Fil d'Ariane
Une chose est sûre : Rachel Kéké détonne dans un monde politique, encore dominé par les hommes blancs. La Franco-Ivoirienne, 48 ans, candidate de la Nupes élue dans la 7e circonscription du Val-de-Marne, fera une entrée sans nul doute remarquée sous les ors de l'illustre Assemblée nationale, en tant que femme, noire, immigrée devenue française, et femme de ménage.
« L’Assemblée nationale va trembler ! » #circo9407 pic.twitter.com/hhruUSO0iS
— Rachel Keke (@KekeRachel) June 19, 2022
Explosion de joie au QG de campagne de @KekeRachel à Chevilly-Larue, à l’annonce de sa victoire. Cette figure de la grève des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles entre à l’Assemblée nationale. pic.twitter.com/YbRB8xJH06
— Rosa Moussaoui (@rosa_moussaoui) June 19, 2022
Et gare à ceux qui voudraient lui faire enfiler un costume qui n'est pas le sien. Dans le feu de la soirée, quand un conseiller lui demande d'arrêter de parler aux médias, elle rétorque, sans filtre : "Laissez-moi parler aux journalistes ! C'est mon jour, laissez-moi parler aux médias ! Je suis femme de chambre, femme de ménage, agent de sécurité, aide-soignante, aide à domicile. Je suis tous ces métiers invisibles. Et à l'Assemblée nationale, ces métiers seront visibles, pas ma candidature. Maintenant, je vais me mettre au travail."
Rachel Kéké a été l'un des visages de la lutte des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles à Paris. Entre 2019 et 2021, cette militante CGT s'est mobilisée pour améliorer leurs salaires et leurs conditions de travail face au "mépris" de la direction.
Au bout de 22 mois de mobilisation, les grévistes de l'hôtel avaient obtenu gain de cause.
— Kiffe ta race (@kiffetarace) June 16, 2022
(Ré)Écoutez @KekeRachel, porte-parole du mouvement, dans l'épisode n°60 de Kiffe ta race : « Sous-traitance, maltraitance à l'Ibis-Batignolles » https://t.co/Ajm8pqEyNe
"C'est un métier qui détruit le corps. Il y a des syndromes du canal carpien, des tendinites, des maux de dos...", confie-t-elle, se souvenant encore de cette sensation, "comme si on [lui] avait donné des coups partout", après son premier jour en tant que femme de ménage, en 2003. "Mais je me suis dit qu'il fallait que je prenne mon courage à deux mains, pour mes enfants", se rappelle-t-elle.
Cet hôtel devant lequel Rachel Kéké a commencé à se tailler une réputation syndicale et politique, elle a continué d'y travailler pendant le début de sa campagne puis a décidé de prendre un congé pour se consacrer pleinement aux législatives.
Mère de cinq enfants, Rachel Kéké est née en 1974 dans la commune d'Abobo, au nord d'Abidjan, d'une mère vendeuse de vêtements et d'un père conducteur d'autobus. A 12 ans, au décès de sa mère, c'est elle qui se retrouve en charge de ses frères et sœurs. Elle arrive en France en 2000 et commence à travailler comme coiffeuse avant d'entrer dans l'hôtellerie.
Débute alors pour elle le parcours de combattante : contrainte de déménager souvent, elle doit vivre dans des squats ou se faire héberger chez des amis en banlieue parisienne, pour enfin réussir à se fixer grâce à l'aide du DAL (association Droit au logement, ndlr).
Naturalisée française en 2015 - un pays qu'elle "adore" et pour lequel avait combattu son grand-père pendant la Seconde Guerre mondiale - elle habite maintenant les Sorbiers, une cité de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) d'où elle a lancé sa campagne pour les législatives. Avec toujours le même message: "secouer le cocotier" à l'Assemblée.
"Nous ne sommes pas des rebelles, on veut juste notre dignité", a-t-elle lancé devant les acclamations des 200 amis et militants venus la soutenir.
Celle qui se définit comme "féministe" et "défenseuse des gilets jaunes", a paré d'éventuelles attaques sur son manque de formation, elle même reconnait sans problème qu'elle a un niveau scolaire de CM2 :"Si tu me parles avec le français de Sciences Po, je vais te répondre en banlieusard!". "On connaît le niveau d'une femme de chambre, on sait que je n'ai pas de Bac+5", rappelle-t-elle. "Je dis ce que je ressens. Si on me pose une question sur quelque chose que je ne comprends pas, je ne répondrai pas. Il faut que les médias s'habituent à ça".
"Une première femme de ménage à l'Assemblée !", se plaisent à répéter sans se priver les médias. Ce qui ne semble pas agacerla principale intéressée comme elle l'exprime lors d'une interview à BFM TV : "Être femme de chambre, éboueur ou agent de sécurité, il n'y a pas de sots métiers ! Pour moi, c'est une fierté, s'il n'y a pas de chambres, il n'y a pas de tourisme en France".
"Il n'y a pas de sous-métier"
— BFMTV (@BFMTV) June 13, 2022
Pour Rachel Keke, femme de chambre et candidate Nupes qualifiée au second tour des législatives dans la 7e circonscription du Val-de-Marne, "c'est une fierté" d'être identifiée comme femme de ménage ⤵ pic.twitter.com/GGLJJoHjxT
Elle est sans doute la plus emblématique des figures issues des luttes syndicales et associatives que la coalition de gauche a voulu mettre en avant dans ces élections. "C'est ce que j'appelle une leader de masse", dit d'elle le député LFI Eric Coquerel, "Elle a quelque chose qui magnétise, elle est forte, elle a les mots justes, elle n'a pas besoin de lire" lors de ses prises de parole.
"C'est une vraie combattante, quand on l'a rencontrée dans le cadre de cette grève, elle s'est très vite affirmée comme représentante de ses collègues", explique Claude Lévy, représentant de la CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques), ne tarissant pas d'éloges sur cette "autodidacte de la lutte".
"Elle a tout à apprendre d'un point de vue de la politique politicienne", détaille Hadi Issahnane, conseiller municipal LFI de Chevilly-Larue, mais "elle peut enseigner plein de choses de la vie réelle à plein de politiques". Co-chef de file de cette circonscription, c'est lui qui a proposé à Rachel Kéké d'être candidate aux législatives. "On n'est pas loin d'une icône, au sens littéral, de notre combat politique. Elle incarne ça de manière naturelle".