Fil d'Ariane
Une "guerrière progressiste". Voilà comment Rashida Tlaib aime à se définir elle-même.
Née à Detroit dans une famille palestinienne, Rashida Tlaib, 43 ans, est la première élue au Congrès américain d'origine palestinienne ainsi que l'une des deux premières femmes musulmanes à siéger à la Chambre des représentants. En 2009, elle fut la première musulmane à siéger à l'Assemblée de l'Etat du Michigan.
Avec l'autre élue musulmane du Congrès, la démocrate Ilhan Omar, Rashida Tlaib a fait cette semaine la une des médias internationaux lorsqu'Israël a refusé d'autoriser leur visite sur son territoire.
It would show great weakness if Israel allowed Rep. Omar and Rep.Tlaib to visit. They hate Israel & all Jewish people, & there is nothing that can be said or done to change their minds. Minnesota and Michigan will have a hard time putting them back in office. They are a disgrace!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) August 15, 2019
Cette affaire a démarré par un tweet de Donald Trump jugeant qu'Israël ferait preuve d'une "grande faiblesse" s'il autorisait Rashida Tlaib et l'élue du Minnesota Ilhan Omar, elle aussi démocrate et membre de l'aile gauche du Parti démocrate, à effectuer une visite prévue en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés.
Toutes deux ont été accusées par certains d'antisémitisme, en raison notamment de leur soutien à la campagne internationale de boycott d'Israël. Estimant que le boycott est "un droit et une partie de notre combat historique pour la liberté et l'égalité", Rachida Tlaib a défendu son soutien à ce mouvement, rejetant toute accusation d'antisémitisme. Elle défend en outre la solution d'un seul Etat pour Israéliens et Palestiniens, ce qui lui vaut également des critiques.
"Séparés tout en étant égaux ne marche pas", avait-elle expliqué en citant l'exemple de la lutte contre la ségrégation aux Etats-Unis, dans un entretien accordé au site In These Times en 2018.
Après plusieurs retournements, Rashida Tlaib a finalement annoncé qu'elle renonçait à rendre visite à sa grand-mère, Muftia, en Cisjordanie occupée, en dénonçant les "conditions oppressives" imposées par Israël.
"Lorsque j'ai remporté l'élection pour siéger au Congrès américain, de nombreux Palestiniens, surtout ma grand-mère, ont eu un sentiment d'espoir, l'espoir d'avoir enfin une voix. Je ne peux pas laisser le gouvernement israélien (...) utiliser mon profond désir de voir ma grand-mère, peut-être pour la dernière fois, comme un levier politique", explique-t-elle.
Aînée d'une famille de 14 enfants, mère de deux enfants, Rashida Tlaib évoque souvent avec tendresse et fierté sa famille, racontant son enfance modeste à Detroit, bastion de l'automobile du nord des Etats-Unis où les hivers sont redoutables. "Ses deux jeunes fils sont à l'origine de sa passion indéfectible pour aider à améliorer la vie des gens", peut-on lire sur son site officiel.
En 2018, alors qu'elle était avocate pour une organisation oeuvrant à la défense des "pauvres et des travailleurs", elle avait fait campagne sur un programme progressiste en l'emportant aisément dans sa circonscription, un bastion démocrate où les républicains n'avaient pas présenté de candidat.
Le jeudi 3 janvier 2019, Rashida Tlaib marque les esprits en étant la première élue à prêter serment en dishdasha, robe traditionnelle palestinienne. Ce vêtement est un hommage à la broderie palestinienne, réputée pour la complexité de ses motifs minutieusement brodés à la main, qui diffèrent selon la ville d'origine de sa propriétaire.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Rashida Tlaib (@rashidatlaib) le 14 Déc. 2018 à 2 :03 PST
"Voilà ce que je porterai quand j'entrerai au congrès. #PourToiMaman" avait-elle écrit sur son compte Instagram quelques semaines avant de rejoindre les bancs du Parlement.
