Crime sans châtiment
Le 7 octobre 2006, la journaliste russe Anna Politkovskaïa était tuée par balles dans le hall de son immeuble à Moscou. Par un curieux hasard, c'était aussi le jour anniversaire du président Vladimir Poutine. Le chef d'État russe avait réagi en traitant d'insignifiant l'événement et en disculpant l'État russe de toute responsabilité dans cet assassinat : Anna Politkovskaïa était bien moins gênante vivante que morte, disait-il alors...
Anna Politkovskaïa, mère de deux enfants (une fille, Vera, et un garçon, Ilia), avait dénoncé à plusieurs reprises les violations des droits humains dont se rendaient coupables les forces fédérales russes en Tchétchénie, mais aussi la milice de Ramzan Kadyrov, homme lige du Kremlin, après l'avoir pourtant combattu, sorte de despote sanguinaire à la tête de la République autonome de Tchéchénie, créature des services russes, échappant à la tutelle du Moscou. Mais Anna Politkovskaïa n'avait pas non plus épargné la violence des rebelles tchétchènes. Elle écrivait pour le bihebdomadaire Novaïa Gazeta.
Cinq ans plus tard, le mystère reste presque entier. Lom-Ali Gaïtoukaïev, un homme originaire de Tchétchénie, et un ancien policier, Sergueï Khadjikourbanov, ont été à nouveau inculpés pour assassinat en groupe organisé. Les deux individus étaient déjà en détention et poursuivis dans le cadre de cette affaire. Mais d'autres ont réussi à passer à travers les mailles de l'enquête. Un autre homme, lui aussi meurtrier présumé de la journaliste russe d'opposition, le Tchétchène Roustam Makhmoudov a bien été arrêté en Tchétchénie, en mai dernier, mais le ou les commanditaires ne sont toujours pas connus.
Même les frères de Roustan Makhmoudov, Ibraguim et Djabraïl, toujours considérés par les enquêteurs comme ses complices, ont été acquittés faute de preuve en 2009. Après l'acquittement, l'enquête avait été réouverte puis à nouveau abandonnée, et donc à nouveau voici qu'elle reprend...
Saura-t-on jamais la vérité sur la mort d'Anna Politkovskaïa ? Rien n'est moins sûr... Plus de 300 journalistes ont été tués depuis 1993, la plupart pour des raisons liées à leurs enquêtes ou reportages, en particulier dans le Caucase, où en ce mois d'octobre 2011 Kadyrov fête fastueusement ses 35 ans et présente le nouveau quartier d'affaires, flamboyant, de Grozny. La plupart de ces crimes sont restés impunis.