Rencontre avec la première femme moine en Thaïlande
En Thaïlande, le bouddhisme a longtemps exclu les femmes de ses ordres. Mais la volonté de l’une d’entre elles a bouleversé l’ordre religieux du pays. A 60 ans, Chatsumarn Kabilsingh est devenue la première moniale bouddhiste thaïlandaise et dirige aujourd’hui son propre temple.
Dhammananda bhikkhuni (gauche) lors d’une cérémonie d’offrandes.
3 minutes de lecture
Pendant près de trente ans, Chatsumarn Kabilsingh a mené une vie bien rangée de professeure de religion et de philosophie. Cette mère de trois enfants avait également sa propre émission télévisée dans laquelle elle abordait les thèmes du bouddhisme, des femmes et de l’écologie sur une chaîne thaïlandaise. Un jour pourtant, face à son miroir, elle constate un vide dans sa vie: « Comme tous les matins, je me maquillais et j’ai pensé « pendant combien de temps vais-je devoir continuer à faire ça ? Ça suffit! › » Ce vide, elle décide de le combler en se consacrant à sa foi bouddhiste.
Mais en Thaïlande, la loi interdit l’ordination des femmes. Qu’à cela ne tienne, Chatsumarn quitte son pays natal pour le Sri Lanka qui, contrairement à la Thaïlande, compte plusieurs bikkhunnis (femme ordonnée en sanscrit). Elle s’y fait finalement ordonner en 2003.
Une photo de Voramai Kabilsingh, la mère de Dhammananda
Un retour en Thaïlande controversé
De retour en Thaïlande, Chatsumarn – qui se fait appeler Dhammananda désormais - se heurte à une opinion publique hostile et à un clergé conservateur qui s’opposent à son statut de moniale. Articles de journaux, affiches placardées près de son temple, les critiques pleuvent sur Dhammananda. Elle s’installe malgré tout dans le temple fondé par sa mère dans les années 1960 à Nakhon Pathom près de Bangkok où elle reçoit régulièrement des femmes pour des séjours spirituels.
« Les contestations ont finalement cessé au bout de deux ans, en partie parce qu'ils se sont rendu compte que l'on faisait quelque chose de bien pour la société », explique Dhammananda. En Thaïlande, les temples bouddhistes sont une forme de ciment social. Beaucoup de démunis y viennent afin de trouver conseil et parfois même refuge.
160 femmes bhikkhunnis
Aujourd’hui, le monastère de Dhammananda abrite dix bhikkhunnis. 150 femmes vivent également dans une dizaine d’autres temples fondés grâce à son aide à travers le pays. Souvent citée comme une pionnière dans la lutte pour les droits des femmes, Dhammananda refuse cette qualification : « D'une manière indirecte, ce que je fais contribue peut-être à la défense [des droits des femmes], mais je n'ai aucune intention de parler de droits. Je parle de responsabilité. »
Selon elle, les femmes ont tendance à penser qu'elles sont inférieures parce qu'elles ne peuvent pas atteindre l'ordination. Elle explique pourtant que le bouddhisme traite les hommes et les femmes de la même manière : « c’est la culture thaïlandaise qui met la femme en [position d'] infériorité», dénonce-t-elle.
Dans deux ans, Dhammananda aura complété les douze ans nécessaires à son ordination officielle en Thaïlande et marquera ainsi le retour des femmes vêtues de safran dans son pays. « Je pense que l'on a un grand potentiel comme femmes, se réjouit Dhammananda. J'ai toujours dit que si les femmes peuvent être des mères, elles peuvent tout atteindre. »
L'histoire des bhikkhunnis
Dans la plupart des pays d’Asie, les robes safran des moine bouddhistes sont depuis des siècles réservées aux hommes. Autrefois pourtant, le statut de moine était ouvert aux deux sexes : les hommes devenaient bhikkhus et les femmes bhikkhunnis. Au Vème siècle avant J.-C., le bouddhisme fut même la première religion à établir un régime monacal pour les femmes. Mais les bhikkhunnis se sont faites de plus en plus rares jusqu’à complètement disparaître dans de nombreux pays. Aujourd’hui, seules les bhikkhunnis de la tradition Mahayana ont survécu notamment à Taïwan ou en Chine.
La mère de Dhammananda, une pionnière
La mère de Dhammananda, Voramai Kabilsingh, était elle aussi moniale. Elle a cependant été ordonnée selon le Mahayana, une tradition moins stricte que le Theravada mais inexistante en Thaïlande. Voramai était donc la première bhikkhunni thaïlandaise et sa fille la première bhikkhunni thaïlandaise Theravada.
L’ordination des femmes : impossible en Thaïlande
Selon les préceptes de Bouddha, l’ordination des femmes requiert la présence de cinq moine et cinq moniales. Cette règle pose problème en Thaïlande où les bhikkhunis du courant dominant, le Theravada, ont disparu depuis longtemps. Sans bhikkhunis, impossible donc de mener la cérémonie.