Radio “Hiya“ : les Syriennes parlent aux Syrien-ne-s

Faire participer les femmes aux processus de paix en Syrie, tel était le thème de la réunion à huis clos organisée par ONU-Femmes et les Pays-Bas réunissant des Syriennes, les 12 et  13 janvier 2014 à Genève. Or à la frontière turco-syrienne, une radio baptisée "Hawa SMART", diffuse depuis deux mois l'émission "Hiya" destinée aux femmes afin de les replacer au coeur des négociations. Renaud Helfer-Aubrac petit-fils de résistants français emblématiques, qui a contribué au lancement de ce projet, veut, à travers cette émission 100% féminine, faire participer les Syriennes au soutien "d'une opposition démocratique et non-violente".
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Radio “Hiya“ : les Syriennes parlent aux Syrien-ne-s
Une réfugiée syrienne au micro de l'émission “Hiya“ (“Elle“ en arabe) ©Photo : Laurence Geai
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Quelques jours avant la conférence de Genève II sur la Syrie (22 janvier 2014), ONU-Femmes et les Pays-Bas réunissaient des Syriennes, de "l'intérieur et de l'extérieur" de la Syrie, les 12 et le 13 janvier 2013, également sur les bords du Lac Léman, avec pour but de "faire participer les femmes aux efforts de paix en Syrie".

Renaud Helfer-Aubrac, président de l'ONG "une radio pour la paix" (diplômé de Harvard, aujourd'hui conseiller à la mairie de Paris) se place dans cette optique là. Ce défenseur des droits humains est surtout le petit fils de Raymond et Lucie Aubrac qui ont marqué à jamais l'histoire de la Résistance en France, pendant la Seconde guerre mondiale. Il a participé au lancement d'une émission de radio "par les femmes, pour les femmes" syriennes, réfugiées en Turquie. Le 11 novembre 2013 à Gaziantep (Turquie) près de la frontière syrienne, était enregistrée l'émission pilote, baptisée dans un premier temps, "Hiya" ("Elle" en arabe) afin de transmettre 45 minutes de programmes, destinés aux Syriennes, puis plus largement aux Syriens. Depuis le 1er janvier 2014, grâce à l'impulsion de Renaud Helfer-Aubrac, cette émission féminine a intégré les programmes de "Hawa SMART", une radio libre fondée par des activistes syriens.

Derrière le micro se tient Zoya Bostan, ancienne présentatrice de la télévision d’État syrien, accompagnée d'une équipe composée pour beaucoup de réfugiés syriennes. Selon le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), les femmes représentent plus de la moitié des 2 millions d'exilés syriens. Ce qui n'empêche pas ces dernières de continuer à être victimes d'agressions.

Ce nouveau programme militant est soutenu par la Syrian Media Action Revolution Team (SMART), un collectif d'activistes de médias syriens, et une organisation franco-syrienne de soutien aux journalistes citoyens de Syrie, l'Association de soutien aux médias libres (ASML).

Renaud Helfer-Aubrac n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il avait mené un projet similaire en Afghanistan en 2001. En aidant à la mise en place de l'émission "Hiya", il souhaite donner la parole aux Syriennes, qui, selon lui, restent absentes des négociations de paix. Rencontre

Radio “Hiya“ : les Syriennes parlent aux Syrien-ne-s
Renaud Helfer-Aubrac ©TV5MONDE/Sémiramis Ide
Qu'est-ce-qui vous a amené à vous intéresser à la condition des Syriennes ?

C'est avant tout à la condition des femmes que je m'intéresse. La Femme, c'est un sujet qui me parle depuis la guerre de Bosnie dans les années 1990. Dans les conflits, c'est difficile de prioriser des victimes. Mais les femmes sont aussi des victimes parce qu'elles sont des femmes. Elles procréent donc on veut les tuer, on se venge sur elles. Elles subissent aussi l'esprit animal de certains, ça va jusqu'à la négation du genre féminin. Donc, elle méritent d'être aidées.

Souvent dans les conflits, on ne leur donne jamais la parole, on ne s'en occupe pas, elles n'ont pas voix au chapitre. Or, c'est souvent elles qui font tourner le foyer, qui font attention à l'éducation, à la santé et à la nutrition des enfants. Elles sont rarement accompagnées pour ça. Pour les négociations de paix, on ne les entend jamais alors qu'elles ont leur mot à dire comme tout le monde. Et ce type de radio leur permet de les faire exister dans l'image globale du conflit. Je me suis intéressée aux Syriennes car il y avait un conflit en Syrie qui a engendré beaucoup de réfugiés, d'assassinats, de viols. Les femmes en sont victimes. 

La plupart des Syriens se retrouvent entre le marteau et l'enclume, et ça personne n'en parle. C'est ça aussi que je voulais soutenir. Quand on donne la parole aux femmes, c'est bien à cette masse démocratique d'opposants non violent dont on parle. J'ai trouvé des jeunes Syriens et Syriennes, qui commençaient à réfléchir aux radios et commençaient à en avoir installé une ou deux avec les moyens du bord, et qui voyaient d'un bon œil l'arrivée de quelque chose uniquement orientée femmes.

