Fil d'Ariane
Elle s'appelait Catherine Repond, dite Catillon. Elle fut la dernière femme brûlée en Suisse pour sorcellerie en 1731. Son exécution aurait caché un trafic de fausse monnaie. Et pourtant, la réhabilitation juridique lui a été refusée.
C'était en 2008, l'historien et député au Grand Conseil Jean-Pierre Dorand (PDC) entamait une démarche en vue de rendre son honneur à Catherine Repond, dite Catillon, dernière femme de Suisse à avoir été brûlée pour sorcellerie sur le bûcher du Guintzet, à Fribourg, en 1731. Mais le Grand Conseil fribourgeois n'ira pas plus loin qu'une réhabilitation morale dans le cadre d'un texte général. Contrairement à la Glaronaise Anna Göldi, Catillon n'aura pas droit à une réhabilitation juridique. Et pourtant...
Catillon et les écus du diable, par Josianne Ferrari-Clément, Editions La Sarine
Dans un livre paru en 2008, Josianne Ferrari-Clément, historienne, a mis en lumière des sources qui éclairent l'affaire d'un jour nouveau. Selon elle, Catillon – figure faisant partie de la mémoire collective des Fribourgeois – a été exécutée car elle en savait trop. Le patriciat fribourgeois, alors au pouvoir, a fait d'elle une sorcière pour occulter les agissements d'un réseau de faux-monnayeurs auquel Catherine Repond était liée, au même titre que certains patriciens. Témoin encombrant, on aurait voulu la faire taire en l'accusant de pactiser avec le diable.
Retour dans un passé aux mœurs cruelles. Née en 1663, Catillon vit à Villarvolard, petit village qui domine aujourd'hui le lac de la Gruyère. Elle mène une existence de bohème, sillonnant plaines et montagnes jusqu'en France et en Italie, revenant toujours dans son pays natal, trouvant ses moyens de subsistance le plus souvent dans la mendicité.
Gravitant dans un monde interlope mettant en scène des déserteurs et des "femmes à soldats", elle n'a pas d'enfant. N'hésitant pas à faire l'impasse sur la messe dominicale, elle côtoie apparemment une bande de hors-la-loi qui utilisent notamment un four au pied du Moléson pour battre de faux écus. Est-ce à cause de cela ou simplement en raison de sa vie hors norme ? Elle a en tout cas mauvaise réputation. Lors de son procès, les témoins cités par la justice l'accuseront de mille maux. Mauvaise langue, elle ferait tourner le lait, gâterait le goût du fromage, rendrait le bétail malade...
Béat-Nicolas de Montenach, bailli de Corbières, la jette au cachot en mai 1731. Il l'accuse de s'être métamorphosée en renard. L'automne précédent, à la chasse, il avait en effet blessé un tel animal à la patte. Or Catherine Repond a un pied en fort mauvais état. Elle a beau expliquer qu'une famille de la région du Gibloux, à qui elle avait demandé le gîte, lui a tiré dessus durant la nuit, on ne la croit pas. Pour sûr, il s'agit du coup de feu du bailli !
Elle a été très courageuse. Elle ose accuser un curé de l'avoir violentée, alors qu'elle revenait de confesse.
Josianne Ferrari-Clément
La suite est digne d'un roman d'horreur. Entre avril et août 1731, Catillon subit 13 interrogatoires, dont quatre sous la torture. Elle finit par avouer ce que ses bourreaux veulent entendre : elle va au sabbat, danse avec les démons, s'est même donnée au diable à de nombreuses reprises. Catillon sera finalement étranglée- une mesure de clémence - avant d'être brûlée sur la colline du Guintzet en septembre 1731, à l'âge de 68 ans.
Les archives relatant ses interrogatoires permettent toutefois une autre lecture des événements. A maintes reprises, Catillon attire l'attention sur des faits que Béat-Nicolas de Montenach, qui conduit les auditions, ne prendra pas en considération. "Elle a été très courageuse. Elle ose notamment accuser un curé de l'avoir violentée, alors qu'elle revenait de confesse. A l'époque, c'est presque inimaginable qu'une femme de sa condition puisse mettre en cause un personnage estimé comme un religieux", note Josianne Ferrari-Clément.
Au cours du procès, Catherine Repond pointe surtout les agissements d'un certain Jacques Bouquet, un guérisseur qui est le père des deux enfants de sa sœur. Il a, dit-elle, installé une chaudière dans leur logis de Villarvolard pour fondre du métal et battre de la monnaie. Mais les juges ne veulent rien entendre. Selon l'historienne, ils ont peur. Ils savent que Catillon a des relations au sein du patriciat fribourgeois. Elle connaît en particulier les épouses de certains membres de l'aristocratie dirigeante.
Or il semble, selon les recherches de Josianne Ferrari-Clément, que des notables soient impliqués dans un trafic de fausse monnaie, lequel, gravitant par Fribourg et les forges du Moléson, avait des ramifications jusque dans les montagnes neuchâteloises et même au-delà, en France.
Les juges ont eu peur que Catillon parle trop. Aussi l'ont-ils accusée de sorcellerie pour détourner l'attention.
Josianne Ferrari-Clément
"Les révélations de Catillon auraient pu être compromettantes. Fribourg était dépendante de la France, partenaire économique qui lui fournissait du sel pour ses fromages, qu'elle lui revendait en retour en même temps qu'elle lui procurait des mercenaires. Les juges ont certainement eu peur que Catillon parle trop. Aussi l'ont-ils accusée de sorcellerie pour détourner l'attention", estime l'historienne.
Catillon a donc eu une vie dans la marge. Elle a probablement elle-même trempé dans cette affaire de trafic de fausse monnaie. Mais elle n'a en aucun cas été une sorcière. "Il faut donc la réhabiliter", s'exclamait Josianne Ferrari-Clément. Un cri du cœur qui, en 2010, n'a pas été entendu dans la salle du Grand Conseil fribourgeois.
A défaut d'une réhabilitation juridique de la personne de Catherine Repond, condamnée à tort, le Parlement a opté pour une réhabilitation de la mémoire de l'ensemble des victimes de l'Ancien Régime dans une résolution au texte général et non contraignant. Le législatif de la ville de Fribourg a ensuite empoigné l'affaire et décidé de nommer une place en mémoire de la Catillon, mais en respectant son véritable nom.
Depuis l'époque de Catillon, et surtout depuis le milieu du XXe siècle, l'image de la sorcière a bien changé. Les féministes s'en sont emparées pour affirmer leur indépendance et leur liberté, leur pouvoir et leur féminité, leur sororité et leur proximité avec la nature, comme le montre ce reportage réalisé fin 2019 :
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