Qui est Sahra Wagenknecht, candidate de la gauche radicale en Allemagne ?

A quelques jours des élections législatives anticipées du 23 février 2025, Sahra Wagenknecht rassemble autour de ses positions anticapitalistes, pacifistes prorusses, souverainistes et contre l'immigration. L'alliance qu'elle a créée inquiète les partis établis. 

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Sahra Wagenknecht

Sahra Wagenknecht lors d'une convention du parti en amont des élections fédérales. Bonn, Allemagne, le 12 janvier 2025.
 

AP Photo/Martin Meissner
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Peut-elle dynamiter le système politique allemand ? C'est en tout cas l'ambition de l'ancienne communiste Sahra Wagenknecht, cheffe du BSW – pour Bündnis Sarah Wagenknecht (Alliance Sahra Wagenknecht) – dont la possible entrée au Parlement donne des sueurs froides aux partis traditionnels. Au regard de ses positions sur l'immigration et les questions de société, cette nouvelle formation, étiquetée "conservatrice de gauche", veut couper l'herbe sous le pied de l'AfD, à l'extrême droite du spectre politique allemand.

Le discours de Sahra Wagenknecht touche particulièrement les citoyens de l'ex-RDA communiste, ces électeurs dont le sentiment de déclassement est plus fort qu'à l'ouest, qui ne se sentent plus écoutés, qui voient l'immigration d'un regard hostile, et se sentent traditionnellement plus proches de la Russie que ceux de l'ouest. 

Nous avons enfin besoin d'un signal différent et non de la poursuite de la même chose, car notre pays ne peut plus le supporter. Sahra Wagenknecht

Forte de ses premiers succès électoraux, le BSW a rejoint les coalitions au pouvoir dans deux Etats régionaux de l'est du pays, ce qui n'empêche pas Sahra Wagenknecht d'accuser le chancelier Olaf Sholz et les partis de sa coalition de centre-gauche de mener l'Allemagne vers la "misère" : "Notre pays est menacé de désindustrialisation, combinée à une perte dramatique de prospérité pour la population, et une perte significative de sécurité... C'est pourquoi nous avons enfin besoin d'un signal différent et non de la poursuite de la même chose, car notre pays ne peut plus le supporter", dit-elle.

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Un parti centré sur une cheffe

Mi-janvier 2025, à six semaines des législatives du 23 février en Allemagne, l'élue de 55 ans était saluée par une ovation lors du lancement de la campagne du parti qui porte son nom, l'Alliance Sahra Wagenknecht. Centré sur la personnalité de sa dirigeante, brillante intellectuelle et docteure en sciences économiques, le BSW dit vouloir, à terme, changer son nom : "On garderait les mêmes initiales mais on changerait les mots derrière, comme Sicherheit (sécurité en allemand, ndlr) pour S, Wohlstand (prospérité en allemand, ndlr) pour W", dit-elle.

Formé début 2024, le BSW gagne en popularité sous l'impulsion de sa dirigeante, ancienne égérie du parti d'extrême gauche Die Linke, dont elle a claqué la porte fin 2023 pour créer sa propre plateforme. Selon un portrait paru en 2023 dans l'hebdomadaire Der Spiegel, sa posture "d’éternelle outsider de son parti, qu’elle a pourtant souvent représenté dans les meetings et les talk-shows, toujours seule contre tous – en désaccord avec les autres invités, mais aussi régulièrement avec les présentateurs”, a contribué à créer ce que le magazine qualifie de "phénomène Wagenknecht."

J'aurais mille fois préféré passer ma vie en RDA plutôt que dans l'Allemagne dans laquelle je dois vivre actuellement. Sarah Wagenknecht

L’hebdomadaire rappelle aussi que Sahra Wagenknecht a déjà tenté, en 2019, de lancer son propre mouvement, baptisé Aufstehen (“Debout”) et inspiré de Podemos en Espagne et de La France insoumise. Mais “le lancement de la formation a été suivi de peu d’effets. Le mouvement s’est empêtré dans ses contradictions et son opacité, et a rapidement souffert de querelles intestines."

Partenaire obligé

L'Alliance Sahra Wagenknecht a effectué un démarrage électoral fulgurant en décrochant la troisième place dans trois scrutins régionaux organisés à la fin de l'été 2024 dans l'est de l'Allemagne, après les 6,2% atteints aux européennes de juin 2024, son premier scrutin. Avec des scores entre 12% et 16% en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg, le BSW s'est imposé comme arbitre dans les parlements de ces Länder, seul partenaire possible des partis politiques qui ne voulaient pas composer avec l'extrême droite. Dans le Brandebourg, le BSW s'est allié avec le parti social-démocrate d'Olaf Scholz. En Thuringe, avec le SPD et les conservateurs de la CDU. 

Le BSW est ainsi devenu incontournable pour les autres partis dans ces régions de l'est du pays : "On ne nous considérera plus comme un phénomène médiatique mais comme un parti destiné à changer la politique de notre pays", disait-elle pendant la campagne. Elle reste une figure très controversée de la gauche : fin août 2024, Sahra Wagenknecht a été aspergée de peinture lors d’un meeting de campagne à Erfurt, en Thuringe.

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Racines 

Née en ex-Allemagne de l'Est, d'un père iranien qu'elle a peu connu et d'une mère allemande, Sahra Wagenknecht a souvent nagé à contre-courant, s'engageant au Parti communiste quelques mois avant la chute du Mur, en 1989. "J'aurais mille fois préféré passer ma vie en RDA plutôt que dans l'Allemagne dans laquelle je dois vivre actuellement", déclarait-elle alors que le monde entier célébrait la réunification de l'Allemagne. 

