Qui a (encore) peur des vulves?

La chatte, l'abricot, la foufoune, la fleur ... la langue française ne manque pas de sobriquets pour désigner le sexe de la femme. Pourtant, il est dissimulé dans les musées et même absent des graffitis sur les murs de nos villes. Les femmes ne l'aiment pas plus qu'elles ne le connaissent. Mais un peu partout performances et artistes se le réapproprient. Comme encore le 4 septembre 2016 au Musée Guimet de Paris...
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L'origine du monde avec bandeau
"L'origine du monde", de Gustave Courbet avec bandeau, pour une affiche de spectacle de la compagnie Interligne. Dans l'espace public ou sur les réseaux sociaux, impossible de donner à voir le célèbre tableau exposé au Musée d'Orsay à Paris
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Gilles-Henri Polge a photographié 150 graffitis sexuels sur les murs de Paris et sa banlieue au début des années 2000. Parmi les 50 clichés disponibles en ligne, seulement 2 photos représentent des sexes de femme.
 
Il n’y a pas que dans l’espace public que la vulve est boudée. Les femmes elles mêmes n’aiment pas et ne connaissent pas leur intimité. Selon Philippe Brenot, auteur des Femmes, le sexe et l’amour, cité par Rue89, elles ne sont que 45,4% à trouver beau leur sexe… contre 71,1% des hommes le leur. 
 
L’objet de cet article n’est pas d’encourager les femmes à montrer leur sexe dans la rue, ou à se définir uniquement à travers lui. Mais comment expliquer un tel désamour pour les vulves dans notre société? Ou peut être est-ce un amour inconditionné pour les phallus, qui décorent nos murs, nos cahiers de collégiens ou le visage de cet ami, qui a eu le malheur de s’endormir pendant une soirée alcoolisée ? 
 
Le sexe féminin, et plus particulièrement la vulve - l’ensemble des organes génitaux externes - est caché et tabou. Même l’école lui fait la tête. Alors le seul modèle qu’il est donné de voir aux femmes est celui des films pornographiques, qui proposent un reflet bien infidèle de la réalité. 
 

Le sexe caché dans les musées

 
Dans l’art, alors que les statues  d’hommes nus remplissent les musées, le sexe des femmes représentées, peintes, dessinées, modelées, est en général caché par une draperie, une main ou une feuille de vigne. 

Venus et vulve
Sandro Botticelli La naissance de Vénus (1483). Le coquillage duquel elle surgit était un symbole de la vulve des femmes dans l'antiquité. Et elle cache son sexe avec sa chevelure.
Wikicommons
L'Origine du monde de Gustave Courbet
L'Origine du monde de Gustave Courbet
Page Wikipedia de l'oeuvre


Quinze ans plus tard, en juin 2014, Déborah de Robertis, artiste, avait été arrêtée au musée d’Orsay, à Paris, après avoir dévoilé, au vu et au su de tous les visiteurs, son sexe en dessous de la toile "l'Origine du monde", sa propre origine du monde en quelque sorte. La salle avait aussitôt été évacuée. Sa mise en scène, intitulée "Le miroir de l'origine", visait à incarner le regard absent du sexe peint par Courbet, dans le miroir que sont les visiteurs. Ce n’est pas la première fois que Déborah de Robertis s’expose ainsi. Elle dévoile régulièrement son sexe devant des galeries d’art contemporain, les musées nationaux, à Bruxelles, Paris et ailleurs. Avec à chaque fois une admonestation et arrestation. Au XXIème siècle, on accepte la représentation, pas la réalité…
 

Le jeune performeuse luxembourgeoise est donc une multi-récidiviste : en janvier 2016, elle réitère une fois encore au Musée d'Orsay, devant l'"Olympia" nue et alanguie de Manet. Et le 4 septembre 2016, elle investit le Musée Guimet où l'on peut admirer des oeuvres d'art asiatiques et d'inspiration extrême-orientale. Elle se place sous les photographies de Nobuyoshi Araki, souvent qualifié lui-même de "sulfureux". Japan FM nous raconte l'incident : "Ce dimanche 4 septembre 2016, une performance imprévue de la part de Deborah de Robertis a visiblement été saluée par les visiteurs présents mais n’a pas été au goût du musée Guimet ! Cette fois-ci, elle est venue nue, vêtue seulement d’un léger haut de kimono et dévorant une pastèque les cuisses ouvertes,  au milieu des photographies d’ARAKI. Cette performance se prêtait ainsi plutôt bien à l’esprit des œuvres du photographe, des visiteurs assistant au spectacle pensant même que c’était organisé par l’institution. Pourtant l'artiste a été mise dehors, et le musée a été également évacué par la même occasion." Une évacuation digne d'une alerte à la bombe...
 

Une éducation qui laisse à désirer

Une étude mentionnée par le quotidien français Libération révèle que près d’une femme sur deux s’accorde à dire que son vagin est la partie du corps qu’elle connaît le moins bien. 61% des femmes sollicitées éprouvent « quelques inquiétudes » quant à « l’apparence externe de leur vagin », 47% n’arrivent pas à se faire une idée de sa taille. 
 
Dans le même ordre d’idée, un rapport sur l’éducation sexuelle, réalisé en juin 2016 par le Haut Conseil à l’Egalité inquiète. Le quart des jeunes Françaises de 15 ans ne savent pas qu’elles ont un clitoris. Et 83% des collégiennes de classe de 4ème et de 3ème ignorent son fonctionnement. 
 
