Quotas de femmes dans les entreprises : la valse hésitation d'Angela Merkel

En 2020, l'Allemagne adopte, enfin, une loi imposant un quota de 30% de femmes au sein des conseils d'administration. Une victoire gagnée au terme d'une bien longue bataille entamée 7 ans plus tôt... A l'époque, cette réforme était portée par la ministre du travail, une certaine Ursula von der Leyen, aujourd'hui présidente de l'Union européenne. Elle a du faire face à de rudes réserves, de la part d'une autre femme, qui n'était autre qu'Angela Merkel. Retour sur cet épisode.
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Quotas de femmes dans les entreprises : la valse hésitation d'Angela Merkel
Avril 2013, Angela Merkel freine des deux pieds face au projet de sa ministre du Travail Ursula Von Leyen d'imposer un quota de femmes dans les entreprises. Retour sur le début d'une longue bataille pour plus d'égalité hommes-femmes. 
©AP Photo/Markus Schreiber
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Malgré ses préventions affichées contre les combats féministes, la chancelière a fini par céder à  la colère de sa très populaire ministre de l’emploi, Ursula von der Leyen : la Cdu (Union des Chrétiens démocrates), parti de la dame de fer qui dirige l’Allemagne décidait de se soumettre à des de 30% quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises à l’horizon 2020, et même d’en faire un thème de campagne affiché pour les élections générales de septembre 2013. Amère compensation : Angela Merkel a seulement obtenu que le seuil reste 10% en dessous de celui proposé par les sociaux-démocrates et les verte... Comme le Royaume Uni de David Cameron, l’Allemagne a refusé farouchement de se plier aux directives européennes édictées par Viviane Reding, Commissaire européenne chargée entre autres de défendre la citoyenneté et les droits fondamentaux sur le vieux continent.

La plupart des autres membres de l’Union se sont en revanche volontiers conformés à cette initiative même si son application reste hasardeuse et à géométrie très variable.

Les femmes qui n'aimaient pas les femmes

Margaret Thatcher, la dame de fer britannique détestait, entre autres, les féministes. Angela Merkel, surnommée aussi dame de fer pour ses intransigeances économiques. ne les porte pas beaucoup mieux dans son cœur. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que dans ces deux pays qui virent naître les mouvements féministes, autour de la philosophe Mary Wollstonecraft en Angleterre et de l’enseignante Clara Zetkin en Allemagne on trouve les résistances les plus fortes au mouvement des femmes, portées par … des femmes.

Sur sa route inflexible, Angela Merkel se heurte donc à une autre politicienne, l’aristocrate chrétienne démocrate Ursula von den Leyden, médecin de profession, mère de quatre enfants, blonde et élégante, modèle de réussite féminine outre Rhin… La Süddeutsche Zeitung, l’un des quotidiens de référence en Allemagne, publié à Munich, ne s’y trompe pas : ce sont bien les femmes conservatrices, unies derrière leur cheftaine ministre de l’Emploi, qui ont fait front contre les dirigeants de la CDU, qui en ont presque avaler de travers après ce revirement. Michael Fuchs, vice-président de la CDU, a estimé que "l'Etat n'a pas son mot à dire" dans la composition des conseils de surveillance, dans un entretien au quotidien économique Handelsblatt. Le revirement du parti est "incompréhensible", a renchéri Bertram Brossardt, président de la fédération de l'économie bavaroise, et représentant de la clientèle-type du parti. "Nous n'avons pas besoin de quota", a-t-il ronchonné...

Ni oui ni non, bien au contraire

Quotas de femmes dans les entreprises : la valse hésitation de Angela Merkel
“La CDU affiche un projet de quotas pour les femmes dans les entreprises , mais vote contre“ Une sorte de “chercher l'erreur“ à la Une du quotidien conservateur Die Welt, proche des chrétiens démocrates...
Ni oui ni non, bien au contraire Dans un éditorial cinglant, Robert Rossmann constate : « cette semaine, nous aurons vécu une confrontation entre les deux femmes les plus puissantes d’Allemagne. (…/…) Et une chose est certaine : Merkel a perdu la bataille. Von der Leyen, la ministre, a lutté avec dureté,  finesse tout en prenant des risques. Jamais un membre du gouvernement n’était montée aussi effrontément à l’assaut de la chancelière – jusqu’à la faire céder. Et même si pour la CDU (le parti de Angela Merkel) l’introduction des quotas est avant tout un gadget d’écriture du programme électorale, pour l'Union européenne le changement de cap est un tournant énorme. » C’est qu’en effet, le travail des Allemandes reste entaché d’une mauvaise image. Dans l’imaginaire collectif, les trois K sont encore prégnants : Kinder, Kirche, Küche (Enfants, Eglise, Cuisine). Une bonne mère ne saurait abandonner ses bambins et son foyer pour aller gagner sa vie. Du coup, celles qui se lancent dans une carrière n'enfantent pas. L'Allemagne est confrontée à l'un des plus faibles taux de natalité au monde avec huit naissances pour mille habitants...

Conformément à cette tendance, durant sa longue carrière politique d’Est en Ouest, Angela Merkel, mariée mais sans enfant, ne s’est jamais prévalue d’être une femme, comme le remarque Melissa Eddy,dans un très beau portrait de la chancelière pour le New York Times. « En dépit de la composition de son gouvernement, un tiers de femmes, elle n'a jamais ouvertement fait campagne pour l'égalité des sexes et n’a jamais mis sa position unique en modèle. Et elle a à plusieurs reprises rejeté les appels, y compris de l'Union européenne, exigeant des entreprises qu'elles admettent plus de femmes aux plus hauts niveaux de gestion. » Si elle a plié, en partie, pour la première fois, c’est sans doute qu’elle sent, à l’approche du scrutin déterminant pour son avenir, que même en Allemagne, le vent tourne, et que les femmes aspirent à autre chose qu’aux trois K.