Rana Ahmad : « Si je rentrais en Arabie Saoudite, je serais tuée tout de suite »

Devenir une femme libre, c’était le rêve de Rana Ahmad quand elle était encore en Arabie Saoudite. Après des nombreuses épreuves, son rêve elle l’a enfin réalisé en fuyant ce royaume où les droits des femmes restent quasi inexistants à l'exception de la très médiatique autorisation de conduire que le prince Mohammed ben Salmane Al Saoud a délivrée en 2018.
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"Là-bas, tu dois vivre comme ils le décident pour toi". Entretien réalisé par Nicolas George pour TV5MONDE - Durée : 1'58"
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Rana Ahmad
(c) Traoré Bintou Mariam
"Ils ne font pas attention à la vie des femmes, nous n'avions pas de vie normale. Moi je voulais vivre." Rana Ahmad à Paris le 16/10/2018
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Rana Ahmad est née en 1985 à Riyad dans la république islamique d’Arabie Saoudite. Après un mariage raté, elle découvre les écrits de Darwin et de Nietzsche, et devient athée. Ses nouvelles convictions lui vaudront d’être menacée de mort. Elle décide donc de quitter son pays. De plus, Rana a toujours eu soif de liberté. Elle vit aujourd’hui en Allemagne où elle étudie la physique à l’Université de Cologne – sous pseudonyme, afin de ne pas être retrouvée par sa famille.

Rana Ahmad, une femme en fuite

Devenue combattante pour les droits des femmes et pour l'athéisme, « Ici, les femmes ne rêvent pas » est son premier livre publié aux Editions Globe et traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Dans ce livre autobiographique, Rana se confie et raconte son évasion. Elle nous prend par la main pour nous faire vivre les différentes étapes de sa vie. C’est à dire de son adolescence en Arabie saoudite, sa prise de conscience jusqu’à la réalisation de son rêve : être une femme libre. 

Une parution qui tombe à point nommée : d’un côté le royaume saoudien prétend accorder des droits aux femmes, comme celui de conduire, pour des raisons qui ne sont pas toujours liées aux droits humains mais plutôt à des sous-entendus économiques. Et surtout de l’autre, le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui se présente comme le grand modernisateur mais fait emprisonner des opposant.es dont des militantes des droits des femmes, quand d’autres, tels le journaliste Jamal Khashoggi disparaissent sans laisser de traces.

Je voulais donner vie à mon rêve
Rana Ahmad

Nous avons rencontré Rana Ahmad lors de son passage à Paris du 16 au 19 octobre 208 pour la promotion de son livre. 

Rana Ahmad dédicace
Lors de la promotion du livre, séance de dédicace de  Rana Ahmad.
(c) Traoré Bintou Mariam
Terriennes : Quand avez-vous quitté l’Arabie Saoudite ?
 

Rana Ahmad : J’ai quitté mon pays en 2015 parce que je suis athée et que je voulais être libre. Je voulais donner vie à mon rêve. 

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a disparu depuis le 2 octobre 2018. Des caméras de surveillance l’ont filmé pour la dernière fois lorsqu’il pénétrait dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en Turquie. Le royaume saoudien reconnaît sa mort mais prétend toujours qu'il s'agit d'un accident... 

Rana Ahmad : Je pense qu’ils l’ont tué et maintenant ils essayent de cacher leur crime. Ils essayent de rejeter la faute sur quelqu’un d’autre, et de brouiller les pistes. C’était quelqu’un qui critiquait tout le temps le gouvernement saoudien et pour moi il est évident qu’ils l’ont assassiné. Ça marche comme ça. 

Je ne voulais pas porter le niqab mais je ne pouvais pas dire non
Rana Ahmad

Vous avez porté le niqab très jeune, comment avez-vous vécu cela, ce changement sur votre corps ? Quelque chose a changé en vous ? 

Les droits des saoudiennes
Les droits des femmes en Arabie Saoudite.
 
(c) Infographie Reuters, capture d'écran

Rana Ahmad : J’ai commencé à porter le niqab quand j’ai eu 10 ans parce que ma famille et la société l’imposait. Toutes les femmes le portaient. Je ne voulais pas le porter mais je ne pouvais pas dire non. Je voulais avoir une vie normale, respirer et non porter quelque chose sur mon visage. Mais il y avait des lois pour ça.Tu ne peux pas dire non. C’était impossible. Ma mère le portait, ma tante le portait. La question ne se posait pas. 

