Qu'est-ce qu'un féminicide : définition et origines

De quoi le féminicide est-il le nom ? S'il figure dans le code pénal d'une dizaine de pays latino-américains, ainsi qu'en Espagne ou en Italie, juridiquement, il n'existe pas en France. Son inscription dans les lois compte parmi les demandes faites par des associations et collectifs féministes qui cherchent à mettre les autorités face à la réalité d'un fléau : une femme meurt sous les coups d'un conjoint ou ex-compagnon tous les deux jours et demi.
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féminicides Paris
Des militantes Femen manifestent pour dire stop aux féminicides avec ce chiffre "200 millions de femmes disparues dans le monde", samedi 6 juillet 2019 à Paris.
©AP Photo/Michel Euler
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"Meurtre d'une ou plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine" - voilà la définition que l'on peut trouver dans Le Petit Robert. Féminicide, un mot qui n'a été intégré qu'en 2015 dans ce dictionnaire de référence, et qui demeure encore absent de la plupart des autres dictionnaires, ainsi que du droit français.

"Meurtre de filles à la naissance, sélection prénatale, tueries de masse, crimes d'honneur, femmes tuées par leurs conjoints ou par des inconnus dans la rue. La violence machiste est la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans dans le monde", précise l'association Osez le féminisme sur un site dédié à la reconnaissance du féminicide.
 
Il ne s'agit pas de dire qu'un meurtre crapuleux est moins grave ou que le meurtre d'une femme est plus grave que celui d'un homme, mais de bien nommer les actes pour lutter efficacement contre.
Valérie Rey-Robert
femicide
La première occurence du terme féminicide remonte au XIXè siècle. Mais comme le rappelle l'écrivaine Valéry Rey Robert, autrice d'un long article sur le sujet sur son blog Crêpe Georgette, c'est le terme "femicide" qui est utilisé à la fin du XXè siècle par la sociologue Diana E. H. Russell,qui le prononce pour la première fois en 1976. Il faut attendre 1992 pour voir le terme consacré grâce au livre fondateur Femicide: the Politics of Woman Killing, signé de la même sociologue sud-africaine aux côtés d'une autre sociologue, britannique, Jill Radford.

Le féminicide - ou fémicide - "concerne entre autres la lapidation des femmes, ce qu'on appelle des crimes d'honneur, le fait de tuer sa femme parce qu'elle veut partir/a souri au voisin/s'habille trop court/et toute autre excellente raison trouvées pour explique le meuretre de sa femme car elle ne s'est pas comportée comme la société sexiste le lui a enseigné", ajoute l'écrivaine, citant plusieurs exemples de fémicides de masse, comme en Chine où beaucoup de nouvelles-nées sont tuées à la naissance à cause de la politique de l'enfant unique.

Il existe aussi des "féminicides liés à la dot", comme en Inde par exemple. De jeunes mariées sont tuées par des membres de leur belle-famille en raison d'une dot insuffisante. Une Indienne est assassinée pour cette raison toutes les heures.

"Lorsqu'un cambrioleur tue une bijoutière qui refuse de lui ouvrir les coffres, les raisons ne sont pas les mêmes que lorsqu'un homme tue sa femme parce qu'elle veut le quitter. Tous les meurtres de femmes ne sont donc pas des féminicides, précise Valéry Rey-Robert. Encore une fois, il ne s'agit pas de dire qu'un meurtre crapuleux est moins grave ou que le meurtre d'une femme est plus grave que celui d'un homme, mais de bien nommer les actes pour lutter efficacement contre". 

De Ciudad Juarez aux femmes autochtones du Canada

C'est en Amérique latine que le terme "feminicidio" trouve son origine, en lien avec l'actualité dans plusieurs pays du continent, en particulier au Mexique. L'anthropologue mexicaine Marcela Lagarde utilise ce terme pour décrire les meurtres de femmes au Mexique et au Guatemala à partir du début des années 1990.

