Qui est Virginia Giuffre, celle qui accuse le Prince Andrew d'agression sexuelle ?

Elle a fait résonner l'affaire Epstein jusqu'à Buckingham Palace. Virginia Giuffre accuse le prince Andrew de l'avoir agressée sexuellement quand elle avait 17 ans. Le fils cadet de la reine d'Angleterre, désormais déchu de tous ses titres militaires, pourrait devoir faire face à un procès au civil à l'automne prochain. 
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Virginia Giuffre
Virginia Roberts Giuffre a déposé plainte à New York à l'été 2021 contre le prince Andrew pour agression sexuelle au sein du réseau Epstein lorsqu'elle était mineure. 
©AP Photo/Bebeto Matthews
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Qui est celle qui fait s'effriter les ors de la couronne britannique sur fond de scandale sexuel ?

Virginia Giuffre sort de l'ombre pour la première fois en mars 2011, dans un entretien accordé au journal britannique Daily Mail. Elle raconte avoir été exploitée sexuellement par le couple Epstein-Maxwell, en évoquant pour la première fois le prince Andrew. A ce moment là, elle ne l'accuse officiellement encore ni d'agression sexuelle ni de viol.

Selon elle, sa rencontre avec Ghislaine Maxwell a lieu à l'été 2000, à l'âge de 16 ans, pendant un job d'été à la résidence Mar-a-Lago, propriété de Donald Trump en Floride. La fille du magnat de la presse anglaise l'aurait appâtée en lui parlant d'un homme riche qui cherchait une masseuse. Mais une fois à la résidence de Jeffrey Epstein, toujours en Floride, les massages prennent un tour sexuel. Dans un récit similaire à d'autres victimes, Virginia Giuffre explique qu'elle était trop fragile pour s'opposer, elle qui avait déjà été victime d'abus sexuels et fugué plusieurs fois dans son enfance.

J'étais la victime parfaite pour eux.
Virginia Giuffre

"J'avais été maltraitée tellement de fois avant qu'Epstein me fasse ce qu'il m'a fait. Je n'avais aucun amour-propre (...). J'étais la victime parfaite pour eux", raconte-t-elle dans un documentaire de Netflix ("Jeffrey Epstein, Filthy Rich").

D'après son récit, c'est en 2002 qu'elle a pu fuir en Thaïlande. Aujourd'hui âgée de 38 ans, elle vit désormais en Australie où elle a fondé une famille ainsi qu'une association de soutien à la parole des victimes d'agression et de trafic sexuels ("Speak out, Act, Reclaim").

Le "J'accuse" de Virginia contre le Prince Andrew

Ce n'est qu'à l'été 2021 que Virginia Giuffre décide de déposer plainte, au civil, devant un tribunal de New York, pour demander réparation. Elle y accuse le prince d'agressions sexuelles quand elle avait 17 ans, à Londres, New York, et sur l'île privée de Jeffrey Epstein, aux Îles Vierges américaines.

L'examen de sa plainte a fait ressortir un accord de 2009, dans lequel elle a transigé avec Epstein pour ne pas le poursuivre, ainsi que "d'autres accusés potentiels", contre 500.000 dollars.

En 2015, le prince et Buckingham Palace ont dû démentir publiquement les accusations selon lesquelles il aurait eu des relations sexuelles avec une femme qui apparaît anonymement dans une procédure judiciaire, et qui s'avère être Virginia Giuffre.

A l'été 2019, un juge américain ordonne la publication de milliers de documents judiciaires en marge d'une action en diffamation intentée par la jeune femme contre Ghislaine Maxwell. L'Américaine y accuse notamment Epstein et Maxwell de l'avoir livrée à certains de leurs puissants amis pour profiter d'elle sexuellement. Elle y nomme plusieurs personnalités, dont le prince Andrew, qui démentent toutes vigoureusement.

Le lendemain de la publication des documents, Jeffrey Epstein est retrouvé mort pendu dans la cellule de la prison fédérale de Manhattan où il est incarcéré. L'enquête officielle a conclu à un suicide, mais la concomitance des événements a nourri les théories selon lesquelles Epstein est mort pour qu'il ne parle pas.

virginia sur Netflix
"Vous nous avez pris notre liberté, maintenant c'est à notre tour de prendre la vôtre.", lance Virginia Giuffre lors de son témoignage dans le documentaire Jeffrey Epstein: Filthy Rich sur Netflix. 
©capture ecran

Absente au procès Maxwell

Au procès de Ghislaine Maxwell devant le tribunal fédéral de Manhattan en décembre, l'accusation a fait citer quatre victimes mais pas Virginia Giuffre, ce qui a suscité des questions tant son nom a été prononcé durant les débats. Il est apparu que la jeune femme avait pris 32 fois l'avion avec Epstein, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Dont un vol Tanger-Luton en mars 2001, là où elle situe sa première rencontre avec le prince Andrew.

