Religieuses et féministes : les Auxiliatrices du Québec dans "Ainsi soient-elles"

Elles rêvent d’avoir un jour une papesse, elles sont féministes et ont participé à d’importantes luttes syndicales et internationales au fil des décennies : le documentaire Ainsi soient-elles porte sur huit religieuses, les Sœurs Auxiliatrices du Québec, qui font le tri dans leurs souvenirs à l’aube de la disparition de leur communauté. Terriennes s’est entretenu avec le réalisateur Maxime Faure.
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trois religieuses
Capture d'écran de la bande annonce de Ainsi soient-elles.
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"On s’appelle les Auxiliatrices, mais on n’est pas des auxiliaires tristes, on est des auxiliaires enjouées, souriantes, heureuses, heureuses dans notre vocation, heureuses de ce qu’on a fait", s’exclame Sœur Gisèle dans le documentaire. En effet, ces "Auxis", comme elles s’appellent, sont de bonnes vivantes et elles aiment se réunir autour d’un bon repas arrosé de vins.

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Arrivée au Québec en 1949, la communauté appartient à un ordre fondé en 1856 par Eugénie Smet, originaire du nord de la France et béatifiée par Pie XII en 1957. Les Auxis sont depuis présentes dans 22 pays en Afrique, Asie, Europe et Amérique du Nord. La branche québécoise a déjà compté une trentaine de religieuses, mais elles ne sont plus que huit maintenant.

Je ne peux pas être complètement moi-même si l’ensemble des femmes n’ont pas les conditions pour vivre dans la liberté.
Sœur Nicole

C’est après avoir rencontré par un beau hasard, en 2013, Sœur Nicole, que le réalisateur Maxime Faure a eu envie de réaliser ce documentaire : "La compréhension de ce que signifiait leur vie, leur sororité, leurs engagements, leurs luttes, cet apparent paradoxe d’être à la fois croyantes et féministes, ça m’a titillé, ça m’a donné envie de creuser comment elles conciliaient leur appartenance à une Église patriarcale et un combat du quotidien pour les droits des femmes. Ce sont tous ces éléments-là qui m’ont interpelé. Et puis aussi le fait de voir que ces Sœurs Auxiliatrices préparent leur disparition avec sérénité, la disparition de leur communauté et leurs propres disparitions".

Religieuses, rebelles et féministes

Dans le documentaire, Sœur Nicole tient avec émotion entre les mains un petit macaron sur lequel est écrit : "Féministe tant qu’il le faudra" et elle commente : "Apprendre à être femme, c’est un processus tant qu’il le faudra… Je ne peux pas être complètement moi-même si l’ensemble des femmes n’ont pas les conditions pour vivre dans la liberté". Féministes, elles le sont, ces huit Sœurs, sans l’ombre d’un doute, et la majorité des luttes qu’elles ont menées ont été teintées par ce féminisme. Elles ont par exemple participé à la fameuse marche "Du pain et des roses" qui s’est tenue au Québec en 1995 et qui a rassemblé des milliers de femmes pendant dix jours sur les routes du Québec pour dénoncer la pauvreté que subissent les femmes.

Ce sont des femmes de terrain, elles sont profondément ancrées dans leur territoire, elles sont connectées au monde.
Maxime Faure, réalisateur

"Pour elles, il n’y a pas de contradiction entre leurs croyances et leurs valeurs féministes, explique Maxime Faure. Pour elles, c’est d’une profonde et limpide cohérence, car le Jésus qui les inspire et qui les guide, c’est un Jésus indigné et un Jésus engagé. Et ce sont des femmes de terrain, elles sont profondément ancrées dans leur territoire, elles sont connectées au monde et aux gens avec qui elles luttent, et c’est ce qui fait leur cohérence avec les valeurs qu’elles défendent".

affiche ainsi soient-elles

Les "Auxis" ont été partie prenante d’importantes luttes syndicales au Québec au cours des dernières décennies, des luttes qui portaient les valeurs auxquelles elles sont attachées, défendre les pauvres, les exclu-es et les réfugié-es, dénoncer les injustices. Elles se sont aussi mobilisées pour des causes internationales en participant par exemple aux manifestations contre la guerre en Irak, et aux rassemblements devant le Consulat d’Israël à Montréal pour dénoncer la politique de l’État hébreu envers les Palestiniens. Des prises de positions qui leur ont valu des critiques virulentes de la part du public, ce qui ne les a jamais empêché de maintenir le cap.

Une Église pas assez démocratique et trop masculine

Les "Auxis" québécoises n’ont pas leur langue dans leur poche non plus quand il s’agit de critiquer l’Église catholique qu’elles trouvent trop hiérarchique, rigide et, bien sûr, trop masculine. Dans le documentaire, on suit Sœur Suzanne qui participe à une émission de radio et s’indigne qu’il faille toujours attendre l’avis du Pape sur telle ou telle question, ce qui, selon elle, renforce la structure pyramidale de l’Église : "Moi, j’en ai un peu marre que plus on parle du pape, plus on renforce un modèle ecclésial pyramidal, centralisateur, pas de femmes"… Sœur Suzanne dénonce aussi les scandales sexuels qui n’en finissent pas de secouer l’Église : "C’est d’une tristesse sans nom ce qui se passe à L’Église actuellement par rapport aux abus sexuels mais c’est aussi un problème de société. On individualise, on personnifie les problèmes alors que c’est un problème institutionnel", s’indigne la religieuse.

