Fil d'Ariane
De ces débuts, de sa place de femme dans un monde d'hommes, elle racontera dans le reportage (ci dessus) que Radio Canada lui a consacré pour son départ : "A Radio Canada, j'étais la sixième femme en technique, ça n'existait pas, j'étais entourée de gars. Mais, la seule fois où on m'a fait ressentir que je dérangeais un peu, c'était quand j'étais en studio."
Quand elle est entrée à Radio-Canada en 1984, Sylvie Gendron a suivi une formation donnée à l’interne pour devenir technicienne. Elle a ainsi occupé toutes sortes de postes qui relevaient de la technique à l’information, notamment au montage. Et puis, un jour, un de ses superviseurs lui a suggéré d’appliquer sur un poste de cameraman qui était ouvert : « c’est comme ça que c’est arrivé, c’est un peu un coup du hasard » se souvient Sylvie. C’était en 1989… Elle n’a pas lâché sa caméra par la suite.
Des funérailles des victimes de la tuerie de Polytechnique, dont elle dira sobrement "c'est pas rien", en passant par le mariage de Céline Dion et René Angélil ou encore les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les investitures de plusieurs présidents américains et les Jeux Olympiques à droite à gauche, Sylvie Gendron a capté avec sa caméra des moments historiques et c’est ça qui l’a passionnée tout au long de sa carrière : « J’aimais ça être là quand l’Histoire se faisait, qu’elle s’écrivait devant moi. C’est un privilège que l’on a, tu rencontres plein de gens qu’a priori le commun des mortels ne pourrait jamais rencontrer, ou tu rencontres monsieur ou madame tout le monde qui te raconte leur vie, alors c’est un grand privilège, peu de gens dans leur vie ont ça. C’est un métier rêvé, en tous cas pour moi ».
Sylvie n’oubliera jamais la victoire de Barack Obama, en novembre 2008, elle était alors au bureau de Radio-Canada à Washington. « Le taxi que j’ai pris ce soir-là pour rentrer à mon hôtel était un Afro-américain et c’est moi qui lui ai annoncé que Barack Obama était élu. Il n’a pas voulu que je paye la course ! Et après, les gens qui sont descendus dans les rues de Washington, qui criaient qui faisaient la fête, c’était comme un jour de libération. Je me suis dit : si Georges Bush est à la Maison Blanche, il doit être couché sous son lit, il doit avoir peur ! » se souvient Sylvie. Et puis le jour de l’investiture de Barack Obama a été historique pour elle aussi : « je n’ai jamais vu autant de monde de ma vie ! Je suis allée à celle de Donald Trump aussi et je peux te confirmer que ce n’était rien, la foule ce jour-là, à côté de celle pour Obama ! »… n’en déplaise au Donald…
Sylvie se souvient de certaines couvertures plus périlleuses et stressantes : « quand on partait couvrir les ouragans, je me disais : oups, je ne suis pas sûre que je suis à la bonne place… ou alors les émeutes qui ont suivi la victoire du Canadien à la coupe Stanley en 1993 à Montréal, c’était assez impressionnant ça aussi ».
Et dans la catégorie anecdote, Sylvie, qui a couvert l’actualité judicaire au palais de justice de Montréal, a développé au fil du temps une sorte de « relation » avec Tony Accurso, riche homme d’affaires montréalais qui a subi des procès pour corruption et détournement de fonds de public et qui était l’une des figures marquantes des scandales de corruption et de collusion qui ont secoué l’industrie de la construction au Québec ces dernières années. A force de le filmer, ils ont fini par se parler ! « Il passait à côté de moi et il attendait que je finisse de tourner pour me serrer la main et me parler, c’était presque rendu un ami » dit Sylvie en riant.
La journaliste Isabelle Richer, qui a travaillé avec Sylvie pendant huit ans alors qu’elle couvrait les actualités judiciaires au palais de justice de Montréal, confirme : « Elle connaissait TOUT LE MONDE au palais de justice et parlait à tous. Elle est même devenue plutôt "friendly" avec Tony Accurso pendant ses deux procès récemment. Il allait lui parler dans la zone réservée aux caméras ».
Être « camerawoman », ça veut dire être « derrière » la caméra : Sylvie, c’était tout à fait ça. Une femme discrète, modeste raconte Isabelle Richer, qui est devenue une amie très proche de Sylvie : « cette fille est humble, pour vrai. Toujours à s'effacer et à laisser la place aux autres. Ce qui montre bien qu'elle avait compris le cœur même de sa job de « camério ». Sylvie est une personne loyale, fiable et dévouée. On a travaillé fort pendant des années, elle était heureuse quand elle était sollicitée au maximum. Elle n'était jamais rassasiée ni débordée. Elle aimait par-dessus tout monter des reportages à partir des images qu'on avait tournées pendant la journée. Je l'ai déjà vue partir du palais de justice à midi, aller tourner des images d'un terrain et d'une bicoque vaguement abandonnée dans les Laurentides et revenir au palais en début d’après-midi pour monter un topo pour le bulletin de 17h ! C'est dans ces moments-là qu'elle performait le mieux. J'ai eu un plaisir immense à travailler avec elle pendant toutes ces années ».