Quant à l'une des victimes, qui a témoigné sous le prénom "Carolyn", elle a raconté qu'elle n'avait que 14 ans quand une de ses amies, Virginia Giuffre, l'a emmenée pour la première fois à la résidence d'Epstein à Palm Beach. Dans le Daily Mail, elle a confié sous son nom Carolyn Andriano que Virginia Giuffre lui avait confié avoir "couché avec" le prince Andrew en 2001.

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"Carolyn" lors de son témoignage au procès Maxwell, et à gauche en photo aux côtés du Prince Andrew. 
©capture ecran/CBC

Quelles suites judiciaires pour le prince Andrew ? 

Qu'est-ce qui attend le prince Andrew après le rejet par la justice à New York de son recours contre la plainte civile de Virginia Giuffre ? 

Pour des juristes interrogés par l'AFP, si le second fils de la reine Elizabeth II ne trouve pas d'accord financier avec la plaignante, il sera jugé au civil avec un risque infime pour lui d'un procès pénal.

A la suite de la décision du juge du tribunal fédéral de Manhattan Lewis Kaplan, les avocats du prince britannique peuvent interjeter appel. Ils ont même en théorie la possibilité de se pourvoir devant la Cour suprême des Etats-Unis, mais des experts doutent que la procédure aille jusque-là.

Si tous les recours d'Andrew sont rejetés, un procès au civil pourrait alors se tenir "entre septembre et décembre" de cette année, avait dit à l'automne 2021 le juge Kaplan. Dans ce cas, le duc d'York, qui rejette "catégoriquement" les accusations de Virginia Giuffre, devra faire une déposition sous serment dans le cabinet d'un avocat, probablement au Royaume-Uni, et répondre aux questions de conseils américains de la plaignante.

La plainte déposée contre lui ne peut pas être convertie en poursuites pénales pour crimes sexuels. Mais rien n'empêche à l'avenir des procureurs américains d'engager des poursuites pénales contre Andrew s'ils estiment qu'il a effectivement pu commettre un crime.

Prince Andrew
Le juge de district Lewis A. Kaplan a donné son feu vert le mercredi 12 janvier 2022 à une action en justice contre le prince Andrew par Virginia Giuffre, qui dit l'avoir agressée sexuellement alors qu'elle avait 17 ans.
©Steve Parsons/Pool Photo via AP

De la disgrâce au procès civil ?

Reste que pour l'ancien procureur Roger Canaff, d'éventuelles poursuites au pénal pour "agressions sexuelles" n'auraient pas de "base juridique" pour la justice fédérale américaine et seraient prescrites à l'échelon de l'Etat de New York. En outre, même si le prince royal britannique ne bénéficierait pas d'immunité diplomatique, selon la presse, des juristes américains estiment qu'il serait très difficile de le faire extrader vers les Etats-Unis pour qu'il y soit éventuellement jugé.

{"Cela doit être extrêmement triste pour la reine de devoir dire à son fils préféré qu'il n'a plus ses nominations militaires et qu'il doit mettre son titre en suspens."}

Au lendemain de l'annonce du rejet de son recours, le deuxième fils d'Elizabeth II a perdu ses titres militaires. "Avec l'accord et l'approbation de la reine, les affiliations militaires et parrainages royaux du duc d'York ont été rendus à la reine", a annoncé le palais. Le prince "continuera à ne pas assumer de fonctions publiques et se défend dans cette affaire comme citoyen privé", précise Buckingham, laissant entendre que la reine ne financerait pas ses frais d'avocat.
Le duc d'York ne pourra plus utiliser l'appellation d'"altesse royale" à titre officiel.

Un accord financier possible mais insuffisant

L'un des avocats de Virginia Giuffre, David Boies, a déclaré sur la BBC que sa cliente n'écartait pas un accord, mais qu'une simple transaction financière ne suffirait pas. "Il est très important" pour elle "que cette affaire soit résolue d'une manière qui lui donne raison et qui donne raison aux autres victimes", a-t-il déclaré.

Aller jusqu'au procès, risquer révélations et défaite ou conclure un accord qui sonnerait comme un aveu, pour le prince Andrew, "il n'y a pas de bonne solution", estime Anna Whitelock, historienne spécialiste de la monarchie à la City University de Londres. Et un accord financier apporterait son lot de questions sur "l'origine de cet argent", souligne-t-elle.