Fil d'Ariane
Les deux formatrices ont identifié certains travers communs à un grand nombre de femmes lorsqu’elles prennent la parole. "On est habitué à des orateurs hommes, dont la voix est une octave plus bas que celle des femmes, explique Elisabeth, et les tons graves rassurent. C’est pourquoi les femmes ont souvent tendance à forcer leur voix à baisser lorsqu’elles prennent la parole en public." Chanteuse lyrique et coach vocale, Brigitte explique les effets physique de ce mimétisme : "Le larynx se comprime, le haut du corps se crispe et la respiration se saccade."
Plutôt que "faire comme", Elisabeth et Brigitte encourage les femmes à "être pleinement". Travailler la voix, c’est travailler l’authenticité de l’être, et une femme authentique est une femme crédible. "Découvrir sa voix, c’est se découvrir, prendre conscience de soi, de là où on est, s’aligner avec ce que l’on est, son identité," a découvert Isabelle qui, à la cinquantaine, se relance dans la vie professionnelle après avoir élevé quatre enfants.
Ingénieure, Lisa travaille entourée d’hommes. Sa douce voix, un peu sourde, ne fait pas le poids face à ses stentors de collègues. "Les femmes ont tendance à la retenue et cela transparaît dans la posture et la voix," confirme Brigitte. Pour défendre son propos, très technique, auprès d’autres cadres, Lisa doit apprendre à parler moins et mieux. "La forme compte plus que le fond, reconnaît-elle. L’essentiel, c’est de porter le projet." De fait, les femmes qui évoluent dans un milieu d’homme ont tendance à s’effacer et à se retrancher derrière la matière technique. Elles n’osent pas affirmer leur personnalité dans un lieu fait par et pour les hommes, déplorent les formatrices.
Lorsque Pauline a fini ses études, être femme en entreprise n’était pas un sujet pour elle. Dix ans plus tard, après avoir eu des enfants, ça l’est devenu. "Les femmes doivent clairement faire face à davantage de barrière. Dans un monde idéal, j’aimerais que la forme n’ait pas cette importance. Aujourd’hui, j’ai compris les règles du jeu. Je change ce qui peut être changé sans trahir mes valeurs. Ça passe par la voix et la prise de parole."
Pauline travaille pour une multinationale américaine spécialisée dans les biens de consommation, dont la politique consiste à promouvoir la diversité, y compris hommes/femmes. Aux premiers échelons de la hiérarchie, la parité est atteinte. Dès que l’on monte dans la hiérarchie, on passe à une proportion de 25 % / 75 %, voire 10 % de femmes aux échelons supérieurs.
Alors Pauline a appris à marquer son espace face à un interlocuteur et à s’y tenir, sans empiéter sur celui de l’autre – un travers courant chez les femmes, qui révèle un excès d’empathie. Dans ce groupe de travail exclusivement féminin, elle apprend aussi à neutraliser les "saboteurs", ces petites voix qui inhibent face à un auditoire. Le regard des hommes sur les femmes ? "Non, répond-elle après un instant de réflexion, davantage le regard des femmes sur les femmes, qui manquent de bienveillance envers elle-même. J’ai aussi appris que je n’étais pas seule : les femmes ont plus de mal que les hommes à s’imposer et se valoriser."
A l’issue de hautes études, Isabelle a occupé des postes à responsabilité, avant de s’arrêter de travailler pour élever quatre enfants. Mais elle s’est vite aperçu que récupérer son expérience n’est ni naturel ni instantané. "Quand le passé tire trop fort vers l’arrière, la voix est bloquée," explique Brigitte. "J'ai réalisé que c'est un très fort sentiment d’illégitimité me submerge devant un auditoire. Déjà que, quand tu es ingénieure, personne ne t’a jamais appris à parler ! Or la confiance en soi passe par la voix," témoigne-t-elle.
Les femmes souffrent du syndrome de la bonne élève, explique Elisabeth. Dans les études réalisées sur le sujet, le moteur évoqué par les femmes pour mener leur carrière sont la compétence ou l’envie de progresser, mais jamais l’ambition ni le goût du risque. "Chez elles, même à des postes important, la culpabilité s’installe beaucoup plus facilement que chez les hommes. Partout, les femmes ont moins d’estime de soi : si elle bute, une femme s’arrête, alors qu’un homme enchaîne. Il faut apprendre à surmonter ce réflexe."
Brigitte décèle chaque jour dans la voix des femmes ces problèmes de légitimité, de place dans la société qui évolue : "Il faut que la voix et l’expression suivent, car les failles se révèlent lors de la prise de parole," explique-t-elle. Comme dit Elisabeth Dancet, "la voix nous met à nu."