Rassemblement national et droits des femmes : "le double-discours"

Dans une vidéo publiée quelques jours avant le premier tour des législatives, Jordan Bardella se présente comme le défenseur des droits des femmes. De quoi provoquer la colère des rangs féministes, qui appellent à faire barrage à l'extrême droite, estimant ces droits menacés en cas de victoire du RN. Entretien avec la chercheuse Rachel Silvera.

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Droits des femmes fragilisés

Plusieurs milliers de manifestantes sont venues défendre leurs droits lors des rassemblements en France à l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2024, comme ici à Paris. 120 associations féministes appellent à manifester le 23 juin contre l'extrême droite. 

©AP Photo/Lewis Joly
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"Nous partons du principe qu’une mère au foyer, elle est peut-être mieux à la maison à s’occuper des enfants"... Ces propos remontent à septembre 2023, ils sont ceux du député RN Jocelyn Dessigny, déjà sanctionné pour propos sexistes à l’Assemblée nationale, lors des débats sur la loi plein-emploi. Face aux violentes critiques provoquées par ses déclarations, il n'hésitait pas à poursuivre : "Je suis choqué par vos idées liberticides selon lesquelles les femmes n’auraient pas le droit de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants et devraient les confier à d’autres".
 
Aujourd'hui, le ton a changé ... Campagne électorale oblige. "Je veux m'adresser à toutes les femmes", lance Jordan Bardella dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, le 17 juin. Pendant deux minutes et demi, le chef du parti à la flamme défend les mesures -endométriose, emploi etc- que son parti a déjà défendu concernant les droits des femmes, tout en concluant sur les violences, "Nous mènerons une lutte implacable contre l'insécurité", une insécurité qu'il lie directement à l'immigration. Parmi des "principes non négociables", il a cité "le droit fondamental à disposer de son corps", en rappelant que "Marine Le Pen a soutenu l'inscription de l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution". Mais taisant ses tergiversations sur le sujet et l'abstention de certains députés RN sur le texte.
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Droits des femmes et programme du RN ? 

Comme le rappelle un article de La Provence, sur le site du RN, on peut toujours y consulter le "livret sur la famille", un passage révélateur de la politique souhaitée par la présidente du Rassemblement national. "Marine Le Pen s’engage à un moratoire de trois ans sur les sujets sociétaux ; la seule façon d’ouvrir des débats sur ces sujets ne pourra se faire pendant trois ans que par le biais du Référendum d’Initiative Citoyenne que Marine Le Pen mettra en place." La défense des droits des femmes s'exprime au travers de la natalité, notamment la réaffirmation de l'interdiction de la GPA (Gestation pour autrui) et des mesures pour les mères célibataires, précise l'article.
 
Un article du quotidien Libération précise de son côté qu'au programme de ces législatives, "le parti propose de constituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant, ainsi que la création d’un prêt public à taux zéro transformé en subvention pour les couples qui ont un troisième enfant – calque d’un dispositif mis en place par le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán".
Marine Le Pen et Jordan Bardella

Marine Le Pen et Jordan Bardella, ici lors d'un meeting durant la campagne pour les élections européennes, à Paris, le 2 juin 2024.

©AP Photo/Thomas Padilla

Un électorat RN qui se féminise

Dans un article paru dans Le Monde le 21 avril 2024, soit trois semaines avant le scrutin européen, Anja Durovic, spécialiste des inégalités générationnelles et de genre dans les comportements politiques, dresse ce constat : "Marine Le Pen a su attirer un électorat féminin durable. Alors que les femmes votent désormais autant, sinon plus, que les hommes en Europe, la France se singularise par l’attrait de l’extrême droite auprès d’une partie d’entre elles", analyse la chercheuse en science politique.
 
Un constat qui se confirme bel et bien le 9 juin : au vu des résultats, le vote RN est quasi-paritaire. 30 % des femmes ont donné leur voix à Jordan Bardella, contre 32 % des hommes. En cinq ans, le RN a gagné dix points dans l’électorat féminin - entre les élections européennes de 2019 et de 2024 - passant de 20 % à 30 % selon Ipsos (et de 28 à 32% chez les hommes). Un sondage Ifop indique, lui, que les femmes ont même voté à 32% pour le RN, soit devant les hommes (31%).
 
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Quelques exemples de (non)votes du RN 

Fin 2021, les députés RN ne prennent pas part au vote de la loi sur l’égalité salariale (loi Rixain). 2021 encore, les eurodéputés votent contre une résolution prévoyant des formations contre le harcèlement sexuel dans les institutions de l’Union européenne (UE).
 