Comment avez-vous réussi à monter cette radio ?

Je me suis adossé à des opposants syriens. Avec eux, on a travaillé pour que la radio, au delà de la parole donnée aux femmes, puisse accompagner toute cette opposition démocratique non-violente syrienne, complètement passée à l'as des médias qui sont un peu moutonniers. Ils sont absents dès que les feux de l'actualité s'éteignent et que les risques d'une intervention armée s'éloignent.

Le principe d'"une radio pour la paix" permet de lever de l'argent, d'acheter du matériel radio, afin de lui donner dès sa naissance les moyens d'être autonome : on achemine le tout sur place (studios, émetteurs, transmetteurs), on rencontre des femmes journalistes, on s'assure que l'environnement proche des femmes, qu'il soit familial, amical, professionnel, est bon et sûr. La "radio pour la paix" les installe derrière le micro, mais aussi en position de, si possible, trouver les premiers partenariats de formation, pour qu'elle se mettent le pied à l'étrier. Après on leur donne les clefs et la radio est à elles. Pour ce projet le partenariat a été conclu avec Radio Nova. Fadia Dimerdji, l'une de leurs journalistes, est partie là bas et les a formées. J'étais soucieux que l'équipe s'approprie l'outil.

Radio “Hiya“ : les Syriennes parlent aux Syrien-ne-s
Renaud Helfer-Aubrac près de Gaziantep en Turquie, non loin de la frontière syrienne ©Laurence Geai
Quel soutien avez-vous reçu ?

Le projet a nécessité 25.000 euros. Pour la radio "Hiya", la ministre française des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem a dit oui directement, ce type de soutien est ultra rare, je veux insister sur son aide (ndlr : 15.000 euros). C'est quelque chose de précieux. Plus récemment, j'ai reçu un coup de main de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Elle a contribué à une partie des 10.000 euros restants. Les droits d'auteurs du bouquin que j'ai écrit avec mon grand-père (Passage de témoin, avec Raymond Aubrac, ndlr) ont été reversés vers le projet. Enfin des amis qui ont été convaincus de l'importance de la cause, ont contribué, pour certains à hauteur de 2.500 euros. Aujourd'hui, ce sont les réseaux ASML (Association de soutien aux médias libres) et SMART (Syrian Media Action Revolution Team)qui financent la radio.

Quand j'ai cherché du soutien financier, j'ai été jeté de plusieurs ministères, les principaux. On m'a gentiment écarté.

Pourquoi ?

C'est une bonne question. J'espère y trouver une réponse à la fin de ma vie, quand je serai un vieux sage. Je pense que c'est la convergence de plusieurs raisons, qui résulte de l'idée que "les femmes globalement on s'en fout". En France, le droit de vote leur a été concédé en 1946. La France en tant que telle n'a pas de leçon à donner, vu la manière dont la ministre de la Justice s'est faite insulter. Ce n'est pas la France dont je rêve. Les femmes sont souvent une variable d'ajustement, ce n'est même pas une variable identifiée, et quand elles sont identifiées, elles deviennent une variable d'ajustement.

Ensuite, il y a de la prudence quand il s'agit d'une intervention humanitaire dans les zones de conflits. Et dans ce dossier précisément, il y a une prudence extrême voire une méfiance tous azimuts à l'égard des médias, de la radio en particulier, car ce média est précieux, les ondes vont partout, elles franchissent les obstacles naturels.

Justement, pourquoi avoir choisi la radio ?

Les gens prennent pour acquis qu'Internet fonctionne très bien à travers le monde. C'est absolument rêveur de ne pas imaginer que dans les zones de conflits, Internet n'est pas coupé. Ça aurait pu être la presse papier, mais c'est compliqué, et ça met plus en danger les gens. Les femmes ne se risquent pas à sortir de chez elles pour l'acheter parce qu'elles pourraient se faire dénoncer. Le coût du papier est, en outre, très élevé. La radio est plus efficace. La radio c'est gratuit pour les gens, ça fonctionne juste avec des piles et on ne demande rien à personne. C'est donc plus efficace, moins dangereux, moins cher, et cela touche plus de populations.

Après deux mois de diffusion, quel bilan faites-vous de ce projet ?

