Fil d'Ariane
Sur le terrain, Justine Masika Bihamba se bat aux côtés des femmes violentées. Avec son ONG Synergie, elle est parvenue au fil des ans à recoller la vie brisée de nombreuses victimes. Pour faire connaître cette réalité, elle a publié le livre Femme debout face à la guerre (éd. de l’Aube).
Justine Masika Bihamba, fondatrice d'une association de soutien aux femmes victimes de viols de guerre, ici lors d'une séance de dédicace de son livre Femme debout face à la guerre (Editions de l'Aube) à Toulouse, en mars 2024.
"Le viol comme arme de guerre constitue aujourd’hui une matrice du dérèglement du monde" : voilà ce que dénonce, tribune après tribune, médias après médias, avec la vigueur et détermination d'une lanceuse d'alerte, la militante congolaise Justine Masika Bihamba.
"Aujourd’hui, se préoccuper du Kivu n’est pas seulement faire preuve de solidarité et d’une nécessaire conscience planétaire. C’est porter ensemble une certaine idée de notre avenir. C’est le destin de chacun et chacune d’entre nous qui se joue dans le combat de Justine Masika Bihamba. C’est l’idée même d’humanité qui doit aujourd’hui être sauvée. Les femmes en ont sans doute la clé.", disait d'elle, la militante et présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.
Justine Masika Bihamba est née en 1965, à Butembo, au Nord-Kivu, en RDC, pays ravagé par des conflits en série depuis plus de trente ans. Cofondatrice de la Synergie des femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS), elle sillonne le monde pour interpeller les instances internationales, défiant leur silence trop souvent retentissant.
Dans son dernier ouvrage Femme debout face à la guerre (L’aube, 1er mars 2024), cette militante de terrain fait le procès du viol comme arme de guerre.
Patrice Férus pour Terriennes : pourquoi avoir choisi de mettre "femme" au singulier dans le titre de votre ouvrage ?
Justine Masika Bihamba : En République démocratique du Congo, on croit que toutes les femmes sont des victimes, mais là je voulais montrer qu'il y a des femmes qui sont debout, des femmes qui sont là pour aider les autres, des femmes qui, malgré le fait dêtre victimes, deviennent actrices de changement.
Selon vous, chaque femme doit se sentir concernée ?
Je veux montrer à la génération qui va venir qu'il ne faut pas croire que l'activisme c'est juste un combat, c'est aussi une vie. Là, on aide les femme à retrouver leur sourire, malgré la situation que nous traversons. Mais avec notre accompagnement, et notre aide, les femmes retrouvent leur sourire. D'ailleurs moi, je travaille beaucoup avec les jeunes. Il ne faut pas leur montrer que le négatif. Depuis qu'ils sont nés, depuis trente ans, ils n'ont vécu que la guerre. Il faut qu'ils comprennent que nous devons nous impliquer pour avoir un avenir meilleur.
C'est un fait : les femmes sont violées devant leurs enfants. Les enfants sont violés devant leurs parents. Justine Masika Bihamba
En 2016, après une visite à Kinshasa, la ministre suédoise des affaires étrangères Margot Wallström qualifiait votre pays de "capitale du viol" devant l'ONU, comment l'avez-vous pris ?
C'était très dur pour nous, mais c'est un fait : les femmes sont violées devant leurs enfants. Les enfants sont violés devant leurs parents. On introduit même des objets pointus ... C'est une destruction. Mais en Occident aussi, il y a aussi des femmes qui se font violer, pas avec l'ampleur de ce qui se passe en RDC bien-sûr. Dire que c'est la capitale du viol, ce sont des mots trop durs.
Il y a des ennemis qui se battent, ils violent les femmes à grande échelle pour montrer qu'ils sont les plus forts. Justine Masika Bihamba
Cela veut dire que le corps des femmes est utilisé comme instrument de domination ?
Oui, le corps des femmes est utilisé pour montrer sa force. Il y a des ennemis qui se battent, ils violent les femmes à grande échelle pour montrer qu'ils sont les plus forts. Chez nous, la femme est sacrée. L'homme voit sa dignité à travers son épouse. Une fois que l'homme voit son épouse abusée, déshonorée, il se voit sans force. C'est affaiblir et détruire tout un peuple.
Vous parlez aussi dans votre ouvrage de résilience, d'héroïnes qui arrivent à se relever...
Il y a une femme, elle allait au marché, c'est là qu'elle a été violée. Et là le problème, c'est quand le viol est accompagné d'un enfant, d'une grossesse. Nous l'avons accompagnée jusqu'à la réconciliation, ce qui n'a pas été facile. Il a fallu que nous trouvions des alliés comme le pasteur de la ville. Et finalement, elle a pu se réconcilier avec son mari et aujourd'hui elle est une actrice du changement, elle-même accompagne les autres. Ce que je veux dire aujourd'hui, c'est qu'au début, on a commencé par une campagne de sensibilisation, mais maintenant, ce sont les femmes que nous avons accompagnées qui, lorsqu'il y a un cas de viol, disent "Voyez, comment on nous a aidées". Aujourd'hui, cette femme a même postulé pour devenir députée, mais n'a pas été élue.
Vous vous êtes beaucoup impliquée dans l'écoute de ces femmes, comment vous-même vous êtes-vous protégée ?
On a créé un système en interne pour pouvoir nous entraider. Car c'est très difficile après des semaines à écouter des histoires horribles, nous-même on devient malade. Mais nous avons mis en place un accompagnement entre nous et parfois des personnes extérieures viennent pour nous aider.
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