Quand les femmes découvrent leurs cheveux blancs et gris : mode ou liberté ?

Un livre en France, de Sophie Fontanel, des groupes virtuels ou réels de part et d'autre de l'Atlantique, des mannequins d'un nouvel âge : les chevelures immaculées ont la cote. Simple phénomène de mode, ou évolution de la société occidentale vers un retour au naturel ? 
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sophie fontanel
L'écrivaine et journaliste Sophie Fontanel a tenu le journal de bord de la fin de ses teintures, sur Instagram, puis un livre. On la voit ici en compagnie de deux autres adeptes
(c) https://www.instagram.com/sophiefontanel/?hl=fr
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Deux fois par mois, je passais les week-ends chez ma grand-mère maternelle. Dans la rue, elle n'aurait ôté son foulard pour rien au monde, mais dans son minuscule appartement elle laissait apparaître ses magnifiques cheveux blancs, d'abord enfermés dans un chignon, puis le soir ondulants jusqu'au bas du dos, pour les brosser longuement devant mes yeux émerveillés.

Ma grand-mère paternelle, entourée en permanence d'un halo de parfum coûteux, le visage soigneusement poudré sous un un bibi et une voilette en maille, ne se teignait pas plus sa coiffure courte, grise et bouclée pour sortir dans le grand monde qu'elle fréquentait. 

Plus tard, une femme exceptionnelle qui roulait les r avec l'accent égyptien, acheva ma formation intellectuelle. Avant 40 ans, Didar Fawzy Rossano avait arboré une crinière blanche qui faisait dire à son cousin, mon père,  "tout de même quelle classe !".  Fille et petite fille à sa suite tout aussi blanches tout autant libres. 

Les cheveux gris n'ont jamais été aussi punk
Vice magazine

Et voici que les cheveux blancs, gris ou encore poivre et sel, mais uniquement ceux des femmes (ceux des hommes sont magnifiés depuis longtemps), sont en passe de devenir le sujet du moment, un fait de société total, autour duquel on s'enthousiasme ou l'on s'écharpe. Alors qu'en ce mois de septembre 2017 se déroule la fameuse fashion week de New York, là où s'édictent les normes de beauté féminine, certains des empires du luxe infléchissent leurs diktats : moins de maigreur, plus de cheveux blancs, tels ceux de la nouvelle égérie des podiums Maye Musk. Ce que le site "Vice" résume ainsi : "les cheveux gris n'ont jamais été aussi punk".

Une tendance qui n'est sans doute pas étrangère à cet autre phénomène de mode, blogs et autres mots dièse déclinés sous toutes les coutures - #goinggrey (aller vers le gris), #grannyhair (cheveux de grand-mère), #silverhair (cheveux d'argent), #greyhairdontcare (les cheveux gris ça m'est égal), etc, qui colonisent les réseaux sociaux, twitter ou facebook. Ce qui me stupéfie. 

Les cheveux blancs, un autre marqueur de l'inégalité entre les femmes et les hommes

La stupéfaction, c'est d'abord cette médiatisation des cheveux blancs des femmes, tant c'est pour moi un non sujet. Et pourtant, un ami, résolument féministe, avoue que les cheveux gris annihilent pour lui toute séduction. Parce que, dit-il, "ils sont le marqueur de la vieillesse, une renonciation".

Je n'ai jamais imaginé me teindre les cheveux, autrefois blonds avec des reflets roux, aujourd'hui parsemés de fils blancs et gris, qui doucement conquièrent ma tête. Mais je n'ai jamais non plus envisagé de faire la leçon à celles qui se teignent leur chevelure, la plupart de mes amies et consoeurs en réalité. En ce domaine, comme à tout ce qui touche le corps, et singulièrement celui des femmes, chacun.e devrait pouvoir faire comme bon lui semble. Or, ai-je appris, se teindre les cheveux n'est souvent pas un choix librement consenti mais une soumission aux normes du moment. Et le retour du gris, plus qu'une liberté retrouvée, pourrait bien devenir une nouvelle norme.

