"Réalisatrices équitables" : pour une parité derrière la caméra

S’assurer que les femmes aient autant de chances de scénariser, réaliser et produire des films et des documentaires que les hommes : c’est la mission que s’est donnée l’organisme "Réalisatrices équitables" depuis 2007 au Québec, et cette mission commence à porter ses fruits.
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©Realisatrices equitables/page Facebook
"Réalisatrices Équitables", un organisme sans but lucratif qui oriente son action en faveur des réalisatrices, des scénaristes et des productrices. Il compte un peu plus de 250 membres, des femmes en grande majorité, et plus de 1200 sympathisants (juin 2019).
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©Realisatrices equitables/Facebook
L'organisme Réalisatrices équitables vient de lancer une campagne de publicité sur les réseaux sociaux, « Réalisatrices équitables visent juste ! » pour expliquer sa démarche au public et recueillir l’appui de professionnels.
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Au Québec, un réalisateur sur deux est une réalisatrice, selon les derniers chiffres de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec. Pour réaliser un film ou un documentaire, il faut de l’argent, et ce financement se fait via plusieurs organismes gouvernementaux que sont notamment Téléfilm Canada, l’Office national du film et la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles). L’organisme "Réalisatrices équitables" a vu le jour en 2007 parce qu’il était beaucoup plus difficile pour une femme d’obtenir ce précieux financement que pour un homme.

On travaille pour faire une place plus juste aux préoccupations, à la vision du monde et à l’imaginaire des femmes sur tous nos écrans.
Anik Salas, présidente de Réalisatrices Équitables

"Notre mandat, c’est de sensibiliser le milieu, les institutions et le public à l’importance de la vision des femmes cinéastes au Québec et on travaille pour faire une place plus juste aux préoccupations, à la vision du monde et à l’imaginaire des femmes sur tous nos écrans", explique Anik Salas, présidente de Réalisatrices équitables. L’organisme sans but lucratif oriente donc son action en faveur des réalisatrices, des scénaristes et des productrices. Il compte un peu plus de 250 membres, des femmes en grande majorité, et plus de 1200 sympathisants.

Les projets de femmes en hausse de 14% en 3 ans

Sous la pression soutenue notamment des Réalisatrices équitables, en 2016 et 2017, Téléfilm Canada et l’Office national du film ont adopté des mesures pour avoir un porte-folio paritaire, c’est-à-dire s’assurer que 50% des projets financés soient réalisés par des femmes. Et ces mesures ont porté leurs fruits : selon le dernier rapport présenté par Téléfilm Canada, le nombre de projets de plus de 2,5 millions de dollars réalisés par des femmes est passé de 19% en 2016 à 42% cette année. Et le nombre de projets financés par Téléfilm Canada et réalisés par des femmes a augmenté de 14% en trois ans, pour atteindre 42% du financement global de l’organisme.

Les femmes ont été très longtemps cantonnées dans le cinéma documentaire et c’est là que les budgets sont les moins élevés.
Anik Salas
Anik Salas
Anik Salas, fondatrice de "Réalisatrices équitables", exerce son art dans toutes ses couleurs, de la scénarisation au montage, de la réalisation de fiction ou documentaire.
©Anik Salas

"L’un des critères que nous prenons en compte en priorité, c’est le montant des budgets, parce que les femmes ont été très longtemps cantonnées au cinéma documentaire et c’est là que les budgets sont les moins élevés, donc c’est important pour nous que les femmes soient aussi bien représentées dans les projets avec des budgets élevés, précise Anik Salas. Et on voit les résultats de ces mesures maintenant, parce que selon les derniers chiffres de Téléfilm Canada, on voit qu’il y a des réalisatrices dont les projets sont présentés dans les budgets les plus élevés. On vient de rentrer dans la zone de parité et c’est très encourageant".

Du côté de la SODEC, organisme québécois, la mission s'est plus concentrée sur les producteurs et productrices, car au Québec, ce n’est pas le réalisateur qui peut présenter un projet pour obtenir le financement, mais le producteur. L’organisme a donc dit aux producteurs qu’ils pouvaient déposer le projet de leur choix, mais que s’ils en présentaient un deuxième, il devait impérativement être réalisé par une femme, une mesure appelée "un plus un".

"Réalisatrices équitables vise juste !"

L’organisme vient de lancer une campagne de publicité dans les réseaux sociaux, "Réalisatrices équitables visent juste !" pour expliquer sa démarche au public et recueillir l’appui de professionnels du domaine, tant homme que femme. Le réalisateur Philippe Falardeau en fait partie dans une vidéo mise sur le site Facebook de l’organisme, de nombreuses autres personnalités artistiques participent également.

"L’idée, c’était de rassembler des réalisatrices et des réalisateurs, mais aussi des personnalités d’autres domaines artistiques, hommes comme femmes, parce que pour nous la parité ce n’est pas juste une affaire de femmes, c’est l’affaire de tous et de toutes, donc on voulait rassembler tous ces gens sous la même bannière de la parité pour dire en quoi c’est positif et que cela a des retombées positives," explique Anik Salas. 
 
Pour nous, la parité, ce n’est pas juste une affaire de femmes, c’est l’affaire de tous et de toutes.
Anik Salas

"On veut réaffirmer l’importance de la parité en réalisation à travers la parole de plusieurs personnes et on voulait aussi aider le public à mieux comprendre les mesures en faveur de la parité qui ont été mises en place dans l’industrie. Une façon de faire connaître notre travail et à inviter le public à appuyer ce travail car on a entendu toute sorte de commentaires sur les mesures de parité depuis qu’elles ont été mises en place et au Québec l’année qui vient de s’écouler prouve à quel point elles ont eu des retombées positives", ajoute-t-elle.

L'année 2019 a été particulièrement riche en films réalisés par des femmes : Antigone de Sophie Deraspe, La femme de mon frère de Monia Chokri ou Kuessipan de Myriam Verreault pour ne nommer que ceux-là – Antigone a notamment été sélectionné pour représenter le Canada dans la course aux Oscars. "Si le public a enfin pu avoir accès au talent de tant de réalisatrices, c’est en grande partie grâce aux mesures de parité qui ont été mises en place et qui ont amené l’industrie à révéler des cinéastes compétentes, brillantes et donc ça prouve que les mesures en faveur de la parité, eh bien ça fonctionne", souligne l'initiatrice du projet.

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Un combat qui est loin d’être fini

Anik Salas se réjouit des progrès réalisés par les femmes réalisatrices au Québec au cours des dernières années, mais elle estime qu’il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers pour autant : "Oui, on a réussi à entrer dans la zone paritaire, mais il ne faut pas arrêter nos efforts parce que nous ce qu’on veut, c’est une vraie parité, 50-50, pas 40, 41 ou 42. On est optimiste, mais on va poursuivre nos actions".

L’un des axes d’intervention des Réalisatrices équitables sera pour les productrices, parce que là, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Le rapport de Téléfilm Canada révèle ainsi une baisse important du nombre de financement de projets conduits par des productrices : il est passé de 61% à 43% de 2016 à 2020. Et le pourcentage du financement de ces projets est aussi en baisse, de 48 à 32%.

L’épidémie de la COVID a bien sûr un impact important sur la production de films et de documentaires au Québec et l’organisme craint que cela ne freine les progrès des dernières années en matière de parité. "On espère que les femmes pourront profiter équitablement des programmes d’aide mis en place par les gouvernements pour venir en aide aux acteurs de cette industrie", conclut Anik Salas.