« The red pill », un documentaire en défense des masculinistes que les féministes ont du mal à avaler

C'est l'histoire de Cassie Jaye, jeune documentariste américaine qui a décidé de plonger dans l’univers des associations de défense des droits et des voix des hommes aux États-Unis. Depuis, la polémique bat son plein, aux Etats-Unis ou au Canada, pays marqués par des tueries masculinistes.
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the red pill
Paul Elam, président fondateur de "A voice for men", qui se présente comme un "lieu de contre théorie humaniste à l'époque de misandrie (ou hostilité aux hommes, le contraire de la misogynie)"  entouré de ses compagnons d'arme, lors d'une manifestation publique. Il a longuement été interviewé par la documentariste Cassie Jaye. Sur leur site, ces doux rêveurs appellent les féministes "fémi-nazies" et les comparent au Ku Klux Klan raciste et suprémaciste...
(c) http://theredpillmovie.com/
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La jeune femme dit qu’elle a voulu confronter ses préjugés sur ces hommes qui prennent la défense des hommes et qui traînent la réputation d’être misogynes. Et pour être confrontée, elle l’a été : si elle se disait féministe au début du documentaire, elle déclare à la fin qu’elle comprend le désarroi et les revendications masculines, d’hommes disant vivre dans une société où ils seraient victimes des femmes. On s’en doute, ce documentaire soulève une certaine controverse aux États-Unis et au Canada.

Les mots et maux des hommes

A tour de rôle, Cassie Jaye tend son micro aux principaux leaders des associations de défense des droits des hommes aux États-Unis comme le très controversé Paul Elam, fondateur de « A Voice for men » (Une voix pour les hommes, dont le site compare les féministes au Ku Klux Klan, et les surnomme fémi-nazies...), Harry Crouch, président de la National Association for Men (l’Association nationale pour les hommes), Fred Hayward, fondateur de Men's rights inc (les Droits des hommes), Dean Esmay, ex directeur du magazine A Voice for men, et les activistes Joe Manthey ou Ben Evans.

Les uns après les autres, ces hommes expliquent et décrivent les « maux » des hommes et les souffrances qu’ils endurent : une espérance de vie inférieure aux femmes, le suicide, qui est essentiellement masculin, tout comme l’itinérance, un taux de mortalité de 99% lors des conflits car ce sont des hommes que l’on envoie à la guerre en large majorité, les accidents de travail qui font des victimes principalement masculines ( en 2013, 93% des victimes d’accidents de travail étaient des hommes ), les difficultés des pères à faire respecter leurs droits de père devant les tribunaux ( en 2011, plus de 80% des jugements rendus en matière patrimoniale aux EU ont favorisé la mère versus le père ), le manque de programmes sociaux et de santé spécifiquement conçus pour les hommes, les problèmes de violence conjugale que vivent des hommes et qui ne sont pas reconnus, etc. Autant de problématiques sociales donc que vivent les hommes dans nos sociétés et qui ne sont pas reconnues et entendues aux dires de ces activistes…

Face à ces données, exposées sur la pellicule en lettres capitales, une sorte de grand blanc : aucun chiffre sur les violences conjugales mortelles, aucune proportion ne rappelle ces pères qui abandonnent leurs enfants à la première occasion, aucun rappel des différences, parfois abyssales, économiques et sociales entre les sexes, au grand désavantage du sexe dit « faible ».

The red pill, une référence à la pilule rouge de Matrix

Paul Elam se demande, dans le documentaire, pourquoi les hommes ne peuvent pas parler de leurs problèmes si c’est vrai qu’ils ont encore tous les droits et tous les pouvoirs. Et il explique à la jeune documentariste ce que veut dire l’expression « The red pill - la pilule rouge » : « c’est un de nos slogans, précise Paul Ewan, en référence au film The Matrix. On a le choix entre prendre deux pilules : la pilule bleue, c’est celle qui dit que l’homme continue à avoir tous les pouvoirs, que les hommes sont les seuls responsables de la violence conjugale et les seuls à commettre des agressions sexuelles sans en être jamais victimes. La pilule rouge, elle, permet de voir les choses autrement, sous un autre facette. Elle permet de regarder tous ces problèmes honnêtement même si cela dérange, elle permet de comprendre que les hommes autant que les femmes sont victimes de toutes sortes de problématiques. »