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Il fut un temps, on parle du 18ème siècle, où les dames, de la noblesse, se coiffaient d'une perruque blanche, ce fameux blanc de céruse, aussi toxique que les teintures modernes. Un blanc qui, aux yeux des hommes et des "gueux", marquait la différence, celle d'une classe, d'une caste supérieure qui savait se reconnaître et s'affirmer. Le New York Times nous apprend qu'il s'agissait surtout de "masquer l'odeur des plaies du cuir chevelu causées par une épidémie de syphilis".

Ce #grannyhair pourrait indiquer un renversement du dédain vis-à-vis du vieillissement visible
New York Times

Dès 2015, le quotidien américain s'est intéressé à ce phénomène de mode, qui n'est pas seulement pour les femmes, jeunes ou pas, de laisser apparaître leurs cheveux gris, mais de les teindre en blanc ou gris, le comble du comble en quelque sorte.  
"L'obsession apparue avec ce #grannyhair pourrait indiquer un renversement du dédain vis-à-vis du vieillissement visible. Annie Gaia, une créatrice de chaussures de mode basée à New York et âgée de 28 ans, a décidé de teindre ses cheveux noirs en gris parce qu'ainsi elle se sent 'très fraîche et avant-gardiste'. Mais Gaia aime aussi son nouveau look parce qu'il attire l'attention de femmes qui ont passé des années à essayer de masquer leurs cheveux gris."

Marie-Antoinette
Marie-Antoinette, trois portraits, trois âges, toujours le même gris des perruques ou des cheveux
Wikicommons

Les femmes ne sont pas condamnées à rester telles qu’elles ont été dans leur jeunesse. Elles ont le droit (je ne dis pas que c’est un devoir, et chacun fait comme bon lui semble) de s’enrichir d’un autre aspect, d’une autre beauté
Sophie Fontanel, écrivaine - journaliste

Sophie Fontanel est journaliste de mode, longtemps au magazine féminin Elle (autre prescripteur de normes), aujourd'hui au Nouvel Observateur. Son style est très reconnaissable et séduisant : elle se met en scène pour essayer les nouvelles tendances. Dans ses livres aussi. Avec "L'apparition", son dernier opus, elle récidive, cette fois il s'agit de ses cheveux. A 53 ans, elle a décidé d'arrêter la teinture, et ses fans ont pu suivre jour après jour, sur le réseau Instagram, pendant presque deux ans le voyage du chatain au gris. Ce qu'elle appelle sa blandeur... « Les femmes ne sont pas condamnées à rester telles qu’elles ont été dans leur jeunesse. Elles ont le droit (je ne dis pas que c’est un devoir, et chacun fait comme bon lui semble) de s’enrichir d’un autre aspect, d’une autre beauté », écrit-elle.

Fonelle d'Or décerné ce jour à @salsa1914 qui, par sa question, ouvre en fait un monde. Peut-être bien que les cheveux blancs sont en train de sortir du tunnel ! Peut-être bien qu'ils vont faire envie ! Peut-être bien qu'au milieu de toutes les possibilités (et on en a tant, c'est bien!), se teindre, se tondre, se tirer, va y en avoir une autre à la mode ! Si j'y suis un tout petit peu pour quelque chose, je fonds de bonheur. Et quand je pense que le livre #uneapparitionsophiefontanel n'est pas encore sorti (17 août)...! Je signale d'ailleurs, vu que cela aussi revient dans les coms, qu'il est en pré-commande sur Amazon (lien direct dans mon profil). It means : she wrote : "Hello, tell me how can I do to get the same hair as you ?!" I am so happy to read this sentence. Something's happening there...! #fonelledor

Une publication partagée par SophieFontanel (@sophiefontanel) le 7 Juil. 2017 à 5h45 PDT

Les cheveux des femmes, un tabou social

En 250 pages, elle revient donc sur cette "aventure", un chemin de Damas , où l'on croise ses amies, la célèbre mannequin Inès de la Fressange (très en colère : " FOLLOWERS DU MONDE ENTIER, EMPÊCHEZ-LA #idéeabsurde") ou la comédienne Arièle Domballe (très enthousiaste : "Sophinette ! Mais... regardez-moi cette chevelure ! Ça va être fantastique !"), mais aussi des inconnu.e.s, qui la félicitent ou l'insultent. Bref, une passion humaine, à laquelle, il faut bien convenir que comme lectrice aux cheveux blonds et gris, on a eu quelque difficulté à s'identifier. Jusqu'à ce que d'autres, pourtant bien peu enclines à se conformer aux injonctions édictées par les créateurs de mode, nous expliquent la violence sociale qui se joue autour de la couleur des cheveux des femmes. 
 
