« Qui a peur des femmes photographes ? » Pas grand monde apparemment, quand on découvre comment celles-ci se sont appropriées ce média dès ses débuts et ont réussi à s’y faire - jusqu’à aujourd’hui - une place importante. Nonobstant ce titre paradoxal, l’exposition présentée en ce moment à Paris, au Musée de l’Orangerie et au Musée d’Orsay a au moins le mérite d’explorer ce rapport particulier des femmes à la photo. Un rapport originel si l’on peut dire, puisque le procédé inventé au milieu du XIXème siècle a d’emblée été ouvert aux « dames », même dans une société aussi cloisonnée que l’Angleterre victorienne.
Les deux musées se sont partagés chronologiquement la rétrospective. A l’Orangerie, les précurseurs (jusqu’à la Première guerre mondiale), à Orsay, la période de l’Entre-deux guerres. Ecrivons-le d’emblée, la première époque est de loin la plus intéressante. On y découvre de vraies pionnières. Alors pas d’Ecole, pas d’Académie réservées aux hommes, la photo n’est qu’une nouveauté, plutôt un passe-temps et certainement pas un art. Les femmes de la bonne société peuvent donc s’y adonner dans les domaines appropriés : portraits de famille, scènes d’intérieur ou paysages, et même reproductions de fleurs, de plantes… On verra à l’Orangerie, le premier cliché signé d’une femme, Constance Talbot, il date de 1839.
De la photo domestique au reportage de guerre
Si, en Grande Bretagne, l’amateurisme est encouragé, en France, des professionnelles du portrait apparaissent aussi dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Ainsi, cette Mme Gelot-Sandoz qui tient boutique boulevard Poissonnière à Paris. Peu à peu, des personnalités s’affirment comme l’Américaine Gertrude Käsebier qui se lance dans une série illustrant les femmes illustres de la Bible ou va photographier Rodin dans son atelier en 1905.
Vers la fin du XIXème siècle, les femmes s’affranchissent des domaines « réservés » et investissent l’espace public. La photographie se fait documentaire, voire politique, pour soutenir la lutte des suffragettes britanniques. Quand la Première guerre mondiale éclate, il y aura donc des femmes photographes pour documenter l’effort de guerre mais également les combats. Hommage à la première photojournaliste dans les tranchées, Helen Johns Kirtland !
La deuxième partie de l’exposition, au musée d’Orsay, retrouve les femmes faisant feu de tout bois, ou plutôt cliché de tout sujet. Nus, portraits et autoportraits, exploration, mode… Il y aura même une Danoise, Mary Willemsen pour aborder le genre érotique. Elle sera arrêtée en 1920…

La deuxième partie de l’exposition, au musée d’Orsay, retrouve les femmes faisant feu de tout bois, ou plutôt cliché de tout sujet. Nus, portraits et autoportraits, exploration, mode… Il y aura même une Danoise, Mary Willemsen pour aborder le genre érotique. Elle sera arrêtée en 1920…
De cette liberté conquise, le musée d’Orsay propose finalement une exposition peut-être juste mais au final assez disparate. En fait, ces talentueuses photographes font … comme leurs confrères de sexe masculin. Dès lors, la distinction de genre a-t-elle encore un sens ? Peu d’entre elles ont le radicalisme d’une Claude Cahun, « lesbienne, juive et socialiste » qui interroge cette notion dans ses autoportraits en travesti.

Une toute petite différence
En fait, il faut lire entre les lignes pour se rendre compte qu’être femme photographe fait une différence, mais celle-ci est certainement plus sociologique qu’artistique. Beaucoup d’entre elles évoluent dans le milieu de l’avant-garde de l'art qui seul leur donne le confort et la liberté nécessaires. Elles sont parfois des « femmes de » : Ré Soupault, Lucia Moholy, Dora Maar… L’exposition de ces talents incontestables ne dit rien de la lutte qu’elles ont dû mener pour s’imposer, transgresser les interdits familiaux et sociaux. Et de l’injustice que représente encore (pour certaines) leur relatif anonymat quand beaucoup de leurs contemporains sont désormais des stars.