Sylvie a aussi développé des relations d’amitié avec d’autres journalistes comme Joyce Napier, ex-correspondante de Radio-Canada à Jérusalem et Washington, maintenant cheffe de bureau sur la colline parlementaire à Ottawa pour CTV : « J’aime Sylvie parce qu’elle est brillante, authentique et super drôle ».
Tous les journalistes qui ont travaillé avec elle ont apprécié son professionnalisme, son intégrité, sa fiabilité et le fait qu’elle était d’un naturel calme, solide comme un roc (le journaliste étant, on le sait bien, une petite bête fragile qui souffre d’insécurité chronique… ). « Oui, peut-être que c’est vrai ça, convient Sylvie, je n’ai jamais été nerveuse sur la route, alors peut-être que ça rassurait oui. Et puis c’est vrai, j’étais aussi un peu mère poule, surtout avec les jeunes reporters qui avaient moins d’expérience, je les maternais un peu ».
Les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux pour saluer celle qui se présente sur son compte twitter : "autrefois cameraman- monteure Palais de Justice Montreal/ maintenant retraitée!"
Rencontrez mon amie Sylvie Gendron. Possiblement la fille la plus sympathique à Montréal qui a eu une carrière pas banale à Radio-Canada. https://t.co/MRO9ZV4ezH
— Marie-Maude Denis (@mmdenisrc) 5 avril 2018
Sylvie, c’était MA caméraman. C’est devenue mon amie. Elle a pris sa retraite, nous laissant tous orphelins inconsolables... https://t.co/JMGoe6XLy2
— Isabelle Richer (@IsabelleRicher) 5 avril 2018
Un privilège d’avoir travaillé avec l’extraordinaire Sylvie Gendron !
— Marcel Calfat (@CalfatSRC) 5 avril 2018
Un très bel exemple d’une femme qui excelle dans une carrière non traditionnel ! Chapeau à Sylvie Gendron. #NBNewBoots #FemmesEnMétier https://t.co/pnGd9MKL9Q
— NewBoots (@NBNewBoots) 5 avril 2018
La dernière journaliste avec laquelle elle a travaillé étroitement, Geneviève Garon, la nouvelle chroniqueuse judiciaire au palais de justice de Montréal, le confirme : « Sylvie, c'est la camérawoman qui t'enveloppe de son regard bienveillant, qui ne se trompe jamais, qui ne recule devant rien pour simplifier la vie de sa journaliste, qui te fait rire pour détendre l'atmosphère, qui t'encourage et t'aide à avoir confiance en soi. C'est une perle, une amie, une ''partner'', à qui je serai toujours reconnaissante pour m'avoir initiée et respectée lorsque j'ai fait mes premières armes au palais de justice de Montréal. Elle me manque tous les jours ».
J’aimais ça, une fois que le travail était fini, pouvoir m’amuser avec le journaliste, qu’il ne se prenne pas trop au sérieux et qu’il ne soit pas trop hanté par son histoire.
Sylvie Gendron
Sylvie aimait travailler avec les journalistes qui étaient professionnels bien sûr, mais aussi qui aimaient rire et s’amuser : « j’aimais ça, une fois que le travail était fini, pouvoir m’amuser avec le journaliste, qu’il ne se prenne pas trop au sérieux et qu’il ne soit pas trop hanté par son histoire. J’ai développé des relations d’amitié avec Joyce Napier ou Isabelle Richer parce que quand le travail était fini on s’amusait après et on rigolait bien ». Geneviève Garon est aussi sur sa liste d’amies très proches. Sylvie, c’est aussi une amie pour la vie…
Quand je demande à Sylvie de me résumer en un mot sa carrière de près de 30 ans de camerawoman à Radio-Canada, le mot fuse immédiatement : « Du bonheur, ça n’a été que du bonheur, un privilège, j’ai été super heureuse, je ne suis jamais rentrée à reculons au travail, moi le vendredi soir j’avais hâte au lundi matin. Ça a été du gros gros bonheur ! ».
Et frayer dans cet univers si masculin n’a jamais été un problème pour Sylvie, qui ne souvient pas avoir entendu de commentaires machistes à son égard ou autres réflexions désobligeantes de cette nature : « pas en face de moi en tous cas, je ne sais pas si ça s’est dit en arrière mais non, je n’ai jamais eu écho de rien. Donc être une femme dans ce milieu si masculin, cela n’a jamais été un problème pour moi ».
Sylvie a décidé de raccrocher sa caméra le premier mars 2018 – après le marathon olympique de Pyongchang, histoire de finir en beauté ! - au terme d'une mûre réflexion. Une décision qui a été difficile à prendre, me confie-t-elle, « prise pour des raisons familiales notamment mais aussi parce que tu veux partir quand ça va bien, tu veux partir quand le monde t’aime encore ». Elle apprécie depuis d’avoir retrouvé du temps pour elle et cette liberté si précieuse, mais dit s’ennuyer des gens avec qui elle travaillait. Elle n’exclut pas d’ailleurs reprendre du flambeau l’automne prochain en montant des podcasts sur des histoires judiciaires.
Sylvie a ouvert la porte à d’autres femmes qui travaillent comme camerawomen à Radio-Canada, même si elles sont encore peu nombreuses car c’est un métier très exigeant physiquement et un univers encore très masculin, et elle est un modèle de professionnalisme et d’intégrité pour toutes celles qui marcheront sur ses traces…. Bonne retraite ma chère Sylvie !