Comme elle l'a fait tout au long de sa campagne, l'élue démocrate, depuis son arrivée à Washington, continue inlassablement de plaider pour une procédure de destitution contre Donald Trump, parfois dans des termes virulents. Elle avait ainsi fait scandale quelques heures seulement après la cérémonie de prestation de serment en lâchant devant des proches, lors d'une soirée célébrant sa victoire: "Nous allons destituer ce fils de pute !".
Largement relayée, la vidéo avait provoqué l'indignation du camp républicain, Donald Trump lui-même dénonçant des propos "honteux". "Elle s'est déshonorée et (...) a déshonoré sa famille", avait commenté le président américain.
Déjà, lors de la campagne présidentielle de 2016, Rashida Tlaib avait apostrophé Donald Trump en pleine conférence à Detroit... mais dans des termes plus policés, avant d'être arrêtée et expulsée de la salle.
"J'ai dit à Trump que nos enfants méritent mieux que cela et je lui ai demandé de leur donner un meilleur exemple. Je l'ai supplié de lire la Constitution américaine", avait-elle expliqué dans le journal Detroit Free Press. Face aux critiques qui avaient jugé ce comportement "inapproprié", elle avait répondu: "Je trouve inapproprié que les Américains ne s'élèvent pas contre le discours et les tactiques emplis de haine de Trump".
Dans cette même tribune, elle qualifiait ce dernier de "menace directe et grave pour le pays". "Nous avons déjà des preuves accablantes que le président a commis des infractions justifiant sa destitution", y écrivait-elle. "Chaque jour apporte son lot de dommages aux nombreuses personnes touchées par les actes de ce président sans foi ni loi. Il est temps de lancer maintenant une procédure de destitution".
"Je parlerai toujours vrai au pouvoir", avait-elle posté sur Twitter, en balayant l'idée de s'excuser après la vidéo qui avait fait scandale. "Il ne s'agit pas seulement de Donald Trump. Il s'agit de nous tous. Nous devons nous élever face à cette crise constitutionnelle ".
Ce lundi 19 août 2019, c'est le visage ruisselant de larmes qu'elle explique aux médias pourquoi elle a renoncé à se rendre en Cisjordanie occupée. "Elle m'a dit que j'étais son rêve réalisé, son oiseau libre", dit-elle, la voix brisée, relatant la conversation téléphonique qu'elle a eu avec sa grand-mère. "Pourquoi devrais-je revenir et me laisser mettre en cage, et m'incliner alors que mon élection (...) a restauré sa dignité pour la première fois ?". "C'est donc en larmes, à trois heures du matin, que nous avons tous décidé, en famille, que je ne pouvais pas y aller tant que je ne serai pas une élue des Etats-Unis libre", conclut-elle.
I lost a few years ago a #MyPalestinianSitty Thoraia intelligent and educated woman, the cornerstone of the house, loves and supports unconditionally. A real Palestinian grandmother! pic.twitter.com/oLqDQwMO3z
— Haj Yahya Nafi (@dr_nafi3) August 20, 2019
(Il y a quelques années, j'ai perdu une femme intelligente et instruite #MyPalestinianSitty Thoraia, la pierre angulaire de la maison, qui aime et soutient inconditionnellement. Une vraie grand-mère palestinienne!)
#MyPalestinianSitty was born in 1921 in Lifta, west of Jerusalem. She lived through the depopulation of her village and saw her uncles jaw shot off by the Irgun/Lehi and had to walk to Ramallah where she gave birth to my mother and her 4 siblings. pic.twitter.com/xtf1ddR8IS
— rumi (@medicalcheetos_) August 19, 2019
En signe de solidarité, sur Twitter, des dizaines d'internautes partagent le visage ridé, les manies et les leçons de vie de leur grand-mère palestinienne via le mot-clé #MyPalestinianSitty – sitty désignant une aïeule en langue locale.
This was my other #MyPalestinianSitty who no one could mess with. She was proud of being from #BeitHanina and was one fierce woman. pic.twitter.com/6VKUArdekD
— Rashida Tlaib (@RashidaTlaib) August 18, 2019
Rashida Tlaib a également rejoint le mouvement. Sur son compte Twitter, on retrouve la photo de son autre grand-mère palestinienne, qui "ne se laissait embêter par personne". Un trait de famille, incontestablement.