Fil d'Ariane
A Beyrouth, des réfugiées palestiniennes du camp de Bourj el Barajneh viennent d’ouvrir leur premier « camion restaurant », qui circulera dans tout le Liban. Une activité génératrice de revenus pour ces femmes et l’occasion de « véhiculer » les recettes palestiniennes. Rencontre avec Mariam Shaar, à l’origine de ce projet.
Août 2016. Le soleil brille fort sur Beyrouth et sur ses camps de réfugiés aux alentours : le tristement célèbre camp de Chatila (théâtre d'un massacre de centaines de personnes en 1982, ndlr), et celui de Bourj el Barajneh. C’est en 1948, lors de la création d’Israël, que les premiers Palestiniens arrivent dans ce camp. Situé dans un quartier sud de la capitale libanaise près de l’aéroport Rafic Hariri, il est aujourd’hui le plus peuplé du pays avec plus de 18 000 habitants, gonflé par l’afflux des réfugiés syriens.
Devenu au fil des décennies une véritable petite ville, c’est après avoir arpenté de nombreuses ruelles que l’on accède au local de l’UNWRA (office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine), où se trouve le bureau de Mariam Shaar. Cette femme d’une quarantaine d’années, mène depuis neuf ans différents projets au sein du Women’s Programme Association (WPA), qui vient en aide aux femmes et aux enfants dans une dizaine de centres des camps de réfugiés du pays.En 2013 Mariam Shaar crée l’entreprise « Soufra », qui signifie en arabe « table à manger ». L’idée est alors de vendre des plats palestiniens à l’intérieur du camp et à Beyrouth, confectionnés par les femmes de Bourj el Barajneh.
« Selon la tradition, ce sont les hommes qui subviennent aux besoins de la famille. Mais la situation économique est si difficile ici, que les femmes aident aussi désormais », explique la jeune entrepreneure. En effet, au Liban, de nombreux métiers sont interdits par la loi aux réfugiés palestiniens. Une liste référence les 70 métiers qu’ils n’ont pas le droit d’exercer (ingénieur, médecin, avocat, etc…).
Notre but n’est pas seulement de gagner de l’argent. Ce projet a une vraie vocation sociale. Il aide les femmes à avoir confiance en elles
Mariam Shaar - Women’s Program Association
Depuis sa création, Soufra connaît un succès croissant. Une quinzaine de Palestiniennes y travaillent régulièrement. Environ trois fois par semaine, les femmes préparent des plats dans des cuisines professionnelles aménagées dans le camp, pour 200 ou 300 personnes. Un travail qui leur rapporte entre 10 et 40 dollars par jour. C’est avec le soutien du restaurant « Souk el Tayeb » à Beyrouth qu’elles ont réussi à se faire connaître. Tous les samedis, au marché du même nom, elles vendent leurs produits. Mais leurs plats sont également livrés à l’université américaine de la capitale libanaise, à des écoles palestiniennes et d’autres associations.
« Nous proposons des recettes palestiniennes mais aussi libanaises. Quand les gens veulent des ‘fatayer fellahi’ (petits chaussons aux oignons, thym et sumac, ndlr), c’est à nous qu’ils les commandent ! », indique avec fierté Mariam Shaar. « Mais notre but n’est pas seulement de gagner de l’argent. Ce projet a une vraie vocation sociale. Il aide les femmes à avoir confiance en elles. Elles cuisinent toujours dans la bonne humeur», ajoute t-elle.
D’autres ONG se sont intéressées à ce projet pour le développer dans des camps, comme celui de Chatila (autre lieu de massacres en 1982) et de Tripoli au nord du Liban. De plus en plus de femmes demandent ainsi à travailler et à sortir de chez elles. Plusieurs ont déjà pris leur envol : l’une est employée du restaurant Souk el Tayeb, une autre est devenue professeure…
Ces dernières rêvent désormais de voyager à travers le Liban, à bord de leur camion-restaurant, en passant par Tripoli et la plaine de la Bekaa. Jamais à court d’idées, Mariam Shaar pense aussi à publier un livre avec toutes leurs recettes, transmises de générations en générations.