Quand les entreprises s’engagent pour les femmes : féminisme ou marketing ?

Des entreprises, de tous secteurs, multiplient les initiatives dites « philanthropes » en faveur des femmes. Réels engagements féministes ou « féminisme washing », un nouveau coup marketing dans l’air du temps ?
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entreprise philanthrope
Les entreprises multiplient les initiatives en faveur des femmes. Marketing ou vrai féminisme ? 
©Photo iStock /LightFieldStudios
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Shampoings, cosmétiques, serviettes hygiéniques, vêtements de sport, sodas, assurance… Ceci n’est pas une liste de courses mais autant de produits vendus par des marques, ou des entreprises, qui ont pour point commun : leur engagement qui se veut « féministe ». 

Cela s’illustre tout d’abord au travers de leurs campagnes publicitaires dans lesquelles certaines marques comme Always, Dove, Nike ou L’Oréal battent en brèche des stéréotypes de genre encore (trop) répandus dans la publicité.

Leurs spots mettent en scène des femmes ou des jeunes filles, pour qui, l’usage des produits vendus accompagne l'épanouissement et la réussite professionnelle. Rien que ça. Il ne s’agit plus simplement d’esthétique ou de style.  

publicités féministes
Quelques exemples de messages des marques dove, Pantene et Always faisant la promotion de leurs initiatives en faveur des femmes. 
©capture d'écran

Ça, c’est l’image sur le papier glacé, renvoyée aux consommatrices. Ces marques vont même plus loin en menant des actions visant à valoriser les femmes et leurs compétences, à les aider à lutter contre les préjugés, à réussir dans leur domaine de leur choix… Florilège : 

« ALWAYS s'engage pour que les jeunes filles développent leur confiance en elles »  en s’alliant à des associations ou des organisations locales pour l’éducation des filles ou la distribution de produits d’hygiène. 

Pantene propose de donner ses cheveux pour des femmes malades de cancer quand Dove fournit des contenus pédagogiques pour que les adolescentes développent une estime d’elles-mêmes. « Notre mission est de faire de la beauté une source de confiance et non d'anxiété », dixit le site internet de la marque de produits cosmétiques. 

L’Oréal - au travers de sa fondation - récompense chaque année des femmes scientifiques et finance des programmes d’aide aux femmes dans les centres hospitaliers. 

Et cela ne s’arrête pas là… Camaïeu, marque de vêtements française, propose à ses clientes d’arrondir le montant de leurs achats pour reverser la différence à des associations ; l’assureur Axa soutient l’entrepreneuriat au féminin tout comme Coca-Cola ; Clarins récompense aussi chaque année une femme qui s’engage auprès des enfants. 

« Féminisme washing » 

Bref, il y en a pour tous les goûts, et toutes les causes liées aux femmes… Apparemment, associations ou pouvoirs publics n’y suffisent plus. Ces entreprises s’y mettent aussi. Toutes et tous uni.e.s pour les femmes ? 

Certain.e.s dénoncent un « féminisme washing » d’entreprises qui se donnent une image féministe bien éloignée de la réalité de leur activité ou de leur politique salariale interne envers les femmes. Un peu comme le  « green washing », lavage vert,  pour l'écologie.  A l'oeuvre aussi chaque 8 mars, journée internationale des droits des femmes...

Après les affaires Weinstein, les mouvements #Metoo, #Balancetonporc qui ont suscité les débats sur la parité, les inégalités hommes-femmes, la défense des droits des femmes, s’engager pour les femmes relève aujourd'hui d’une bonne stratégie de communication. 

Qu’en est-il réellement de l’engagement « féministe » de ces marques ? Pourquoi ces entreprises s’investissent-elles autant dans la cause des femmes ?  

Pourquoi les femmes ? 

Certaines se sont lancées depuis longtemps. L’entreprise qui a une activité lucrative doit passer, entre autres, par des Fondations pour mener ses activités caritatives.

