A quand une femme à la tête de l'ONU ?

Une femme, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala vient de prendre les rênes de l'Organisation mondiale du commerce. Une autre, Christine Lagarde, dirige la Banque centrale européenne après avoir été à la tête du FMI. Et pourquoi pas une femme aux Nations unies ? C'est la question posée par plusieurs organisations, appuyées par le Honduras, qui appellent à la candidature de femmes pour le poste de secrétaire général.
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affiche Guterres Liban
Des réfugiées syriennes tiennent une banderole réclamant l'aide du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, lors d'une manifestation devant le siège de l'agence du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, à Beyrouth, au Liban, le 24 septembre 2020.
©AP Photo/Hussein Malla
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Elu en 2016, Antonio Guterres, candidat à sa propre réélection, semble avoir toutes les chances de conserver son fauteuil, un poste qu’on décrit souvent comme le "plus difficile du monde". Le 11 janvier dernier, il a annoncé sa candidature pour un second mandat de cinq ans à la tête des Nations unies. En apparence, dit-on, il aurait le soutien des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU. De fait, la campagne est lancée et les candidatures doivent être déposées d’ici juin 2021.

"Un peu plus de 75 ans après la création des Nations unies à la Conférence de San Francisco, aucune femme n’a dirigé l’organisation. C’est une lacune aussi anachronique que coupable. Le monde ne manque pas de femmes compétentes. Il suffirait de les mettre en condition de se battre à armes égales avec les hommes pour qu’elles aient enfin une chance d’accéder au poste de secrétaire général de l’ONU", écrit Stéphane Bussard, dans un éditorial sur le site du Temps"En 2021, dans un contexte onusien extrêmement tendu, la realpolitik risque de l’emporter sur toute considération de genre. Mais si on veut voir une femme à la tête de l’ONU au plus tard en 2027, il est temps de faire de cette requête davantage qu’un slogan", conclut-il.

Un cabinet paritaire mais un bilan mitigé

Poser la question de la réélection d'Antonio Guterres, c’est inévitablement s’interroger sur le bilan du Portugais à la tête de l’organisation multilatérale.

A son crédit, Antonio Guterres a réussi à imposer la parité dans son propre cabinet. Il a aussi permis la mise en œuvre de la réforme de la politique du développement et l’installation de coordinateurs résidents, afin que l’ONU parle d’une seule voix et non à travers toutes ses agences. Le secrétaire général, le quatrième Européen à diriger les Nations unies, a aussi poursuivi le travail effectué par son prédécesseur Ban Ki-moon sur le changement climatique, permettant à l'ONU de rester l’acteur central dans ce domaine.

["Si aucune action urgente n'est lancée d'ici 2030, 68 millions de filles risquent de subir une mutilation génitale", Antonio Guterres, à  l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre l'excision, le 6 février 2021.]

Elu à l'automne 2016, soit quelques semaines avant Donald Trump à la présidence américain, le 9e secrétaire général de l’ONU a surtout dû s’occuper de la relation ONU-Etats-Unis afin d’éviter qu'elle ne s'effondre totalement, ce qui aurait été très dommageable, analyse Richard Gowan, représentant de l’International Crisis Group auprès de l’ONU à New York. L’administration Trump a enchaîné des décisions critiques. Elle a rapidement décidé de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, soutenu par l’ONU, et de l’Unesco. Elle poursuivra sa politique de retrait en cessant le financement de l’agence d’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA), en claquant la porte du Conseil des droits humains et en annonçant le retrait des Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la santé. 

La montée des autoritarismes et des nationalismes n’a pas facilité la tâche du patron de l’ONU qui, de surcroît, a dû faire face à l’une des plus graves crises de liquidités qu’ait jamais traversée l’organisation.

Droits humains : une diplomatie un peu trop discrète ?

Quand il s’agit de défendre les droits humains, le bilan est moins positif. C'est en tout cas l'avis de plusieurs organisations de défense des droits humains le jugeant très en retrait quand il s’agit de dénoncer de graves violations des droits fondamentaux. Aux côtés du président Xi Jinping, il ne pipera mot sur la situation des Ouïgours, la minorité musulmane du Xinjiang réprimée par Pékin, notamment via l'incarcération dans des centres de détention. Il sera tout aussi silencieux sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Pour les ONG actives dans la défense des droits humains, la "diplomatie discrète" voire silencieuse du secrétaire général est de nature à affaiblir les Nations unies au moment où les voix des autocrates du monde entier se font toujours plus entendre. On l’accuse d’être très actif en coulisses, mais de ne pas réellement incarner l’organisation en public. Mais aussi de céder trop facilement devant les grandes puissances. Les mauvaises langues avancent que si Trump avait été réélu, il aurait abandonné le combat. Avec Joe Biden à la Maison-Blanche, les perspectives seront sans doute meilleures.

7 femmes candidates à l'ONU en 2016, combien en 2021 ? 

S’il paraît difficile de détrôner un numéro un des Nations unies désireux de se faire élire pour un second mandat, la société civile ne compte pas lâcher la pression pour que l’élection du secrétaire général de l’ONU soit sans faille. La campagne de 750 ONG dénommée "1 for 7 Billion, for the Best UN Leader" avait réussi en 2016 à imposer un processus beaucoup plus transparent avec des auditions publiques des candidats. Elle avait brisé ainsi un tabou, celui des élections décidées en vase clos par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et entérinées par l’Assemblée générale.

En 2016, sept femmes et six hommes avaient fait acte de candidature. Et si aujourd'hui, la campagne "1 for 7 Billion" juge la compétence plus importante que le genre et l’origine géographique des candidats, elle insiste malgré tout pour qu’il y ait plusieurs candidats et dans l’idéal, elle souhaiterait une élection pour un seul mandat.

Je vous invite, vous et les Etats que vous représentez, à regarder sincèrement vos engagements envers les Nations unies et à présenter des candidates.
Mary Elizabeth Flores Flake, ambassadrice du Honduras 

De plus en plus de voix se font entendre pour élire enfin une première femme au poste de secrétaire général-e. Un pays se distingue : le Honduras, qui s’est fendu d’une lettre adressée aux Etats membres de l’ONU pour qu’ils présentent des candidatures de femmes.

"Je vous invite, vous et les Etats que vous représentez, à regarder sincèrement vos engagements envers les Nations unies et à présenter des candidates, dans le respect des normes d’efficacité les plus élevées, de compétence et d’intégrité", a écrit l’ambassadrice du Honduras, Mary Elizabeth Flores Flake. Il s’agit d'"entamer un processus de nomination où l’égalité et l’inclusivité sont possibles et la norme", ajoute la diplomate dans sa lettre. Une intervention féministe pour le moins surprenante - mais toujours bonne à prendre - venant d'un pays qui vient de durcir l'interdiction de l'avortement, pourtant déjà l'une des plus strictes au monde...