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Miren, quinquagénaire, est une femme au foyer a priori sans histoire, jusqu'au jour où elle décide de quitter son mari et de porter plainte pour viol conjugal. Avec sobriété et pudeur, cette série espagnole met en évidence la brutalité du système auquel font face les victimes de violences conjugales.
La série Querer, créée par Alauda Ruiz de Azua, est diffusée sur Arte.
"La peur ne se voit pas", lance Miren au tribunal. "L'amour non plus", rétorque l'avocat de son ex-mari, aussitôt repris par le juge, lui ordonnant d'éviter désormais tout commentaire "poétique".
C'est une histoire qui pourrait être si tristement banale tant elle reflète la réalité cachée des violences conjugales. On y retrouve tous les ingrédients : domination physique, émotionnelle et économique d'un mari sur son épouse.
Un message que l'on peut deviner rien que dans le choix du titre : Querer signifie à la fois vouloir (désirer) et aimer en espagnol. Cette mini-série en quatre épisode créée par Alauda Ruiz de Azua, et dévoilée à l'automne 2024 sur Movistar +, a secoué le public et la critique espagnols. Qualifiée de phénomène, elle a participé au débat contre les violences sexuelles en Espagne - à l'instar de la série Adolescence en Grande-Bretagne sur la violence chez les adolescents. Querer s'inscrit dans le combat mené par l'Espagne pour lutter contre les violences faites aux femmes. Depuis le début des années 2020, plusieurs mesures ont été mises en place par le gouvernement, telles que le recensement officiel des féminicides ou la loi du consentement s'inscrivant dans le renforcement de la législation contre le viol.
Diffusée sur Arte et accessible en replay sur arte.tv, la série a été récompensée par le Grand Prix lors du dernier festival Séries Mania à Lille, en France.
Miren Torres (Nagore Aranburu) et Iñigo Gorosmendi (Pedro Casablanc) vivent à Bilbao. Lui, occupe un poste à responsabilité dans une grande société et gagne bien sa vie. C'est lui qui fait vivre le ménage, versant sur un compte commun l'argent pour subvenir aux besoins du foyer. Miren, elle, a dû arrêter de travailler peu après la naissance de leur premier enfant, sur "ordre" de son mari. Elle ne retravaillera plus et restera sous "dépendance" -ou contrainte - économique, obligée de quémander chaque mois ou de demander crédit aux commerçants.
Seulement voilà, après 30 ans de mariage, Miren décide de porter plainte contre son mari pour viol conjugal. Dans les premières scènes du premier épisode, on la retrouve, accompagnée d'une avocate, dans un commissariat. Après sa déposition, elle rentre chez elle. Croyant son mari absent jusqu'au lendemain, elle prépare soigneusement sa valise pour partir. Mais le mari rentre plus tôt que prévu, le centre de conférence où il devait se rendre étant inondé.
Et tout de suite, on la sent, la peur, cette terreur invisible qui nous glace à travers l'écran. Le visage de Miren se fige. Tremblante d'effroi, elle accueille malgré tout son mari, comme si de rien n'était, fait la conversation et se lance même dans la cuisson d'un steak, "pas trop cuit, comme d'habitude !". Une fois dans la cuisine, elle en profite pour s'échapper, laissant le steak dans sa poêle. Dans la précipitation, sa valise restera dans l'entrée.
C'est chez son fils cadet, Jon, qui vit en colocation, qu'elle va trouver refuge. Il sera le premier au courant de sa décision. Sans rentrer dans les détails, elle lui explique le climat de violence subit tout au long de ces années. Sous le choc de ces révélations, le garçon se range aussitôt dans le camp maternel.
Son frère aîné, en couple et jeune père de famille, réagit différemment. Aitor prend la défense du père. Il fera tout pour faire revenir sa mère "à la raison", cherchant, sans y parvenir, à la convaincre d'abandonner sa plainte. Lors d'une scène particulièrement éprouvante, Miren va devoir se justifier auprès de lui et entrer dans les détails de ses relations sexuelles avec son père, lui expliquant qu'elle simulait, pour que ça passe plus vite mais surtout par peur de représailles. "Mais Maman, je vous ai entendu faire l'amour, je t'ai entendue gémir, jouir", lui dit-il, tant l'idée d'imaginer son père en violeur lui parait invraisemblable.
Qu'il s'agisse de proches ou de membres de la famille, la série montre aussi l'impact du "scandale" sur l'entourage, ainsi que ses réactions, entre banalisation et déni. Lors d'une réunion familiale, la soeur du mari n'en revient pas. "L'autre jour, 2 ou 3 jeunes Marocains ont coincé une fille sous un porche, ça, c'est un viol !" s'insurge-t-elle. "On l'a accueillie dans notre famille. il fallait s'y attendre sachant d'où elle vient", faisant allusion aux origines modestes de Miren. "Dans un couple, personne ne veut coucher tout le temps. Parfois, on cède, comme pour d'autres trucs. On n'en a pas envie, mais bon ..."
Autre scène qui interpelle : au retour d'un dîner avec son patron et son épouse, l'aîné accuse son épouse de l'avoir humilié en public. Une colère sourde monte en lui en même temps qu'il accélère au volant de la voiture, terrorisant son épouse qui ferme les yeux. C'est aussi ce que faisait son père lorsqu'il était en colère, en plus des coups sur le mur, dans les portes et autres verres brisés.
S'ajoutant à ce climat de violence, c'est la nuit, dans l'ombre et l'intimité de la chambre à coucher des époux que se produit le pire. Lors du procès, on apprendra qu'Inigo abusait aussi de son épouse pendant son sommeil. Aucune scène n'est montrée, le récit suffit.
Un épisode tout entier nous plonge dans le procès, qui a lieu plus de trois ans après la plainte. Une fois après avoir traversé les dédales du palais de justice, Miren va devoir affronter, à travers une cloison son ex-mari violeur. Lui se défend, ne comprend toujours pas et se pose en homme juste et bon pour sa famille, créant presque le doute. Son avocat va tenter de pousser la quinquagénaire dans ses retranchements, insistant sur ses dépressions à répétition, les traitements qui changeaient son humeur, ses crises d'hystérie. Il la décrit comme une épouse totalement dépendante de son mari, sans travail, sans ressource, juste bonne à dépenser l'argent du foyer ... une ingrate donc.
C'est une toute autre version que présente la partie civile. On prend connaissance du rituel instauré par le mari. Sexe tous les jeudi et vendredi, quoiqu'il arrive, même quelques jours après la naissance du premier garçon, alors que Miren vient de subir une épisiotomie qui la fait souffrir. Elle devra se soumettre à une pénétration annale, non consentie faut-il le préciser. Un gynécologue constatera des années plus tard des lésions vaginales, provoquées par des pénétrations forcées.
Impossible à travers le visage de Miren, de ne pas voir celui d'une autre femme qui a fait la Une des médias à l'automne 2024 en France et partout dans le monde. Gisèle Pélicot. Même si l'histoire est différente, Querer décortique les mêmes mécanismes de possession, de domination, et de violence infligée à une femme au sein d'un couple. À priori sans histoire.
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