C’est le cas de la marque française de cosmétiques Yves Rocher dont le fondateur a créé une Fondation publique à son nom. Depuis 17 ans, elle récompense chaque année des femmes qui se batent pour l’environnement, par un prix Terre de femmes, national et international, dont TV5MONDE est partenaire via son site Terriennes. « On s’aperçoit sur le terrain que là où les femmes sont autonomes, il y a des choses qui se passent, plus justes, plus harmonieuses », souligne Claude Fromageot, directeur du développement durable du groupe, il dirige aussi la Fondation Yves Rocher « indépendante de la marque », précise-t-il. « Les femmes sont vraiment créatrices de nouvelles solidarités, elles sont astucieuses. Plus que jamais, il est nécessaire d’inventer une nouvelle économie et elles y participent. »

Qu’une marque de cosmétiques s’investisse auprès des femmes, on peut y voir une certaine cohérence. Pour d’autres cela peut être plus surprenant. 

C’est le cas de la multinationale américaine Coca-Cola. Elle « soutient l’émancipation, l’égalité, l’esprit d’entreprendre des femmes depuis plus de 10 ans », assure Clarisse Fageolles, responsable de la politique responsabilité sociale et environnementale de la marque en France.

« Le sujet des femmes fait partie de l’engagement social de Coca-Cola partout dans le monde avec le programme 5by20 lancé en 2006. L’objectif est de soutenir le développement économique et social de 5 millions de femmes d’ici à 2020 dans près de 75 pays. »

Pourquoi les femmes ? Un combat lancé par l’ancien PDG de l’entreprise et parce que « dans bon nombre de pays où nous sommes présents, elles vivent dans des conditions  parfois très difficiles », précise Clarisse Fageolles. Ajoutons que les femmes sont aussi clientes de la marque et représentent un bon parti commercial. 

Ce marché féminin représente la moitié de l’humanité. Et les femmes restent, dans le monde, majoritairement les responsables des achats pour le foyer. « Le premier marché émergent, ce n’est pas la Chine, mais les femmes ! », souligne Christelle Delarue dans un article du monde.fr. Elle est fondatrice de l’agence de publicité Mad et Woman, et membre du collectif féministe « 52 ».

Pour mener à bien son programme en faveur de l’autonomie des femmes, Coca-Cola noue des partenariats avec des associations locales. En France, le géant du soda travaille, depuis 10 ans, avec l’association Force Femmes qui aide des femmes de 45 ans sans emploi à retrouver une activité salariale ou à créer leur entreprise. 

Un partenariat "gagnant-gagnant"

En quoi consiste leur partenariat ? Un mécénat financier. Coca-Cola donne entre 200 000 et 300 000 dollars par an à l’association (quand l'entreprise affiche plus de 35 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2017). La marque américaine américain permet à des salariés bénévoles d'y animer des ateliers, faire du « mécénat de compétence ». 

Les associations comme celle-ci servent-elles, malgré elles, de faire-valoir à des marques qui affichent leur engagement dans le social ? Pas pour Elise Moison, déléguée générale de Force Femmes. « C’est du gagnant-gagnant », assure-t-elle. Les associations qui bénéficient de l’aide de ses fondations, accroissent leur visibilité. 

Et l’aspect financier n’est pas négligeable, une "course de fonds" pour les associations reconnaît Elise Moison. « Depuis la création de l’association, on est financé aux deux tiers par des entreprises privées et au tiers par des financements publics », détaille-t-elle. 

Même raisonnement de Laurence Ligier, fondatrice de l’association Caméléon qui vient en aide notamment à des petites filles et adolescentes victimes de viol ou démunies aux Philippines. Elle aussi assure n’avoir jamais « senti que l’on nous utilisait ».  Aujourd'hui, les fondations d’Air France, de Clarins ou encore de Raja, notamment, assurent 20% des finances de Caméléon. « Cela pourrait être plus », remarque Laurence Ligier.