2022 : le RN vote contre un salaire minimum européen, fondé sur un "niveau de vie décent" pour chaque Etat membre sachant que cette mesure concerne en grande majorité des femmes, les plus nombreuses parmi les bas et très bas salaires.

En mai 2023, le RN s’est abstenu sur la directive européenne "sur la transparence et l’égalité des rémunérations" dont le but était d’appliquer l’égalité de salaires entre femmes et hommes pour un travail identique ou de même valeur.
 
Autre abstention des eurodéputés RN en juin 2023 sur l’adoption d’un rapport demandant à ce que les pays de l’Union Européenne fassent plus d’efforts pour lutter contre le harcèlement sexuel. La même année, le RN s’abstient lors de l’adoption de la Convention d’Istanbul par l'UE, sur "la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique".
 
 

Et le droit à l' IVG ?

"Nous devons refuser qu’une seule femme en France puisse un jour s’inquiéter de voir un de ses droits reculer", déclarait le 4 mars 2024, Jordan Bardella sur TF1, interrogé à l'occasion de la constitutionnalisation du droit à l'IVG. 
 
Comme le rappellait le collectif Grève Féministe, dans une tribune publiée fin mai dans Libération : "Le 26 novembre 2020 et en novembre 2021, les élu·es RN se sont opposé·es à une résolution condamnant la Pologne qui interdisait quasiment totalement l’avortement. Le 11 avril dernier, ils et elles se sont abstenu·es sur l’introduction du droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux".
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Les féministes vent debout 

Dans cette même tribune, le collectif Grève féministe précisait également que "partout où l’extrême droite est au pouvoir (Italie, Hongrie, Pologne avant les dernières élections), les droits des femmes, des personnes LGBTQI et des immigré·es, en premier lieu, reculent... Nous n’oublions pas que le RN prétend que les violences faites aux femmes et aux filles sont majoritairement commises par des immigrés. Alors que les études attestent que ce sont en majorité les proches, notamment dans la famille, qui sont les agresseurs."
 
Au lendemain du 9 juin, et des 31,5% obtenus par le RN en France, les associations féministes rassemblées au sein de ce collectif appellent d'une même voix à une union de la gauche lors des élections législatives en France, pour "une cohabitation féministe, sociale, antiraciste, écologiste".
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"Pour les femmes, les personnes LGBTQIA+, les enfants et les groupes marginalisés, l’accession au pouvoir par l’extrême droite le 7 juillet ne se résumera plus à des enjeux de droits, mais bel et bien de survie" , s'inquiète #NousToutes. Pour la Fondation des femmes, "la menace du Rassemblement National au pouvoir est effrayante pour les droits des femmes dans son ensemble. Dans tous les pays du monde ou l’extrême droite est au pouvoir, les droits des femmes, des minorités et des plus vulnérables sont ciblés." "Leur projet politique anti-choix, anti-féministe, raciste et haineux met en danger les actions des associations du Planning familial envers toutes les personnes que nous recevons", s'alarme le Planning familial.
 
Plus de 120 organisations féministes ont organisé des manifestations et rassemblements #AlertesFéministes à Paris et dans toute la France, le dimanche 23 juin pour "faire barrage à l'extrême droite".
 
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Cinq questions à Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre

Terriennes : Comment le Rassemblement national aborde-t-il la question des droits des femmes ?

Rachel Silvera : La question des femmes, c'est peut-être même le meilleur cas d'école-, illustre parfaitement le double jeu et le double discours du Rassemblement National. D'un côté, on affiche le fait qu'il hors de question que les droits des femmes soient mis à mal et reculent. Ça, c'est Mr Bardella en mars sur TF1. D'un côté, on a ça. On ne vote pas totalement contre la constitutionnalisation de l'avortement. En tout cas, on n'affiche pas, devant l'unanimité, une hostilité ouverte.

Et puis, derrière, on s'aperçoit que, fondamentalement, à travers leur vote au niveau européen ou à l'Assemblée nationale française, à travers leurs alliances au niveau européen, on voit bien que leur projet est tout autre, et qu'il est vraiment antiféministe, que ce soit sur les droits à l'avortement, où plusieurs fois, soit ils ont voté contre, soit ils s'abstiennent, ou ils ne sont pas là. Par ailleurs, ils s'opposent à des droits nouveaux, des droits sociaux qui pourraient améliorer indirectement la situation des femmes. Je pense au salaire minimum européen. Ils ont voté contre, sous prétexte que ça relève de la compétence nationale et pas de l'Europe. Mais ce n'était pas la question posée.