Dans The Matrix, film de science-fiction datant de 1999, le héros se voit offrir deux pilules, la bleue qui lui fera récupérer une vie normale, soit la pilule rouge, qui lui permettra de savoir ce qu'est la vérité. La « red pill » de ces « héros du 21ème siècle », c’est donc de choisir la vérité envers et contre tout, surtout envers celles des femmes…  

« Men desserve compassion » dit l’un des activistes, "les hommes méritent de la compassion". « C’est un océan de douleur, dit un autre, mais on n’en parle pas, personne n’écoute, personne ne fait attention ».
Ces activistes déplorent donc que les « maux masculins » ne soient pas pris en considération au même titre que les « maux féminins », voire qu’ils soient niés et réfutés, notamment par des féministes pures et dures que l’on peut voir et entendre dans le documentaire – une manifestation à Toronto pour empêcher la tenue de la conférence donnée par le docteur Warren Farrell, auteur du livre « The myth of male power » ou une autre, à l’Université de Toronto, pour perturber une conférence sur les droits de l’homme… La jeune cinéaste est aussi allée à la rencontre d’associations féministes et d’activistes féministes pour aller chercher leurs réactions, comme la Feminist majority Fondation.

Dans le film, les hommes interrogés parlent toujours d’une voix douce, posée, les féministes éructent la plupart du temps, une façon de donner plus de crédibilité aux premiers.

Je ne peux plus me dire féministe
Cassie Jaye, cinéaste

A l’origine, Cassie Jaye voulait faire un documentaire sur la culture du viol. Finalement, son film a pris une toute autre direction. Et elle y livre ses états d’âme au fur et à mesure de ses rencontres avec ses activistes. Face caméra, l’ancienne comédienne tient une sorte de journal intime de ce voyage  cinématographique et explique les questions que suscitent en elle les entrevues menées avec ces hommes. Après le passage sur le problème de la violence conjugale, elle se confie : « Je ne sais pas où se trouve la vérité, quand j'ai décidé de faire un film sur le mouvement des droits des hommes, je ne pensais pas que cela allait me remettre en question comme cela ». Pour conclure, à la toute fin de son documentaire, par cette petite phrase lapidaire : « I can no longer call myself a feminist - je ne peux plus me dire féministe »…

Malhonnêteté intellectuelle ?

Pascale Navarro, essayiste et féministe, estime que ce documentaire fait preuve de malhonnêteté intellectuelle, et qu'à tout le moins que la cinéaste a fait preuve d’une grande naïveté dans sa démarche, sans compter que les monologues « narcissiques » de la jeune femme l’ont dérangée.

Vous dites que les hommes sont les principales victimes de la guerre alors pourquoi n’allez-vous pas militer dans des groupes pacifistes ?
Pascale Navarro, essayiste féministe

« Elle les écoute sans les contredire, sans leur dire par exemple : vous dites que les hommes sont les principales victimes de la guerre alors pourquoi n’allez-vous pas militer dans des groupes pacifistes ? » précise Pascale Navarro. « Oui, ces problèmes-là touchent les hommes, c’est indéniable, et les histoires personnelles que ces hommes racontent dans le documentaire nous touchent bien sûr, mais ce n’est pas une raison pour en jeter le blâme sur les femmes. Ils se trompent de cibles selon moi. Les hommes souffrent mais les femmes aussi, en fait les êtres humains souffrent. Par les temps qui courent, je trouve que c’est un débat dont nous n’avons pas besoin. »

Il y a un inconfort dans nos sociétés à parler des enjeux masculins
Martin Gareau, co-directeur de l’Association pour l’égalité

