Qui est Frances Haugen, la lanceuse d'alerte de Facebook ?

A 37 ans, Frances Haugen est devenue le visage de David face au Goliath des réseaux sociaux. Après avoir travaillé deux ans chez Facebook, elle décide de démissionner. Dans ses cartons, des milliers de documents : les désormais célèbres "Facebook papers", qu'elle a rendus publics pour dénoncer les pratiques de l'entreprise créée par Mark Zuckerberg. 
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Frances Haugen
La lanceuse d'alerte Frances Haugen dénonce les pratiques de Facebook lors de son audition au Sénat américain, le 5 octobre 2021 (Washington).
©Drew Angerer/Pool via AP
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Londres, Lisbonne, Berlin, Bruxelles et Paris... Tout le monde se l'arrache. Celle que l'on ne présente plus aujourd'hui, la lanceuse d'alerte de Facebook, Frances Haugen est auditionnée ce mercredi 10 novembre par les députés des commissions des Lois et des Affaires économiques à l'Assemblée nationale française.

Depuis la rentrée, les "Facebook Papers", des milliers de documents internes qu'elle a remis à l’autorité boursière américaine (SEC), montrent que le groupe californien était conscient du potentiel de nuisance de ses réseaux sociaux – contenus toxiques sur Instagram pour les adolescents, désinformation qui nuit à la démocratie… Mais il a choisi, en partie, de les ignorer, par souci de préserver ses profits.

Des lois pour réguler les géants du numérique ?

Frances Haugen a salué lundi à Bruxelles le "potentiel énorme" du projet européen de régulation des géants du numérique, estimant qu'il pouvait même servir de "référence" aux Etats-Unis. S'exprimant devant les eurodéputés, elle a accusé son ancien employeur de "nuire aux enfants, attiser les divisions, affaiblir (les) démocraties" et de "faire passer le profit avant la sécurité" des utilisateurs.

L'ancienne employée du géant américain, rebaptisé Meta, a rencontré le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton, à l'origine de deux projets de législation (DSA et DMA) présentés en décembre 2020. "On a vu l'impact que les grandes plate-formes peuvent avoir sur nos démocraties et sociétés, notamment sur le bien-être de nos enfants", a déclaré le commissaire français à l'issue de son entrevue avec Frances Haugen, qu'il a remerciée pour son "dévouement sans relâche". Il a affirmé la détermination de l'UE à réglementer "ce qui ressemble toujours à un Far West digital".

L'audition de la lanceuse d'alerte par les parlementaires européens doit permettre de "mieux comprendre les techniques que Facebook, mais aussi d'autres portiers de l'internet ("gatekeepers"), utilisent pour contrôler les flux de données", a déclaré l'eurodéputé allemand Andreas Schwab (PPE, droite) sur Twitter, souhaitant l'adoption par l'UE d'un "cadre légal clair".

Facebook, promoteur de haine en ligne ?

Frances Haugen, qui a déjà témoigné devant les parlementaires américains et britanniques, accuse notamment Facebook de répandre la haine en ligne et la désinformation en utilisant un système donnant la priorité aux contenus qui font le plus de clics. Des accusations rejetées par le principal intéressé : "Au cœur de ces accusations réside l'idée que nous privilégions les profits plutôt que la sécurité et le bien-être. Ce n'est tout simplement pas vrai." , a répondu Mark Zuckeberg sur son compte. 

En quelques semaines, Frances Haugen a reçu une liste des signataires d'une pétition de soutien à ses actions, recueillant plus de 80 000 personnes, selon l'ONG SumofUs. Frances Haugen "nous donne enfin des preuves tangibles de ce que les militants, les chercheurs et la société civile ont toujours soupçonné (...) Sa venue ici alimente donc le débat sur la législation qui doit être adoptée, et nous espérons qu'elle le sera", estime la militante Flora Rebello Arduini.

