Fil d'Ariane
Si tu peux conduire, je peux conduire
A la « Tour Guide School » d’Arusha, les camarades masculins ne se faisaient pas d'illusion pour Aziza : sa carrière se fera, comme toutes les femmes, à l’office, dans les bureaux. « Je leur disais : "si tu peux conduire, je peux conduire, si tu peux guider des touristes dans les réserves, j’en suis aussi capable, et nous verrons bien à la fin qui aura raison" », se souvient-elle, sourire aux lèvres. Parée pour la compétition, Aziza mesure véritablement la difficulté d'être une femme dans cette profession à la sortie de l’école. « Parce que les employeurs n’avaient encore jamais vu de femme postuler qui n'était pas une expatriée, ils ne me pensaient pas capable d’exercer aussi bien qu’un homme. »
L’occasion se présente enfin. La chaîne « AndBeyond », leader mondial des campements de luxe dans les plus belle réserves du continent, lance un appel à candidatures : « Au premier entretien, il y avait plus de 300 personnes, et seulement cinq femmes ». Sur les 10 derniers concurrents, neuf hommes, et elle. Ils enchaînent une semaine d’épreuves intensives : marches interminables, conduite de 4x4, identification d’oiseaux ou de plantes… « Nous avons aussi dû pousser le véhicule pendant plus de trois heures car ils avaient volontairement retiré les fusibles. Nous n’avions pas le droit à l’erreur », se souvient celle qui est finalement sélectionnée aux côtés de deux hommes.
Et si un éléphant te charge ?
« Lorsque j’ai débuté au lac Manyara Tree lodge, il n’y avait que trois femmes : la femme du manager, la cuisinière… et moi ! », s’exclame-t-elle en riant. Le manager envisage alors mal l’arrivée d’une femme dans son équipe de rangers baraqués. « Pour lui, je cherchais simplement à mettre de l’argent de côté pour retourner à l’université ou en attendant de me marier. » A son arrivée, elle supporte les railleries de certains de ses collègues, sans se démonter : « Je pense qu’elle va se perdre dans la savane les gars. Si elle revient avec les touristes à la fin de la journée, je mange mon chapeau ! » ou encore « Que vas-tu faire si ton pneu est crevé ? Et si un éléphant te charge ? ».
A ce jeu misogyne, certains touristes ne manquent pas non plus à l’appel. « Un jour, je suis venue chercher une Belge à l’aéroport. Elle n’en croyait pas ses yeux : "Mais qu’allez-vous faire si des animaux nous attaquent ? Et qui portera mes bagages ?" » Elle se plaint au manager : elle n’a pas payé aussi cher son séjour pour avoir une femme comme guide. Tant mieux, Aziza refuse de la guider : « Un collègue m’a remplacée et le lendemain, je suis allée chercher d’autres clients qui eux, ont été ravis. Le soir, ils n’arrêtaient pas de dire à tout le monde : "C’est une femme nous qui nous guide et elle est géniale ! Elle nous a parlé de ça, et de ça…" Cette femme a écouté sans dire un mot », conclut-elle, en riant, fière du chemin parcouru.
Nous avons maintenant des femmes députées ou ministres
« Même s'il est encore difficile de trouver du travail dans de nombreuses entreprises quand on est une femme, la situation en Tanzanie a énormément changé depuis 20 ans, déclare Aziza. Aujourd’hui, d’autres femmes sont rangers, et je suis fière d’avoir ouvert la marche ! Et au-delà du petit milieu du safari, nous avons désormais des femmes médecins, avocates, pilotes, et même députées ou ministres ! »
Cette évolution en faveur de l’égalité homme-femme, Aziza l’attribue à la situation économique de plus en plus précaire des familles en Tanzanie. « La vie est difficile aujourd’hui. Même mariées, les femmes continuent de travailler. »
Mais pour la jeune femme, il reste encore du chemin, à commencer par la sphère familiale. Son mari est aussi guide, et ils sont les heureux parents de deux filles. « Malgré mon rythme de travail, mon mari s’occupe peu de nos enfants », regrette-t-elle.
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