Pourtant, nous nous souvenons toutes et tous avoir étudié les organes reproducteurs de la femme en cours de Sciences de la vie et de la Terre au collège. Mais voilà, les schémas classiques présentent des coupes d’organes internes, sans étude de la vulve. 

Appareil génital féminin
Appareil génital féminin
Page Wikipedia: appareil reproducteur féminin

Un clitoris en 3D pour expliquer le plaisir aux élèves

Grand absent des manuels de sciences de la vie et de la terre, un clitoris en 3D a été modélisé par Odile Fillod, une chercheuse indépendante française. Le but est d’offrir un outil pédagogique aux professeurs et éducateurs sexuels pour mieux enseigner l’organe du plaisir féminin aux enfants et aux adolescents. Une avancée célébrée au delà de l'Hexagone, par le Guardian britannique par exemple. Reste à savoir si les professeurs des lycées, collèges et écoles de France, choisiront de l'utiliser.  

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Les sexes parfaits des actrices porno

 
Alors où voir des sexes de femmes ? Dans les films pornographiques. Seulement, la représentation du sexe féminin - épilé, lisse -, n’est absolument pas fidèle à la réalité. Par exemple, les petites lèvres ne dépassent jamais des grandes dans les films érotiques. C’est pourtant le cas chez 75% des femmes. 
 
Les différences entre porno et réalité sont montrées de façon intéressante et amusante dans la vidéo suivante, à l'aide de fruits (vidéo en anglais, sous titrée français):

Porn Sex vs Real Sex : The differences Explained with food.
Les vulves des actrices pornographiques, « parfaitement » proportionnées, la mode de l’épilation intégrale mais aussi celle des pantalons serrés ont contribué à attirer l’attention des femmes sur cette zone de leur corps.
 
Complexées, certaines se tournent vers la nymphoplastie, la chirurgie du sexe féminin. Apparue au XXème siècle, cette chirurgie du vagin servait alors essentiellement à la réparation de sexes distendus après des accouchements, aux réparations d’hymens ou des dégâts provoqués par les excisions. Le magazine Grazia nous apprend qu’aujourd’hui, l’opération est avant tout motivée par un but esthétique. Elle coûte entre 1 500 et 2 000 €. Le nombre de femmes engagées dans cette pratique est encore méconnu. Malgré l’absence de statistiques globales, il semble que le phénomène soit encore marginal, mais qu’il se développe à grande vitesse. En 2013, un rapport britannique indiquait que le nombre de réductions labiales avait été multiplié par cinq ces dix dernières années.

Ces artistes qui veulent libérer la vulve 

 
En dessinant des sexes féminins sur les murs, accompagnés de la mention « Gloire aux vulves », ou en naviguant à bord d’un kayak-vulve inspiré d’un moulage de leur entre-jambes, les artistes s’engagent à travers le monde. Leur but : réconcilier les femmes avec leurs vulves.

Parmi elles, l’américaine Meredith Grace White a créé le @clubclitoris, un compte Instagram dans lequel elle expose des illustrations de vulves inspirées de vrais modèles. Chacune d’entre elles est unique, irrégulière et naturelle. Elle répond à nos questions.

J’ai voulu représenter des vulves par rébellion
Meredith Grace White


Comment vous est venue l’idée de dessiner des vulves ?

Meredith Grace White : J’ai voulu représenter des vulves par rébellion. Les sexes de femmes sont tabous et considérés par la société comme dégoûtants. J’ai passé des années à avoir honte de mon propre corps. En postant les illustrations sur le @clubclitoris, j’ai découvert que d’autres femmes avaient la même sensation. 
 
Tous mes dessins font référence au sexe d’une vraie personne, avec ses poils, ses irrégularités de lèvres, ses fossettes, et ses taches de rousseur. Doucement mais sûrement, nous commençons à accepter et aimer nos différences. Nos vagins sont normaux, naturels, et splendides.
 
Pourquoi pensez vous que les femmes n’aiment pas leurs vulves ?
 
M. G. W. : Malheureusement, notre culture a fait naître une insécurité typiquement féminine. Les médias mettent en avant des modèles physiques inatteignables, pendant que la pornographie renforce le concept effrayant que les femmes et leurs vagins sont des objets sexuels. Beaucoup de femmes avec qui j’ai été en contact considéraient leurs parties intimes comme dégoûtantes et disgracieuses. Elles étaient effrayées par l’intimité parce qu’elles étaient terrifiées à l’idée d’être jugées sur leurs vulves. La plupart des femmes ne réalisent pas que leur vagin est complètement normal. Et c’est déchirant.
 
Qu’est ce qui est tabou ? La vulve en général ou la vulve qui sort de l'ordinaire ? 
 
M. G. W. : En général, dessiner et parler de vulves est considéré comme inconvenant. La vulve « imparfaite » est, elle, répugnante.

Les attributs génitaux masculins sont en général vus comme des atouts

Et les sexes masculins dans tout ça ?
 
M. G. W. : Les attributs génitaux masculins sont en général vus comme des atouts, et les hommes complimentés sur leur sexualité. Le sexe et l’activité sexuelle féminine sont, eux, associés au honteux. Il faut faire tomber cette barrière.
 
Je dessine également des pénis. J’essaye de normaliser tous les appareils génitaux, même ceux des hommes, pour pousser les individus à accepter leur corps.