L'immense succès du "truc" est que mon projet de radio "Hiya" a évolué. L'émission pour les femmes a été intégrée aux programmes de la radio syrienne "Hawa SMART" ("Hawa" : "vent"). Ils ont fusionné plusieurs radios existantes, et depuis le 1er janvier 2014, ils ont un programme quotidien de 12h, dont une heure quotidienne sur et pour les femmes. L'avantage de tout ça est que l'équipe a une radio plus grosse, que les programmes sont quotidiens et que l'émetteur amené s'est maillé avec les émetteurs existants. On couvre plus de 80% du territoire. C'est une radio libre qui parle à un corps constitué d'opposants démocratiques. C'est une belle aventure qui représente quelques valeurs auxquelles on croit. C'est ultra optimiste. Ça reste une radio très militante quand même, mais dans le sens du militantisme "liberté de la presse". Je sais qu'ils sont écoutés, surtout en Syrie. Ils ont reçu beaucoup d'encouragements.

Aujourd'hui, ils sont soutenus via l'organisation SMART qui cherche toujours des fonds. Quand je suis parti, certaines personnes avaient réfléchi à la rémunération. Mais, il y a beaucoup de militantisme et de bénévolat pour le moment.

Qu'espérez-vous maintenant pour les Syriennes ?

Qu'on entende leurs voix, qu'on les prenne en compte, qu'elles se réalisent et qu'elles disposent de tous les outils pour co-définir, avec tout le monde, l'avenir de leur pays. Si je peux continuer à les aider, je le ferai. Là je suis parti sur d'autres régions du monde. Je suis en train de monter un projet en Centrafrique, similaire et en même temps différent, qui collera à la réalité du pays.
Radio “Hiya“ : les Syriennes parlent aux Syrien-ne-s
Grâce au réseau d'émetteurs déjà établis par les associations franco-syriennes, ASML et SMART en Syrie, les programmes de la radio “Hawa“ peuvent être écoutés sur 80% du territoire syrien ©Laurence Geai

Radio “HIYA“ : extrait de la première émission

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et sa traduction depuis l'arabe par Slimane Zeghidour et Magdi Ghoneim
"Jusqu'ici les Syriennes se sont engagées à tous les niveaux, en particulier dans les mouvements de liberté, jusqu'à ce qu'elles se heurtent aux mouvements islamiques qui constituent un pur péril pour la révolution syrienne. Les femmes ont participé à plusieurs organisations qui veillent à préserver la mission et l'objectif de la révolution syrienne, notamment les droits de tous les citoyens, de toutes confessions, dans la future Syrie. Le réseau de la femme syrienne travaille sur le volet qui consiste à étendre la culture des droits humains, de la paix et de la coopération entre tous les enfants de la Syrie.

Journaliste : Mme Najah Salam, vous êtes secrétaire du bureau d'information du réseau de la femme syrienne, quand est-ce que les femmes ont lancé ce réseau et pourquoi l'avoir créé ?

Najah Salam : le réseau de la femme syrienne a été créé tout récemment, voilà 7 mois. Il rassemble plusieurs organisations et personnalités importantes qui se sont réunies en congrès en Suède. Là, il y a eu l'idée de l'organisation de la femme syrienne qui coordonne le travail sur le terrain. Cette idée est née en Suède, mais le mouvement a été lancé au Caire.

Journaliste : Est-ce que toutes ces organisations sont syriennes ?

N.S. : Oui. Toutes les organisations ont été créées après la révolution. Il y avait des organisations qui travaillaient dans la société civile. Mais elles ont arrêté après la révolution et nous ont rejoints. Il y avait des organisations proche du régime syrien, mais elles se sont séparées du réseau des femmes syriennes.

Ce sont des gens indépendants. Il y a, en tout, 35 organisations. Mais le réseau est ouvert et tout le monde peut nous rejoindre. Nous avons créé un portail pour adhérer à ce réseau. L'objectif est de traiter des problèmes des femmes, et que cette question rejoigne les problèmes généraux de la société syrienne, qui sont la garantie des droits des femmes dans la Constitution syrienne.

Nous animons un atelier qui forme les femmes à la négociation actuelle (pour tenter de résoudre le conflit ndlr). L'axe principal porte sur le problème des femmes dans la société, dans la révolution et dans cette période transitoire. Il y aussi la représentativité de la femme dans la révolution. La "future" Constitution prévoit une représentativité de 30% pour les femmes. Il y a une pression des individus sur la femme dans la société syrienne. Actuellement, (il faut) combattre le régime et par la suite ceux qui pourraient récupérer ce combat, pour que les extrémismes n'aient pas de présence trop forte. Par la suite, il ne faut pas qu'il y ait de problème.  

Journaliste : Quelle sera l'avenir des femmes syriennes après la chute du régime ?

N.S. : La crainte est que ça devienne comme en Égypte, que les femmes syriennes retournent dans leurs foyers et qu'elles abandonnent le militantisme.

Evelyn Kako : Il y a des avocats, des journalistes, des médecins et des femmes aussi qui sont à l'étranger. Nous avons des formatrices qui enseignent sur la manière de s'impliquer dans la société. Depuis un mois, nous travaillons dans un bureau. Nous avons fait des ateliers pour la planification stratégique. Je travaille sur la négociation, je leur apprends à négocier avec d'autres organisations. Là nous sommes passées au stade professionnel."