Comment réagiriez-vous si le Pape était une femme ? Si les prêtres et les cardinaux étaient toutes des femmes ?
Sœur Gisèle

Les Sœurs Auxiliatrices du Québec reprochent aussi à l’Église catholique son manque de démocratie : "Je pense qu’actuellement, il y a une crise de la démocratie dans l’Église, je pense que comme diagnostic, on peut dire actuellement que l’Église n’est pas vraiment démocratique", déclare sœur Loiselle, en donnant l’exemple de la nomination des évêques qui se fait sans consultation de la population. "Comment réagiriez-vous si le Pape était une femme ? Si les prêtres et les cardinaux étaient toutes des femmes ?" demande aussi Sœur Gisèle, en s’indignant que le monde soit trop contrôlé par les hommes dans tous les domaines.

Maxime Faure
Maxime Faure, réalisateur du documentaire Ainsi soient-elles.
©F3M

"Elles croient profondément en ce qu’elles défendent donc c’est pour ça qu’elles sont si virulentes envers l’Église, elles le vivent de l’intérieur alors elles savent de quoi elles parlent, précise Maxime Faure. Cela n’a pas été facile à vivre pour elles car dans les années 1960, elles ont subi un rejet à la fois de la communauté chrétienne et des communautés féministes. Elles ont dû faire leur place et créer une confiance avec les gens qu’elles voulaient défendre". Le réalisateur précise que les Sœurs ont préféré consacrer leur vie à la défense de leurs valeurs sur le terrain qu’à tenter de moderniser l’Église : "Elles ont voulu mettre leur énergie sur le terrain, avec les gens qu’elles défendent. Pour elles, la transformation de l’Église, c’est en étant dans l’action", ajoute Maxime Faure.

Les Sœurs Auxiliatrices du Québec, d’ailleurs, ne sont pas organisées de façon hiérarchique : la direction est collégiale. Elles ont aboli la hiérarchie au sein de leur communauté.

Passer le flambeau

Dans les années 1980, alors que les religieuses prenaient de l’âge, elles ont décidé qu’elles ne formeraient pas de relève : "Elles préféraient poursuivre leurs luttes sur le terrain, cela a été un choix fait en toute sérénité, pour elles, la relève, c’est au sein de la société civile, avec les mouvements et les luttes qui se font actuellement au sein de nos sociétés", souligne Maxime Faure. "Qui a dit que les Sœurs Auxiliatrices devaient vivre éternellement ?" se demande d’ailleurs Sœur Suzanne dans le documentaire.

Ainsi soient-elles

Le documentaire, qui est une production franco-québécoise, a déjà été diffusé sur France2 en mars 2020, puis il a été présenté dans plusieurs festivals, mais la pandémie a retardé sa sortie au Québec : il sera donc sur les écrans québécois à partir du 11 juin. "J’ai voulu faire un film qui soit un regard sur ces Sœurs, ce n’est pas une biographie de cette communauté" prend soin de préciser le réalisateur qui signe ici son premier long-métrage.

Les huit Sœurs savent donc qu’avec la mort inéluctable des unes et des autres sonnera la fin de leur communauté. Mais elles acceptent cette réalité en sachant que le flambeau va être porté par d’autres, par les jeunes notamment. C’est ce qu’elles expliquent dans le documentaire : "Quand on voit toutes ces femmes qui s’engagent sur le terrain, ce sont un peu nos filles, c’est un peu notre héritage… On a fait du beau boulot pour la cause du droit des femmes", dit l’une. "Les années de lutte, les luttes féministes, syndicales, les luttes de solidarité internationale, ça ne meurt pas, c’est d’autres qui prennent le relais, qui vont vivre ça à leur façon, différemment", fait remarquer une autre. "Faut continuer à rester engager, de parler, d’agir de prendre position d’agir d’être solidaire", conclut une autre religieuse.  

Pour ce qu’il est de leurs propres disparitions, certaines l’appréhendent très sereinement, sauf Sœur Marie-Paule, qui avoue qu’elle a peur de la mort : "Je n’ai pas envie d’arrêter de respirer… le souffle, c’est la vie et mon existence c’est dans le souffle, dans la respiration".

Le documentaire se termine dans une magnifique pinède dans le nord du Québec. Une amie de longue date des Sœurs, Pénélope Guay, Innu de la Côte Nord, tient un refuge pour les femmes dans lequel se trouve une pinède, une forêt où on peut « adopter » un arbre via un don pour ce refuge. Plusieurs des Sœurs se promènent donc dans cette pinède en découvrant les arbres qu’elles ont adoptés. "J’ai aimé ce côté retour à la terre, c’est une image forte du cheminement de ces Sœurs", conclut Maxime Faure.