Pendant une décennie, de nombreuses femmes, adolescentes et parfois pré-adolescentes des classes les plus pauvres de la société,  appartenant parfois à des minorités ethniques, disparaissent sans laisser de trace et sans raison. Des charniers, parfois, sont mis au jour. L'examen des dépouilles ou des restes qui sont exhumés montre que les victimes ont été le plus souvent violées, leurs corps démembrés ou mutilés. Combien sont-elles ? Difficile de le savoir, les chiffres varient de 1 500 à... beaucoup plus.

Le cas le plus connu est celui de Ciudad Juarez, au Mexique, qui a fait l'objet d'un film. Mais selon Marcela Lagarde, d'autres villes du pays ont aussi été le théâtre de disparitions et d'assassinats de femmes et de jeunes filles, ces petites mains travaillant dans des usines. Selon Marcela Lagarde, 65% des femmes retrouvées assassinées avaient déposé plainte pour violence. Rien qu'entre 2012 et 2013, on estime à près de 4000 le nombre de victimes.
 Le phénomène n'est pas circonscrit aux frontières mexicaines.  D'autres pays de la région font face à des féminicides en série, comme le Honduras, où 4 000 femmes ont été assassinées entre 2002 et 2013, ou d'autres pays du sud du continent.

En Amérique du nord, ce sont les femmes des premières Nations du Canada qui se retrouvent en première ligne. On estime à près de 1200 le nombre de femmes autochtones disparues ou assassinées au cours des trente dernières années. Des enquêtes de police mal menées, bâclées... La justice qui traîne des pieds et les autorités qui mettent du temps, bien trop de temps, à reconnaître la réalité du fléau. Dans ce pays, les femmes autochtones souffrent d'être perçues comme des "femmes faciles", des prostituées, des alcooliques et des droguées. Aujourd'hui encore, elles courent trois fois plus de risques de violence que les autres femmes.

Après des années de lutte menée par des associations de familles de victimes, le Canada a pris conscience de ce qui se passait. L'actuel Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a pris des engagements pour que la lumière soit faite, mais aussi pour que les forces de l'ordre et les services concernés changent d'attitude lorsqu'une disparition est signalée. Une Commission d'enquête a publié son rapport au printemps dernier.

Un événement emblématique du féminicide s'est aussi déroulé au Canada. Le 6 décembre 1989, 14 femmes ont été abattues à l'Ecole polytechnique de l'Université de Montréal, pour le simple fait qu'elles étaient des femmes. L'homme responsable de ces meurtres s’est ensuite donné la mort.
 

Féminicide et justice

Pour l'Organisation Mondiale de la Santé, il s'agit d'un "homicide volontaire d'une femme, au simple motif qu'elles sont des femmes," mais il existe des définitions plus larges qui incluent tout meurtre de filles ou de femmes.

L'OMS catégorise le féminicide en 4 types :

- Le féminicide intime : un crime individuel commis par un partenaire ou un ex-partenaire ; cela concerne 35% de l'ensemble des meurtres commis sur les femmes dans le monde.

Les crimes dits d'honneur : un membre de la famille tue une femme ou une fille qui aurait commis une transgression sociale de genre (avoir été violée peut être considéré comme une transgression sociale de genre).

- Le crime lié à la dot : tuer une femme pour un conflit lié à la dot devant être versée par la famille de la femme.

- Le féminicide non intime : il s’agit d’un crime commis par une personne qui n’a pas de lien intime ou familial avec la victime.

Le terme féminicide est inscrit dans le code pénal de plusieurs pays d’Amérique latine : la Bolivie, l'Argentine, le Chili, le Costa Rica, la Colombie, le Salvador, le Guatemala, le Mexique, Honduras et le Pérou. En Europe les crimes de féminicides sont reconnus en Espagne depuis 2004 et en Italie depuis 2013 (en italien, femminicidio).

En Europe ? En 2007, la commission des droits des femmes au Parlement européen recommandait aux États membres de "qualifier juridiquement de féminicide tout meurtre de femme fondé sur le genre et d'élaborer un cadre juridique visant à éradiquer ce phénomène". En 2013, le Parlement européen adopte une résolution utilisant l’expression de "généricide". (Résolution du Parlement européen du 8 octobre 2013 sur le généricide : les femmes manquantes ?)