De l'ingénieure à la lanceuse d'alerte

Diplômée de la prestigieuse université de Harvard, la jeune ingénieure travaille pendant quinze ans pour Google, pour les réseaux sociaux Pinterest et Yelp. A 35 ans, cette spécialiste des "classements algorithmiques" rentre chez Facebook en tant que cheffe de produit, avec la ferme intention d'y "lutter contre la désinformation". Au sein d'une équipe chargée des risques de manipulation électorale par la désinformation et de lutter contre les discours haineux, elle espère rendre la plate-forme moins toxique, convaincue que les réseaux sociaux peuvent faire ressortir le meilleur de l'humanité. Sa mission se solde par un échec cuisant dont elle tire les conséquences au printemps dernier en démissionnant, emportant dans ses cartons des milliers de documents qu'elle transmet au régulateur américain et au Congrès, les fameux "Facebook papers", dont de larges extraits sont publiés dans la presse. 

Mais ce n'est que le 3 octobre dernier qu'elle décide finalement de sortir de l'anonymat. L'ancienne employée de Facebook  témoigne à visage découvert sur la chaîne CBS, dans l'émission 60 minutes.  "En étant à l’intérieur de Facebook, je savais des choses que personne ne savait au-dehors. En 2021, j’ai décidé qu’il fallait que j’accumule assez de documents pour qu’on ne remette pas en cause leur véracité", confie-t-elle sur la chaine d'info américaine. 

Plus elles utilisent Instagram, plus elles sont déprimées et plus elles sont déprimées, plus elles utilisent Instagram.
Frances Haugen, sur CBS

Ses informations proviennent en partie de recherches menées par Facebook sur son propre réseau social Instagram depuis trois ans. Il en ressort que 32% des adolescentes interrogées jugent qu'Instagram accentue leurs complexes et leur mal-être. "Plus elles utilisent Instagram, plus elles sont déprimées, explique la lanceuse d'alerte et plus elles sont déprimées, plus elles utilisent Instagram. C’est ce que montrent les recherches internes de Facebook."
 

Mark Zuckerberg, responsable désigné

Toujours sur CBS, elle dit avoir constaté de manière répétée "des conflits d’intérêts entre ce qui était bon pour les utilisateurs, et ce qui était bon pour l’entreprise." Selon elle, "la version actuelle de Facebook" divise nos sociétés et provoque "des violences interethniques".

Je suis ici parce que je pense que les produits de Facebook blessent nos enfants, sèment la division et affaiblissent notre démocratie.
Frances Haugen, devant le Sénat américain

Le 5 octobre, devant les membres de la Commission au commerce du Sénat américain, le ton se fait encore plus dur. "Je suis ici parce que je pense que les produits de Facebook blessent nos enfants, sèment la division et affaiblissent notre démocratie, lance-t-elle en introduction. Les algorithmes sont très forts, dans le sens où ils trouvent les choses que veulent les gens pour rester sur la plate-forme. Et malheureusement, dans le cas des adolescentes, ils développent des spirales. Les enfants utilisent Instagram pour s'apaiser mais sont du coup exposés à de plus en plus de contenus qui les font se détester eux-mêmes", ajoute l'informaticienne, qui préconise que l'âge légal pour être sur Facebook soit ramené à 17 ans. 

Au cours d'une audition de plus de trois heures, la trentenaire n'hésite plus à mettre en cause directement le cofondateur du réseau social. "Au final, la responsabilité revient à Mark, lance-t-elle, Mark Zuckerberg a un rôle unique dans l'industrie de la tech parce qu'il détient plus de 55% des droits de vote de Facebook. Il ne rend de comptes à personne".

Dans sa croisade face au géant de la Silicon Vallley, Frances Haugen n'est pas seule, elle est assistée par Whistleblower Aid. Cette ONG américaine s'appuie sur le statut protégé de lanceur d'alerte créé par la loi Dodd-Franck en 2010, et c'est elle qui l'a notamment aidée à déposer huit plaintes pour mensonge contre Facebook.

A l'issue de son audition début octobre à Washington, un sénateur démocrate, Ed Makey, a salué le courage de la lanceuse d'alerte, voyant en elle "une héroïne du XXIème siècle, qui a averti notre pays des dangers que courent notre jeunesse et notre démocratie." Comme le précise le correspondant de France Inter à Los Angeles, "Elevée dans l'Iowa par un père docteur et une mère devenue pasteure, elle vit désormais à Portorico, où personne ne l'a encore reconnue". Plus pour longtemps.