Avec tous ces interdits, comme l’interdiction de se marier, divorcer, ouvrir un compte bancaire, trouver un emploi ou être opérées sans l’accord de leurs tuteurs, et bien d’autres choses encore, les femmes saoudiennes sont-elles heureuses ? 

Rana Ahmad : Les femmes là-bas peuvent être heureuses si elles ne savent pas ce qui se passe ailleurs. Elles ne peuvent plus l’être à partir du moment où elles pressentent qu’il y a d’autres possibilités pour elles, d’autres choix de vie et d’autres pays ou les femmes vivent en tout liberté, où elles peuvent se déplacer librement comme elles le veulent. Les Saoudiennes, il n’y a personne pour les soutenir. Elles n’ont pas la possibilité de se montrer fortes et combatives. Elles n’ont pas accès à ces choses-là. 

Il n’y a pas beaucoup de sororité parce qu’on nous éduque pour devenir les gardiennes du patriarcat.
Rana Ahmad 

Dans cette société profondément  patriarcale quels étaient vos rapports avec les autres femmes ? 

Rana Ahmad : Beaucoup de femmes me considèrent comme un danger pour la cohésion familiale. Elles ne veulent pas que leurs filles, sœurs apprennent mon histoire, ouvrent les yeux et tentent de fuir comme moi. Il n’y a pas beaucoup de sororité parce qu’on nous éduque pour devenir les gardiennes du patriarcat.

Comment vous est venue l’idée de fuir ? Et celle de votre athéisme ? 

Rana Ahmad : Ma vie était en danger. J’ai donc choisi de fuir parce que c’était la solution la plus efficace et radicale à mon problème. J’aurai pu tenter d’aller étudier ailleurs mais c’était un trop long processus. Ma fuite a été très longue. Je suis passée par la Turquie, la Grèce et l’Allemagne. 

Concernant mon athéisme, les gens pensent qu’on devient athée parce qu’on a été victime de pressions ou vécu dans un pays radical. Ce n’est pas vrai. Ma transition de l’Islam à l’athéisme ne s’est pas faite directement, ça a été au contraire un processus très lent qui a pris une année. Après l’échec de mon mariage, je suis retournée vivre chez mes parents. Les femmes divorcées doivent retourner chez leurs parents et vu qu’elles ont déjà goûté aux joies du sexe, elles sont encore plus surveillées et restent enfermées. J’ai donc commencé à lire énormément. C’est là que j’ai découvert sur Internet plusieurs penseurs athées comme Darwin et Nietzsche. Je pensais chaque jour à ma liberté et à la fin, j’en suis arrivée à l’athéisme. Ce n’était pas comme si j’étais allée chercher sur Internet si c’était bien ou pas d’être athée, ça n’avait pas de sens. 

Tout cela n’est que de la pure propagande.
Rana Ahmad

Avec les quelques avancées de la part du prince Mohammed ben Salmane Al Saoud mais en même temps l’emprisonnement de tant de militantes pour les droits des femmes, y a-t-il vraiment une volonté politique en faveur des droits des femmes ? 

Rana Ahmad : Tout cela n’est que de la pure propagande. Sans pression exercée par la politique, il ne peut pas y avoir d’avancée pour les droits des femmes. Le gouvernement n’est pas là pour faire progresser les gens. Prenons le cas de l’autorisation de conduire pour les Saoudiennes, je peux dire qu’il n’y a que dix ou douze femmes en ce moment qui conduisent là-bas parce que le permis coûte extrêmement cher pour nous. Après dans les régions reculées, une femme aura beau vouloir conduire, si son père ou son frère ne lui donne pas l’autorisation, elle ne le pourra pas. Pourquoi s’il veut changer les choses pour les femmes, le prince n’a-t-il toujours pas touché à la loi sur la tutelle masculine ? C’est une chose de mettre une loi en place mais c’est autre chose de veiller à l’application de celle-ci. 

Le mouvement Metoo a secoué le monde entier. Les femmes ont libéré leur parole. A quand le #Metoo Saoudien ? 

Rana Ahmad : Pour avoir un Meetoo en Arabie Saoudite, il faudrait qu’il y ait des aides extérieures pour ouvrir les yeux aux Saoudiennes et réellement faire bouger les choses, permettre aux femmes de vivre, de décider de leur existence. Ce n’est pas le cas et je pense qu’on en est encore à des années lumières. 

Envisagez-vous un jour de rentrer dans votre pays ? 

Rana Ahmad : Si je rentre en Arabie Saoudite, je mourrais tout de suite.

Rana Ahmad
"Ici les femmes ne rêvent pas " de Rana Ahmad.
DR