Mais les démarches pour décrocher de tels financements sont devenues fastidieuses. « Avant, c’était simple, mais de plus en plus, ils nous demandent des détails de notre action. Ils ont renforcé   le contrôle de leurs finances. Cela nous demande de plus en plus de temps. Avant ce type de rapport, c’était pour l’Union européenne, les Nations unies…» Ces partenariats qui ne sont jamais tenus pour acquis astreignent les associations à  « une prospection permanente », explique Laurence Ligier. 

Les entreprises philanthropes ? 

Mais alors que retirent les entreprises de cette philanthropie ? Donner de l’argent - et qui plus est du temps de ses salariés - ne sert pas son but lucratif premier. « Certaines entreprises utilisent la philanthropie comme un outil de marketing, dans divers buts, allant de l’augmentation de la popularité du PDG à la manipulation de l’opinion publique locale », résume Anne-Claire Pache, professeur de politiques publiques et privées, dans une interview donnée à un blog de l’ESSEC

« Bien sûr c’est une démarche de réputation d’entreprise, classiquement. Mais on n’en attend pas vraiment de retour de notoriété, on a d’autres outils, d’autres médias pour se faire connaître », assure Clarisse Fageolles, responsable politique RSE de Coca-Cola France. 

Cet engagement « social » représente un autre intérêt en interne pour l’entreprise : « Il faut désormais venir avec un projet dans lequel on explique ce que l’association peut aussi apporter à l’entreprise en contre-partie qui n’est pas financier évidemment, souligne Laurence Ligier. Il faut justifier pourquoi la boîte nous aiderait et ce que nous pouvons mettre en place avec elle pour motiver les salariés à nous aider. »  

Cela permet donc de motiver ses salariés, satisfaits de travailler pour une entreprise soutenant de belles causes. « Les salariés et surtout les jeunes aujourd’hui, veulent donner du sens à leur travail. Les entreprises sont conscientes que les salariés sont leur principal capital donc elles investissent dessus  », explique Sophie Schiller, juriste et professeur à l’université Paris-Dauphine.

La philanthropie d’entreprise reste plus coûteuse que la salle de sport ou le babyfoot. « Toute cette politique de Responsabilité sociale et environnementale (RSE) permet de donner du sens pour des entreprises qui l’ont fait d’abord volontairement. La loi a ensuite suivi », précise Sophie Schiller. 

Tous pour soutenir les femmes : un avantage fiscal aussi 

En effet, ces démarches sociales en faveur des femmes relèvent en fait de ce que l'on appelle la "Responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises". 

« Jusqu'à présent, les politiques RSE étaient des politiques volontaristes, spontanées des entreprises. Mais les choses ont évolué, de plus en plus de textes impératifs ont obligé les sociétés à prendre en compte ces différentes politiques RSE », explique la juriste Sophie Schiller. Cela passe par des engagements envers des associations mais aussi par des politiques internes d'équité de salaire ou de parité par exemple. 

« L’Etat y trouve son intérêt en voyant que toutes ces missions [sociales et environnementales, ndlr] peuvent être assurées par ces différentes organisations. Il n’a pas à le faire. Pour essayer de les pousser à mener ces actions, l’Etat donne aux entreprises un régime fiscal qui n’est pas trop mal parce que cela coûte très cher aux sociétés », précise la juriste Sophie Schiller.

Un rapport sur l’entreprise et l’intérêt général vient justement d’être rendu en France par Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, désormais présidente de Vigeo Eiris, et Jean-Dominique Senard, patron de Michelin. Les recommendations de leur rapport pourraient être reprises dans une loi bientôt présentée. 
 
Cela remet donc aussi en cause la position de l’entreprise dans la société civile. Elle devient très impliquée. 

Du côté des associations, on voit le côté positif : « Si l’on parvient à monter un écosystème où les pouvoirs publics, les entreprises et les associations travaillent main dans la main, chacun avec ses ressources, ses compétences et son expertise, tant mieux reconnaît Elise Moisin de Force Femmes. On progresse et on est beaucoup plus efficaces. »