Sahra Wagenknecht est conseillée par son second époux Oskar Lafontaine, 81 ans, ancienne gloire de la social-démocratie allemande.

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Abréger les souffrances de l'Ukraine

En février 2023, elle organise, avec Alice Schwarzer, l’une des féministes allemandes les plus connues, fondatrice et rédactrice en chef du magazine féministe EMMA, une manifestation s'opposant à la livraison d'armes à l'Ukraine et demandant des pourparlers de paix avec la Russie.

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"La peur de la guerre est de retour" : fin août 2024, devant des électeurs de l'est de l'Allemagne, Sahra Wagenknech prêchait pour la paix avec les Russes et un arrêt des livraisons d'armes à Kiev. Au pied des barres d'immeubles d'un quartier populaire de Iéna, sa ville natale, en Thuringe, l'oratrice évoquait, charismatique, des souvenirs que partagent les quelques centaines de personnes, retraitées pour la plupart, venues l'écouter : "J'ai grandi pendant la guerre froide et enfant, j'avais peur que des bombes atomiques tombent sur l'Europe". Margit Hoffmann, ancienne infirmière de 83 ans venue au meeting de Iéna, résume l'opinion répandue dans cette région : "Le plus important pour moi, c'est la paix... l'argent public allemand doit aller ailleurs que dans les livraisons d'armes".

Toujours élégante, avec son chignon, Sarah Wagenknecht reconnaît que "Vladimir Poutine a déclenché une guerre contraire au droit international", tout en jugeant que "l'ouest a sa part de responsabilité", faute d'avoir "pris au sérieux les préoccupations sécuritaires de la Russie". Aujourd'hui, elle estime que "nous ne devons pas prolonger l'agonie" de l'Ukraine, car "les livraisons d'armes sans fin n'ont pas amélioré la situation". 

Pour elle, c'est un "crime" de ne pas avoir tout fait pour rétablir la paix en Ukraine : "Nous n'avons pas tout fait pour mettre fin à la guerre en Ukraine ; nous avons tout fait la prolonger", affirme-t-elle.

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Sarah Wagenknecht rembarre catégoriquement ceux qui l'accusent d'être la voix de Moscou. "C'est une honte de nous reprocher cela", dit-elle, questionnée sur de fausses informations répandues sur internet par des membres de son parti. Outre l'arrêt des livraisons d'armes à l'Ukraine, elle s'oppose à l'Otan et rejette le projet de déploiement des missiles américains longue portée en Allemagne.

Inverser la politique migratoire

Sarah Wagenknecht prône une ligne stricte contre l'immigration  (plus de 2 millions d'arrivées en Allemagne en 2022) proche de la droite dure, ce qui lui vaut le qualificatif de "conservatrice de gauche". "Le BSW veut clairement inverser la politique migratoire. Nous ne pouvons pas accueillir tout le monde en Allemagne", affirme celle qui impute au gouvernement d'Olaf Scholz la responsabilité des attaques aux couteaux qui ont eu lieu ces derniers mois en Allemagne. Elle explique vouloir s'inspirer du Danemark, très restrictif : "Ils ont fait baisser drastiquement les chiffres en signalant au monde entier qu'il n'y avait aucune perspective de rester chez eux pour toute personne déboutée du droit d'asile".

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Une ascension qui marque le pas

Après des débuts fulgurants, la formation de Sarah Wagenknecht, symbolisée par la couleur violette semble toutefois à la peine dans les intentions de vote. Les sondages qui lui prédisaient jusqu'à 10% des voix en septembre 2024, créditent désormais le BSW d'un score de 5%, le seuil pour entrer au Bundestag, le Parlement allemand. Le parti ne compte que 1 100 adhérents et quelque 25 000 sympathisants enregistrés. Dans de nombreuses régions, il ne dispose pas encore de structures.

Le chef de la CDU nationale Friedrich Merz, favori pour succéder à Olaf Scholz, rejette toute hypothèse d'alliance avec cette figure de "la vieille RDA". Si le BSW a attiré des personnalités du monde des arts et du sport, ainsi que l'entrepreneur millionnaire Ralph Suikat, qui a déclaré vouloir "payer plus d'impôts", il reste fortement centré sur la personnalité de Sarah Wagenknecht.

Figure familière des talk-shows télévisés, elle y a longtemps véhiculé un discours critiquant le capitalisme, l'arrogance supposée des élites et un militarisme occidental jugé dangereux. Mais selon le magazine allemand Der Spiegel, qui la qualifie de “l’une des femmes politiques les plus connues et les plus controversées d’Allemagne” dans un portrait intitulée L'insaisissable paru en 2023, cette posture d'oratrice "ne lui suffit plus, elle veut maintenant participer".

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BSW + AfD ?

Les positions prorusses du BSW sur l'Ukraine et contre l'immigration lui ont valu d'être comparé à l'AfD, l'Alternative pour l'Allemagne, le parti d'extrême droite. Attendu en deuxième position avec plus de 20% dans les enquêtes d'opinion, l'AfD est dirigée par l'autre femme forte de ces élections, Alice Weidel. Mais Sarah Wagenknecht exclut toute coalition avec ce parti : "l'AfD a une aile d'extrême droite très radicale, surtout à l'est du pays. On ne peut pas faire une coalition avec des gens à l'idéologie 'völkisch' (affirmant la pureté de la race germanique, ndlr)". 

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