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Terriennes : Concernant la réforme des retraites pour les femmes, que disent-ils ? 

Rachel Silvera : Jordan Bardella a tout récemment déclaré qu'il ne remettrait pas en cause cette réforme. Et il se trouve qu'il avait dit, à l'époque de la réforme, que la meilleure solution pour défendre nos retraites, c'est une politique nataliste.

Or, on sait très bien que derrière un discours de politique nataliste se cache l'idée qu'on reviendrait au rôle traditionnel où d'abord, les femmes doivent se consacrer à leur rôle maternel. Et du coup, on voit en filigrane des propos sur la "liberté" des femmes de ne pas travailler. Et à chaque fois, c'est ramené aux seules femmes, en tant que mère. Et donc là, on sait très bien qu'il y aura des grandes régressions.

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Terriennes : quelle est leur position sur la question des violences faites aux femmes ?

Rachel Silvera : il n'y a que Marion Maréchal à oser parler des violences faites aux femmes lors du grand débat tv avec tous les candidats. Pour dire quoi ? Pour dire que ces violences seraient le fait des immigrés, des étrangers.

C'est un propos directement, ouvertement raciste. On sait que les violences faites aux femmes se font d'abord dans la sphère proche, familiale, etc. Et qu'en plus, parce qu'il y aurait des cas où, effectivement, il y a eu des migrants, des personnes étrangères en cause, elle généralise quelques cas à une réalité globalisante. Et du coup, pour moi, c'est aussi pour ça qu'autant de femmes ont voté le RN. C'est qu'avec ce double discours, avec Mme Le Pen qui a vraiment contribué à dédiaboliser le RN au fil des ans, les femmes ne voient pas, et les hommes devraient le voir aussi, à quel point ça sera un grignotage et une remise en cause des droits des femmes. Et aussi ceux des minorités, qu'elles soient d'origine étrangère ou bien des minorités sexuelles, c'est évident.

Terriennes : justement, on voit que l'électorat féminin en faveur du RN grossit, comment l'expliquer ?

Rachel Silvera : c'est en fait très inquiétant. Au départ, en France, on a eu le droit de vote vraiment universel que très tard par rapport à d'autres démocraties. Et que c'était le fait de la social-démocratie de l'époque qui craignait que le vote des femmes soit à droite et qu'elles se réfèrent à l'Église pour voter. Et donc il y avait une crainte d'un retour à des valeurs très traditionnalistes. Or, pas du tout. Pendant longtemps, les femmes ont voté beaucoup plus à gauche et surtout, elles ne votaient pas FN.

Et donc ça fait que, à mon avis, surtout depuis qu'il y a "Le Pen-Madame" qui se présente, ce vote rejoint un peu la tendance générale. Bon, je ne suis pas plus choquée que ce soit des femmes. Est-ce que le fait que ce soit une femme, présidente d'un parti, ça peut être rassurant pour cet électorat ? Lors des dernières élections présidentielles, quand on lui demandait "Quelle est votre position par rapport aux femmes ?", elle avait répondu "Comme je suis une femme, je suis donc féministe".

Terriennes : est-ce qu'on peut dire que le RN est anti-féministe ? 

Rachel Silvera : Pour moi, oui. J'ai failli le prendre comme titre de ma chronique. Et puis, vous savez, ce qui m'en a empêchée, c'est qu'on subit un vrai "backlash" en ce moment. Parce que j'ai entendu beaucoup de choses, par exemple, sur le MeToo dans le cinéma. Et je pense que ça a contribué au vote RN sur le thème "qu'est-ce que c'est que ces féministes, qu'est-ce qu'elles veulent encore ?". Vous savez, moi, je suis féministe, alors vraiment, je le dirai et le redirai. Et je vais quand même dire "mais". Car je préfère parler droit des femmes, droit à l'égalité au niveau du travail, des salaires, droit à l'avortement, non-dénigrement et non- instrumentalisation des femmes. Oui, je préfère parler comme ça que de dire qu'ils sont anti-féministes. Parce que j'ai l'impression que la Terre entière, en ce moment, devient anti-féministe.

Donc j'ai peur que le RN s'oppose à des avancées sociales, à des avancées progressistes, qui fait que dans ce monde, dans une vraie démocratie, le droit des femmes, le droit des minorités doit être reconnu, à sa juste place. 

Rachel Silvera

Rachel Silvera est économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre. Elle est l’auteure de Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires (La Découverte, 2014).

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