À quand plus de femmes derrière la caméra, pour un cinéma moins stéréotypé ?

Douze nominations pour Jane Campion aux Oscars 2022, un exploit pour une réalisatrice ! Selon les conclusions d'une étude québécoise, les femmes cinéastes restent encore largement sous-représentées. Plus de femmes derrière la caméra, ça veut aussi dire plus de femmes dans des premiers rôles, moins stéréotypés, une distribution plus équilibrée et des personnages et des récits plus diversifiés. Bref, un cinéma plus égalitaire. 
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Jane campion
©Evan Agostini/Invision/AP

La réalisatrice Jane Campion (ici aux côtés de Kirsten Dunst) devient la première femme à être nommée deux fois pour un Oscar du (de la) Meilleur(e) cinéaste. "The Power of the Dog"a reçu 12 nominations aux Oscars 2022. Un exploit qui cache une autre réalité, car les réalisatrices restent sous-représentées, selon une étude. 

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Dames de vue
©capture d'écran/Réalisatrices équitables
"Dames de vue", une plate-forme qui met en avant les réalisatrices de cinéma au Québec. "44% des films réalisés par des femmes ont été produits par des femmes, contre 28% par des hommes", rapporte une étude québécoise menée par des chercheuses et l'association Réalisatrices équitables.
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etude qui filme qui ?
©Catherine François
Au Québec, ce sont des femmes qui ont réalisé 15 des 39 films produits en 2019 : le nombre de réalisatrices a été multiplié par deux en huit ans, un bon signe mais elles restent sous-représentées selon l'étude « Qui filme qui ? Vers des représentations équilibrées devant et derrière la caméra ».
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C’est avec « les larmes aux yeux » que Jane Campion a appris que son film The Power of Dog a reçu 12 nominations aux Oscars 2022. La réalisatrice devient la première femme à être nommée deux fois pour un Oscar du Meilleur cinéaste, qu'il faudra sans doute conjuguer au féminin. Peut-être faudrait-il aussi rappeller que Jane Campion avait été la première femme à décrocher une Palme d'Or à Cannes, qu'elle avait néammoins dû partager ex-aequo avec un autre réalisateur, c'était pour La leçon de Piano, en 1993. Une réalisatrice dans un monde d'hommes, Jane Campion fait encore aujourd'hui figure d'exception. 

Des réalisatrices sous représentées, selon une enquête québécoise

En 2011, sept des 35 longs métrages de fiction tournés au Québec avaient été réalisés par des femmes, en 2019, elles étaient derrière la caméra pour quinze des 39 films produits cette année-là : le nombre de réalisatrices a donc été multiplié par deux en huit ans.

A noter également que la Société de développement des entreprises culturelles, la SODEC, a annoncé que des femmes réaliseront sept des dix longs métrages de fiction qui seront prochainement tournés au Québec, et que six de ces films ont des budgets de 2,5 millions de dollars et plus.

Des progrès louables et salués dans cette recherche très pointue qui vise donc à faire un bilan de la place des femmes dans l’industrie cinématographique au Québec.

Pour ce faire, les Réalisatrices Équitables se sont associées à des chercheuses de renom, Anna Lupien, Anouk Bélanger et Francine Descarries, de l’Université du Québec à Montréal. Pour cette édude intitulée « Qui filme qui ? Vers des représentations équilibrées devant et derrière la caméra », elles ont visionné 49 films au total : 25 réalisés par des femmes en 2018 et 2019 et 24 réalisés par des hommes en 2019. Et analysé les caractéristiques de 1 017 personnages présentés dans ces films. 

etude qui filme qui ?
Au Québec, ce sont des femmes qui ont réalisé 15 des 39 films produits en 2019 : le nombre de réalisatrices a été multiplié par deux en huit ans, un bon signe mais elles restent sous-représentées selon l'étude « Qui filme qui ? Vers des représentations équilibrées devant et derrière la caméra ».
©Catherine François

Films à gros budgets, domaine masculin

Au niveau des budgets des films, les hommes ont encore le gros bout du bâton : les réalisateurs ont fait des films dont les budgets étaient plus du double à ceux des films réalisés par des femmes (budget moyen de 4,4 millions de dollars contre 2,1 millions de dollars). Et 4 des films dont les budgets dépassaient les 5 millions ont tous été réalisés par des hommes. Sur cette question de financement donc, les femmes ont encore une sacrée pente à remonter…
 

« Phénomène de non-mixité créative »

Autre donnée intéressante, ce sont surtout des productrices qui soutiennent des réalisatrices : 44% des films réalisés par des femmes ont été produits par des femmes, contre 28% par des hommes. Et 67% des films réalisés par des hommes sont soutenus par des producteurs.

Peu importe le sexe des cinéastes, la violence représentée est d’abord masculine.
"Qui filme qui ?"

Dans le même ordre d’idée, les chercheuses rapportent un « phénomène de non-mixité créative », à savoir que parmi les 49 films, tous ceux réalisés par des femmes ont été scénarisés ou coscénarisés par des femmes et tous les films réalisés par des hommes ont été scénarisés ou coscénarisés par des hommes. Autrement dit, lit-on dans l’étude, « les réalisateurs, en 2019, ont travaillé uniquement avec des hommes scénaristes et les réalisatrices, en 2018 et 2019, uniquement avec des femmes scénaristes ».