Une apparition
L'essayiste et journaliste (Le Monde diplomatique), Mona Chollet (elle-même coiffée d'un beau casque gris), dans son blog "La Méridienne", avoue avoir eu la dent dure pour Sophie Fontanel en d'autres temps. Aujourd'hui, elle salue "l’expérience passionnante, libératrice, euphorisante que cela a été" (i.e. le récit de Sophie Fontanel). Parce qu'elle voit dans ces incitations à la coloration des cheveux blancs, un tabou social :"Le tabou est bien plus marqué pour les femmes. Non seulement un préjugé les condamne à ne pouvoir séduire que par leur fraîcheur, leur fécondité supposée, leur ingénuité inoffensive, mais, chez elles, les cheveux blancs sont associés à des images peu flatteuses, dont l’inconscient collectif est saturé : la grand-mère à confitures, ou alors la vieille sale, négligée, malfaisante." Passés les 50 ans, les femmes seraient condamnées à n'être que mère Michèle, sorcières et autres Cruella...

Les modèles de femmes puissantes aux cheveux blances, en France, ne manquent pourtant pas : on citera la directrice du Fonds monétaire internationale Christine Lagarde, la chanteuse Françoise Hardy, ou encore les journalistes de télévision Elisabeth Quin et Véronique Auger.
Cheveux blancs exemples
Christine Lagarde, François Hardy, Elisabeth Quin, Véronique Auger, fières de leur "blandeur", néologisme de Sophie Fontanel

Cheveux teints ou gris, des injonctions de mode dont il faut se défaire

On ne peut pas soupçonner ma conseur Hélène Stiefel de se soumettre aux diktats des industries de la mode et du luxe. Elle ne l'a jamais fait. Elle a au contraire exploré son corps pour le sculpter à ses désirs, au gré d'un mode de vie bien éloigné des magazines de papier glacé, des codes et des convenances. Nous travaillons ensemble depuis 25 ans.
Quand je l'ai connue Hélène était alors brune, sa couleur d'origine, mais qui déjà n'était plus naturelle. Plus jeune, elle avait essayé le bleu, le vert ou le rouge. Malgré la toxicité des produits colorants, de leurs effets sanitaires sur les coiffeuses qui les manipulent, et les consommatrices qui les utilisent, en contradiction avec ses vues sur la vie. 
Et puis à 50 ans, stop. La voilà au naturel, avec de longs cheveux en camaieu de gris jusqu'au blanc. Elle aussi nous raconte ce passage. Voici son  témoignage. 

Il ne faut pas sous-estimer la violence du phénomène, en termes de métamorphose, quand on est brune
Helène Stiefel, journaliste

"J'ai toujours considéré mes cheveux comme un terrain de jeu. J'ai commencé à les teindre au collège, avec du henné. Puis ado, jeune adulte, j'ai eu les cheveux de couleurs étranges, du genre vert ou bleu. J'ai été blonde pendant une semaine. J'ai beaucoup joué avec ça. J'ai eu les cheveux blancs très tôt, et comme mes cheveux étaient teints, je ne m'en suis pas vraiment rendue compte. 

Et puis un jour, c'est vrai que je suis passée à une teinture plus conventionnelle. Je pense que personne n'est libérée en tout. On est libérée en certaines choses, mais jamais en tout. Et puis, surtout, il ne faut pas sous-estimer la violence du phénomène, en termes de métamorphose, quand on est brune. Pour une femme qui est châtain clair - blond, les cheveux blancs s'insinuent très lentement. Alors que brune, c'est plus complexe, brutal.