Nul ne conteste l'intérêt de ce sujet, ce voyage auprès des "white angry men", ces "hommes blancs en colère" qui ont porté, en grande partie, Donald Trump au pouvoir. Mais, il y a un fossé entre un film de propagande et un documentaire sans parti pris, une différence que certains feignent de ne pas voir. « Il y a un inconfort dans nos sociétés à parler des enjeux masculins, et quand on en parle, il y a comme un déni. Mais la réalité c’est que ça existe sauf qu’il y a une polarisation qui fait que des gens s’indignent de ça. Dès qu’on en parle, on nous traite de misogynes ! Ne trouvez-vous pas étonnant que parler des droits des hommes soit aussi controversé ? Les hommes ne sont-ils pas des humains et des victimes dans certaines situations ? » s’interroge de son côté Martin Gareau, co-directeur de l’Association candienne pour l’égalité, l’organisme qui a organisé la diffusion du film au Canada. Une association qui postule en devise : "l'égalité veut dire l'égalité pour tous", sous entendu, pas seulement pour promouvoir celle des femmes.... Et qui organise des conférences sur les campus pour porter la parole de de Warren Farell, qui a écrit toutes sortes d'ouvrages, aux ttres évocateurs, sur la question : « Le mythe du pouvoir masculin », « Est-ce que le féminisme ne discrimine pas les hommes », ou encore « Les raisons des salaires supérieurs pour les hommes », etc. 

Martin Gareau  défend donc  la jeune cinéaste contre toute accusation de malhonnêteté intellectuelle dans son documentaire « Au départ, elle était convaincue que ces gens-là étaient haineux et misogynes. Elle a voulu enquêter, démontrer qu’ils étaient méchants. Et progressivement elle s’est rendue compte que ces activistes n’étaient pas misogynes comme on le disait et que leurs revendications étaient légitimes. Maintenant tout le documentaire repose sur son honnêteté intellectuelle, à Cassie Jaye. Si vous croyez qu’elle l’a été ou non »…

Controverses et publicités

A noter que le documentaire a pu se faire grâce à une campagne de financement participatif car plusieurs des partenaires approchés par la cinéaste pour sponsoriser son travail se sont retirés du projet dans la crainte de polémiques.

Et controverses il y a : en novembre, un cinéma de Melbourne, en Australie, l’a retiré de son affiche après la mise en ligne d’une pétition signée par 2000 personnes qualifiant le documentaire de « propagande misogyne ». Un cinéma d’Ottawa l’a déprogrammé également. La représentation qui s’est tenue le 21 janvier 2017 à Montréal s’est, en revanche, déroulée sans problème. pas question, ici de souscrire à au refus de programmation de ce film par des directeurs de salles de cinéma un peu frileux - heureusement la liberté d'expression est inscrite dans la Constitution de nombreux pays. Mais pas question non plus de présenter Cassie Jaye comme une victime des féministes : dans une vidéo, elle répond aux nombreuses menaces qui lui ont été adressées via les réseaux sociaux... et dont nous n'avons trouvé aucune trace.

En revanche, la jeune femme fait montre d'un sens certain du marketing… Voici un résumé, en français, de son argumentation : "Tout ce que vous devez savoir à propos de The Red Pill. Je voudrais vous parler de ce qui se passe avec mon film The raid pill. The raid pill me suit dans mon voyage en tant que féministe pour en apprendre sur les mouvements de droits des hommes." Elle explique ensuite que dans son film, qui est un regard honnête, "tous les points de vue sont confrontés, y compris ceux des féministes, même s'il se focalise sur les activistes des droits des hommes."  Elle s'interroge ensuite sur les accusations de malhonnêteté à son encontre, qui ont cherché, selon elle, à l'empêcher de faire son film. Ce qui n'a pas empêcher un soutien financier participatif conséquent à son projet.


En revanche, on peut trouver sur twitter, par exemple, un déluge de louanges superlatives.
Comme celle-ci : "Je viens juste de finir de regarder The red pill. Courageux. Honnête. Franc. Une présentation fondamentale de la vérité vraie."


Mais la réalisatrice a parfois quelque difficulté à accepter la critique... « Pouvez vous corriger ce mensonge, énoncé dans votre dernier article ? » intime-t-elle à une journaliste du magazine Vice qui avait osé écrire : « le titre du film est emprunté à un site web communautaire dans lequel les hommes déversent leur rage contre les femmes et discutent des stratégies pour soumettre les femmes. »

La journaliste ainsi tancée a aussitôt rétorqué : "ce qui est très malhonnête c'est de dire que le titre du film n'a aucun lien avec l'association du même nom...". OU encore : : "Si vous voulez un exemple de grossières tentatives pour pousser une femme à se soumettre, la preuve dans les mentions apportées par ses supporters au film The Red Pill, en réponse à ma critique..."


En attendant, le film poursuit sa route, sans aucun obstacle, via la plateforme Netflix ou l'achat direct sur son site. Il ya pire comme censure... 

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