Fil d'Ariane
Du haut de ses 30 ans et 1,80 m, Laia Sanz fait bien mieux que jeu égal avec ses pairs masculins, dans un sport où la mixité était impensable voilà encore quelques années. Depuis sa 9ème place au classement général en moto du dernier rallye Dakar, elle est entrée dans l’histoire, devançant la française Christine Martin, qui détenait jusque-là le record féminin en moto du plus célèbre des rallyes, avec sa 10ème place obtenue en 1981. Rencontre quelques jours avant le top départ en Argentine.
Avant de s’envoler pour l’Argentine, d’où part le 2 janvier, l’édition 2016 du Dakar, Laia a reçu Terriennes chez elle, à Seva, une petite bourgade perdue dans les terres barcelonaises, à 70 kilomètres de Barcelone, capitale de la Catalogne. « La participation des femmes aux courses de moto augmente. De plus en plus de jeunes se lancent dans les compétitions, et la mixité surprend de moins en moins », se réjouit la sportive.
Ne te fais pas doubler par Laia !
« Peu importe à quelle place tu termines, mais ne te fais pas doubler par Laia ! », avait-elle entendu de la bouche des parents des jeunes coureurs, lors de sa première course, une compétition locale, organisée dans son village d’origine, Corbera de Llobregat (province de Barcelone). Ce jour-là, Laia franchissait la ligne d’arrivée à la 8ème et dernière place… mais pour la première et dernière fois. Depuis, la cavalcade de la Catalane a été fulgurante. A partir de 2011, elle a remporté tous les ans la catégorie féminine de motos du rallye Dakar, étoffant ainsi sa collection de trophées (trois titres de championne du monde de trial, quatre en enduro etc.).
Derrière les coupes remportées, se pose la question de la situation des femmes au sein des sports automobiles. La domination sans partage des hommes s’est quelque peu atténuée depuis sa première participation à une compétition, à seulement 6 ans. « Quand j’ai commencé, j’étais comme un bicho raro (une curiosité), c’était extrêmement rare de voir une fille sur une moto. Aujourd’hui, les compétitions sont pleines de filles. Je suis fière d’avoir aidé à ce que ça change. D’avoir donné confiance aux jeunes filles de se lancer, et à leurs parents de les soutenir ! »
Le soutien des parents, un élément clé dans le parcours d’une sportive en herbe. Le cas de Laia ne déroge pas à cette règle. « Contaminée » par la passion pour les bolides de son père, ingénieur industriel, et convaincue par sa mère, secrétaire de profession, de se lancer dans la compétition, Laia répète avec fierté, lors des interviews, que son père est « le meilleur manager » qu’elle n’a jamais eu. « Mes parents ont vite compris que je préférais jouer aux petites voitures qu’aux poupées Barbies. »
Au fil de ses exploits, Laia est devenue la coqueluche des médias. La reine du désert, telle qu’elle est surnommée, fait l’unanimité à Barcelone comme à Madrid. Une reconnaissance gagnée au gré d’efforts vrombissants, tant sur le plan sportif que social. Au Dakar 2016, elle enfourchera une moto officielle de l’équipe KTM, la marque qui survole le monde du rallye ces dernières années. Malgré cette place gagnée parmi les grands, Laia n’est pas parvenue à rompre tous les paradigmes d’un monde où le machisme a la dent dure.
Je ne peux pas permettre que tu me dépasses
Ivan Jakes
L’an dernier, le pilote slovaque Ivan Jakes, au coude à coude avec la reine du désert, lui avait confié : « Je ne peux pas permettre que tu me dépasses, sinon ma femme ne me laissera pas revenir à la maison. » Résultat, le pilote se démène dans les dernières étapes et chipe de justesse la 8ème place à Laia. « Si j’avais été un homme, je doute qu’il aurait pris autant de risques pour me dépasser », avance-t-elle. « Aujourd’hui ce genre de commentaires me font plutôt rire et finissent par me motiver. Quand j’entends certains dire ‘Le Dakar, ça a pas l’air si dur, si Laia l’a terminé et a été 9ème’, j’ai juste envie d’inviter les sceptiques à tenter l’aventure. Plus jeune, j’avais du mal à les encaisser. » Pour la star catalane, ces réactions sont le fruit « d’un machisme mélangé à de la jalousie », le pire des cocktails dans le monde du sport.
Quand tu es sur ta moto en plein désert, tu ne penses pas si tu es un homme ou une femme, tu penses juste à ne pas tomber !
Laia
Comme seule réponse, Laia offre des performances en hausse permanente. « La seule différence entre les hommes et les femmes, qu’on le veuille ou non, vient du physique. Ce n’est pas machiste de l’admettre. Une femme bien préparée peut s’approcher du niveau des hommes, mais on n’aura jamais les mêmes conditions. »
Féministe malgré elle, Laia n’aime pas trop parler politique et préfère éviter la différenciation systématique entre sportives et sportifs : « Quand tu es sur ta moto en plein désert, tu ne penses pas si tu es un homme ou une femme, tu penses juste à ne pas tomber ! » Son inspiration, elle la puise chez d’autres femmes, qui ont fait leurs preuves sur le terrain, « tutoyant les hommes » : Michèle Mouton, légende française du rallye en voiture ou encore l’Allemande Jutta Kleinschmidt, seule femme à avoir remporté (en voiture) le rallye Dakar en 2001.
Pas un hasard, selon Laia, si on trouve une Française et une Allemande dans les annales des sports motorisés, puisque dans ces deux pays, « la mixité est acceptée depuis plus longtemps qu’en Espagne ».