L’analyse des 49 films étudiés révèle aussi qu’en moyenne, les réalisateurs font presque deux fois plus de scènes violentes dans leurs films que les réalisatrices et « peu importe le sexe des cinéastes, la violence représentée est d’abord masculine ». Les autrices du rapport s’interrogent donc sur la prédominance d’une culture de la masculinité, voire d’une « formule médiatique de la masculinité ».

1 017 personnages passés à la loupe

L’analyse des caractéristiques des 1 017 personnages de ces 49 films révèle que les réalisatrices ont un plus grand souci de parité et d’équilibre entre les personnages féminins et masculins que les réalisateurs en mettant en scène autant d’hommes que de femmes, « elles composent une parité presque parfaite entre les personnages masculins et féminins » lit-on dans le rapport. Ce qui n’est pas le cas des réalisateurs, les femmes restent minoritaires dans leurs distributions, 38%, versus 61% pour les hommes.

Les réalisatrices confient aux femmes 84% des premiers rôles, tandis que les réalisateurs accordent 72% des premiers rôles à des hommes.
Rapport "Qui filme qui ?"

L’étude révèle également que les réalisatrices mettent davantage en scène des personnes racisées dans leur film, presque deux fois plus que les réalisateurs.

logo campagne parité cinéma
Campagne lancée en 2019 sur les réseaux sociaux par Réalisatrices équitables.
©Réalisatrices équitables

Dans les films sortis en 2019, « les réalisatrices confient aux femmes 84% des premiers rôles, tandis que les réalisateurs accordent 72% des premiers rôles à des hommes » … et les femmes représentent 48% des premiers rôles, c’est donc presque la parité sur ce plan. En revanche, au niveau des « têtes d’affiche », les hommes restent majoritaires, 55%, ce qui s’explique par le fait qu’il y a plus de réalisateurs que de réalisatrices et que les réalisateurs ont tendance à mettre plus d’hommes en têtes d’affiches que des femmes.

« Près de la moitié des personnages féminins mis en scène par les réalisateurs ont entre 20 et 39 ans, tandis que les réalisatrices orchestrent des distributions plus équilibrées » souligne l’étude.

Les réalisatrices sont aussi plus équitables dans leur représentations de personnages dépeints avec profondeur, alors que les réalisateurs vont privilégier des personnages masculins. « Un des principaux apports des réalisatrices se situe dans leur manière d’approfondir les personnages féminins qu’elles mettent en scène » est-il écrit dans le rapport.
 

"Dames des vues"
 
réalisatrices équitables assocation
Réalisatrices équitables, fondé en 2007, vise à atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec.
©facebook/realisatrices equitables

Fondé en 2007, Réalisatrices Équitables vise à atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec et à faire en sorte que les fonds publics soient accordés de façon plus égalitaire aux hommes et aux femmes cinéastes. L’organisme aspire également à ce qu’une place plus juste soit accordée aux préoccupations, à la vision du monde et à l’imaginaire des réalisatrices sur tous les écrans. Il cherche enfin à sensibiliser le milieu des arts médiatiques à la nécessité de diversifier les personnages féminins comme masculins écrits et mis en scène par les créateurs et créatrices d’ici et d’ailleurs, afin de s’éloigner des stéréotypes genrés.

Les Réalisatrices Équitables viennent de mettre en ligne une plateforme baptisée Dames des Vues qui offre des films réalisés par des femmes mais aussi des portraits de réalisatrices et des conseils pour présenter des projets de films. 
 
dames de vue
Le site Dames des vues met en avant le cinéma au féminin au Québec. 
©capture d ecran

Vers moins de sexisme systémique ? 

Autre donnée intéressante : depuis 2013, les réalisateurs ont moins tendance à sexualiser les personnages féminins de leurs films.

Un secteur qui se « dépouille tranquillement d’un sexisme systémique et d’un sexisme ordinaire ».

étude cinéma femme québec
49 films ont été visionnés lors de cette étude : 25 réalisés par des femmes en 2018 et 2019 et 24 réalisés par des hommes en 2019. 1 017 personnages présentés dans ces films ont été passés au crible. 
©CF

Bref, les autrices de ce rapport saluent la présence croissante des femmes derrière les caméras et les progrès réalisés par les réalisatrices au cours des huit dernières années mais elles soulignent qu’on est encore loin de la parité et qu’il faut maintenir le cap pour y parvenir un jour. « La sous-représentation des réalisatrices restreint encore la diversité des représentations offertes sur nos écrans. Il apparait également que la présence grandissante des femmes derrière la caméra contribue à diversifier le panorama des personnages et des récits de notre cinématographie, tout comme elle ouvre davantage l’accès à un imaginaire féminin à travers les scénarios signés par des femmes ».

L’industrie du cinéma, comme d’autres actuellement, se dépouille tranquillement d’un sexisme systémique et d’un sexisme ordinaire qui affectent certainement ce qui se joue devant comme derrière la caméra.
Conclusion du rapport "Qui filme qui ?"

Plus de femmes derrière la caméra, c’est donc plus de femmes devant la caméra mais aussi davantage de films représentant la réalité des femmes. « L’industrie du cinéma, comme d’autres actuellement, se dépouille tranquillement d’un sexisme systémique et d’un sexisme ordinaire qui affectent certainement ce qui se joue devant comme derrière la caméra » concluent les chercheuses.