On arrête de se teindre les cheveux quand on a compris qu'on avait changé de moment de la vie
Hélène Stiefel

On arrête de se teindre les cheveux quand on a compris qu'on avait changé de moment de la vie. Pour moi, jusque il y a pas si longtemps, je n'avais pas l'impression d'être vraiment dans mon âge. Et les cheveux marquent l'âge. Ce sont des choses liées à notre évolution interne, à ce qu'on est capable d'assumer ou pas. On n'assume jamais tout. Ce sont des sujets avec lesquels personne n'est clair. Des sujets qui sont remplis d'injonctions contradictoires. J'aurais détesté qu'on me dise de laisser mes cheveux blancs, de me moquer d'avoir l'air plus jeune. Ca ne regarde vraiment personne d'autre que soi, même si c'est aussi de l'affichage. 

Hélène Stiefel Cheveux blancs
Hélène Stiefel, et ses longs cheveux blancs
(c) Sylvie Braibant

On me dit que j'ai l'air plus jeune… C'est parce que mes cheveux sont tellement blancs par rapport à mon âge que d'une certaine façon ça boucle la boucle, parce que c'est comme une nouvelle couleur. Finalement, je suis encore en train de jouer.
Quand on se laisse pousser les cheveux teints, on a un petit look à la Agnès Varda pendant un moment, et généralement quand les femmes décident que l'heure est venue et qu'elles vont assumer leur gris, elles en profitent pour se couper les cheveux. Pour moi, les couper, ce n'était pas envisageable.
Mais il ne faut pas exagérer, ce n'est pas vraiment un sujet de livre. Après, quand on est brune et j'insiste là dessus, il y a une telle frontière, une ligne horizontale, artificielle, sur notre tête, les deux premiers mois, on peut imaginer les commentaires 'ah tiens, elle n'a pas eu le temps de faire sa couleur…'  ou encore 'la pauvre, j'espère qu'elle n'a pas de rendez-vous important'. Mais au bout du troisième mois, on ne voit plus aucune embrouille… Et après, ce qui est sûr, c'est que c'est une école de la patience. 

J'ai pensé bien sûr à la toxicité des produits colorants, aux effets ravageurs que cela pourrait avoir sur les ouvrières qui les fabriquent, mais il faut bien admettre qu'il y a un truc dans l'apparence, dans l'image que tu projettes, aux autres, au monde, qui surpassait cette conscience là. J'avais fait une première tentative de laisser mes cheveux blanchir mais à ce moment-là, ça ne me plaisait pas. J'ai repris la teinture. Et je dois aussi avouer que je suis plutôt allée vers des produits très corrosifs, plutôt que vers les bio qui sont pourtant plus en rapport avec mon mode de vie. 

Aux Etats-Unis, que je connais bien, où j'ai vécu, il y a un fossé entre des filles très apprêtées ou plus rien n'est laissé au hasard, jusqu'à la boucherie de la chirurgie esthétique, et celles qui sont résolument détachées de tout cela. Et des deux côtés, ce qui est très perturbant pour moi, c'est qu'il y a autant d'injonctions. Je supporte mal d'entendre qu'il ne faut pas s'épiler par exemple, parce que ce serait politiquement incorrect. Le rapport au corps il est plus compliqué que ça, que bien/pas bien. Je ne supporte ni l'un ni l'autre. Mais j'en joue quand même.

​Je m'applique des contradictions, comme toutes les femmes, du fait de ces injonctions. J'ai remarqué que les cheveux blancs étaient désormais à la pointe de la mode. Mais ça ne me concerne pas. La mode est un univers qui m'est totalement étranger. Mes cheveux blancs, pour faire un peu de psychologie rapide, ça a vraiment correspondu à mes 50 ans, au départ de ma fille, c'est de l'affichage en fait. Il faut que les gens comprennent que je suis passée dans un autre moment de la vie. Ce qui est le contraire d'un moment de renoncement. Je suis juste plus tranquille qu'avant."

Agnes Varda 2017
Hélène Stiefel dit : "Durant deux mois, on a un petit côté Agnès Varda". Voici la cinéaste, sa chevelure bicolore, au Festival de cinéma de San Sebastian (Espagne) fin septembre 2017... 
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1