Si le mot "féminicide" a été ajouté le 16 septembre 2014 au vocabulaire du droit et des sciences humaines par la Commission générale de terminologie et de néologie - "l'homicide d'une femme, d'une jeune fille ou d'une enfant en raison de son sexe" -, il reste inconnu dans le droit français.

Comme l'explique Diane Roman, professeure de droit public à l'Université François Rabelais à Tours, dans son rapport publié en avril 2014 dans La revue des Droits de l'Homme, l’article 221-4 du Code pénal sanctionne de réclusion criminelle à perpétuité le meurtre commis "7° : à raison de l'orientation ou identité sexuelle de la victime " La disposition fait donc du caractère homophobe d’un meurtre une circonstance aggravante, tout comme l’est le meurtre raciste (art. 221-4 6°).

En revanche, rien n’est prévu pour les meurtres commis en raison du sexe de la victime (et notamment parce qu’elles sont femmes) : le Code pénal ne prend en compte que le statut de l’auteur du crime, et pas celui de la victime (art. 221-4 C. pénal : "9° : constitue une circonstance aggravante le meurtre commis par le conjoint ou concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité").
 
Mieux on nomme, plus on identifie les racines de la violence, mieux on peut lutter contre elle.
Muriel Salmona, psychiatre (Huffpost.fr)
La Commission consultative nationale des droits de l'Homme estime pour sa part qu'il n'est "pas opportun" d'inscrire le féminicide dans le code pénal, mais encourage néammoins "l'usage du terme (…) à la fois sur la scène internationale dans le langage diplomatique français, mais aussi dans le vocabulaire courant, en particulier dans les médias".

Pour Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, interrogée par le Huffpost.fr, "la reconnaissance juridique de ce terme est en tout cas nécessaire, pas parce qu'un féminicide est plus grave qu'un autre crime, mais parce qu'il concerne potentiellement la moitié de la population et que donc, il prend une autre dimension... Mieux on nomme, plus on identifie les racines de la violence, mieux on peut lutter contre elle", conclut-elle.
 
Un "Grenelle" des féminicides en France

"Face à une situation préoccupante, le gouvernement va lancer au mois de septembre prochain à Matignon un Grenelle des violences conjugales.
Objectif ? Enrayer le phénomène des féminicides, au nombre de 74 depuis le 1er janvier (2019) selon un collectif"
, annonce Marlène Schiappa dans un entretien au Journal du dimanche le 7 juillet 2019, au lendemain d'un rassemblement Place de la République. "Nous lançons autour du Grenelle une mobilisation nationale avec une grande consultation citoyenne et une campagne pour interpeller toute la société", ajoute la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes, qui précise que "Brigitte Macron s'engagera" personnellement dans ce dossier.

Selon le rapport publié en 2016 par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), au moins 12 femmes meurent en Amérique latine et aux Caraïbes pour la seule raison qu’elles sont des femmes. Quatorze des vingt-cinq pays les plus violents au monde se trouvent en Amérique latine, autrement dit, plus de la moitié des féminicides s’y produisent. Selon l’ONU, le Pérou, où l'on recense en moyenne 10 féminicides par mois, se situe à la troisième place (derrière l’Éthiopie et le Bangladesh) de l’indice mondial des violences sexuelles faites aux femmes par leur partenaire.
 La poétesse mexicaine d'origine amérindienne, Susana Chávez, fut la première, en 1995, à prononcer cette phrase : "Pas une femme de moins, pas une morte de plus", qui faisait référence aux féminicides commis à Ciudad Juárez et dans tout le Mexique. Cette militante infatigable des droits des femmes devint à son tour "une morte de plus" : son cadavre fut retrouvé dans une fosse, la tête recouverte d'un sac plastique et une main coupée en 2011. Susana Chávez est devenue une source d’inspiration. Sa célèbre phrase a inspiré #NiUnaMenos, le slogan des mouvements de lutte contre les féminicides en Amérique latine, désormais décliné à travers le monde.