle ainsi les propos tenus par Nicolas Sarkozy lors de sa visite à Dakar (Sénégal) en 2007 qui disait que "la tragédie de l'Afrique c'est que l'Africain n'est pas complètement entré dans l'histoire."
Bien qu'il ait promu l'idée de rupture et de renouveau lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron ne serait donc pas très différent de ses prédécesseurs ?
> A (re)lire sur Terriennes : La parité selon Emmanuel Macron.
Celui qui a aussi vanté pendant la présidentielle son attachement à la parité, aux droits des femmes, reprend, pour la politologue, historienne et féministe Françoise Vergès, un discours du XXe siècle.
Elle est l'auteure de l'ouvrage Le Ventre des femmes dans lequel elle revient sur les avortements forcés dont furent victimes les Réunionnaises dans les années 1960/1970, alors même que contraception et IVG étaient encore des crimes face à la loi. Elle y écrivait déjà : "On rend les femmes du tiers-monde responsables du sous-développement. En réalité, on inverse la causalité : la plupart des études prouvent aujourd'hui que c'est le sous-développement qui entraîne la surpopulation."
Françoise Vergès répond aux questions de Terriennes sur la déclaration d'Emmanuel Macron.
TERRIENNES : Dans les propos d'Emmanuel Macron, on comprend que le soi-disant fort taux de natalité des femmes africaines participe au sous-développement et à la surpopulation de certains pays africains. Pourquoi ?
Françoise Vergès : Dans les années 1950, le discours occidental qui impute pauvreté et sous-développement aux femmes de ce qui s'appelait alors le tiers-monde se développe et se renforce. Ce sont en très grande majorité des hommes qui dissertent là-dessus dans les congrès sur la population et prônent le contrôle des naissances pour combattre la misère, mais il est aussi déjà question de la peur des migrations - "tous ces enfants devenus adultes voudront venir en Occident ! - et de sécurité.
Des éléments de discours sont déployés sur les populations du Sud qui se sont perpétués : négligence des gouvernements, ignorance des femmes, leur incapacité à bien s'occuper de leurs enfants, des hommes qui n'auraient aucun sens des responsabilités. Ça produit des images de chaos, d'enfants au ventre gonflé que les parents négligent, de masses dangereuses prêtes à envahir l'Europe.
Son discours a des relents racistes et paternalistes.
Françoise Vergès.
Mais il n'y a pas un mot sur les conséquences de la colonisation - monocultures, travail forcé, déplacements de population, massacres, exploitation des ressources premières au profit des pays colonisateurs, ni de la contribution des peuples colonisés à la richesse de l'Occident. Il ne faut surtout pas qu'une analyse relie la pauvreté à ces pratiques. Les institutions internationales et les États prendront en main la politique de contrôle des naissances mais sans jamais tenir compte des femmes et on assistera à des campagnes de stérilisation massive au Pérou, à Porto Rico, aux États-Unis, en Inde, etc.
Son discours a des relents racistes - c'est toujours "là-bas" qu'elles feraient trop d'enfants - et paternalistes -"elles ne savent pas ce qu'il leur faut".
TERRIENNES : Pourquoi les femmes - et pas les hommes - apparaissent-elles encore dans ce discours comme la cause de tous les maux ?
Françoise Vergès : On retrouve dans cette accusation des femmes qui seraient la source des maux l'expression millénaire de la domination masculine. Certes, il n'y a pas que la domination masculine qui opprime les femmes, mais elle y contribue largement ; et toutes les femmes ne sont pas opprimées de la même façon, mais n'évitons pourtant pas l'analyse de cette domination. Le débat sur ce qui est le plus important - le genre, la classe, la racisation - est stérile, car il fait obstacle à une analyse qui croise ces éléments, qui étudie leur intersection.
TERRIENNES : Quelle est donc la réelle cause de l'explosion démographique, du sous-développement de certains pays africains ?
Françoise Vergès : L'Afrique a longtemps été sous-peuplée. La traite transatlantique en a été la cause, a écrit l'historienne spécialiste du continent, Catherine Coquery-Vidrovitch. Elle a dépeuplé des régions entières, fait vivre des sociétés sous la terreur, déporté des millions d'hommes et de femmes.
La colonisation suit la traite - dépossessions, guerres de conquête, massacres, travail forcé, déplacements de population, destruction de villes, de royaumes, imposition de monocultures, d'une économie d'extraction, régime d'apartheid, guerres coloniales féroces...
Dire "L'Afrique fait trop d'enfants" n'est pas une analyse, c'est une opinion qui entraîne inévitablement une représentation négative.
Françoise Vergès
Le continent a mis longtemps à s'en remettre. Alors si aujourd'hui l'Afrique vibre, qu'elle est jeune, le reste du monde ne devrait-il pas s'en réjouir après avoir assisté à cette prédation ? Je ne vais pas nier qu'il n'y aurait pas de problèmes. Il suffit de lire des Africaines et Africains hier et aujourd'hui. Ils n'ont cessé d'analyser leurs propres problèmes, suggérer des solutions. Des mouvements d'artistes, de jeunes, de femmes, d'intellectuels ont fait reculer des régimes autoritaires et policiers. L'Afrique produit des pensées, des réflexions, des propositions sont faites chaque jour, d'en bas, pour répondre aux défis - critiques d'une urbanisation mal pensée, de la corruption, des interventions militaires, de la domination masculine...
L'Afrique a été pillée et elle a des gouvernements soumis à la logique du marché néolibéral, qui vendent ressources, terres et biens - comme le font des gouvernements en Europe ou en Asie. Il faut une approche globale aux questions de la population qui sont intimement liées à celles de l'éducation, de la justice sociale, de l'environnement, des guerres et du respect de la voix des femmes. Dire "L'Afrique fait trop d'enfants" n'est pas une analyse, c'est une opinion qui entraîne inévitablement une représentation négative.
Les explications de Gilles Pison, démographe, chercheur associé à l'INED.
Selon lui la fécondité moyenne en Afrique est de 4,5 enfants par femme contre 2,5 dans le monde.