Rentrée scolaire - égalité filles-garçons : peut mieux faire !

Une rentrée des classes sous surveillance en ces temps de Covid. Un contexte qui ne doit pas faire oublier que l'école reste un domaine où l'égalité filles-garçons n'est pas toujours acquise. Malgré de meilleurs résultats scolaires, les filles sont souvent sous-représentées dans certaines filières, notamment scientifiques et technologiques, et plus tard, confrontées au plafond de verre. 
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facade école
(c) Isabelle Mourgere
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En 2017, elles sont 84% à obtenir leur baccalauréat, contre 74% des garçons selon les chiffres de l'Education nationale. Soit dix points d'écart. La même année, elles sont pourtant 2 élèves sur 5 en terminale de filière scientifique, traditionnellement conçue comme "prestigieuse".  L'inégalité ne se joue pas seulement au niveau de l'orientation, mais aussi dans la cour de récréation, dans les manuels scolaires, et dans l'interaction des jeunes. C'est dès le plus jeune âge que s'ancrent certaines représentations sexuées du monde dans l'imaginaire des enfants, et l'école joue un rôle primordial dans la déconstruction de celles-ci. 

Judith Klein, cheffe du bureau de l'égalité et de la lutte des discriminations de l'Education nationale, assure que l'égalité entre filles et garçons est un sujet transversal, inscrit dans les programmes - à l'image de l'éducation morale et civique -et sanctionné par l'examen, depuis 2015. Elle concède : "Cela ne règle pas tout le problème, car il y a aussi tout ce qui relève de la manière dont on oriente les élèves, la manière dont on conduit une classe, la manière dont on interroge... Il y a aussi tout ce qui est implicite, et conditionne beaucoup". 
 
Quand on respecte exactement la parité, on se rend compte que les garçons ont, dès le plus jeune âge, l'habitude d'être surreprésentés.
L'implicite... Justement, Clara*, enseignante en charge des CE1-CM2 dans une école élémentaire du XXe arrondissement de Paris, entend lutter contre. "Je vais systématiquement interroger un garçon, puis une fille, puis un garçon, pour être sûre qu'il y ait au moins le même nombre de filles et de garçons qui participent en classe", relate-t-elle. Les réactions ne surprennent guère : "Les garçons vont avoir l'impression qu'on ne les interroge pas assez. Quand on respecte exactement la parité, on se rend compte qu'ils ont, dès le plus jeune âge, l'habitude d'être surreprésentés - analyse l'enseignante- et d'avoir l'impression, erronnée, de vivre une injustice". 

Preuve, pour elle, que le chemin est encore long. Elle continue donc de mettre en place des méthodes d'enseignement pour faire basculer ces réflexes genrés. "L’année dernière, je leur lisais une histoire dans laquelle on ne savait pas si le personnage principal était un garçon ou une fille. C’était l’histoire d’un personnage qui faisait plein de bêtises, qui mentait, qui courait dans l’herbe, qui salissait ses vêtements et qui se faisait gronder par ses parents - se souvient-elle - A la fin, j’ai demandé de donner un prénom à ce personnage. Les trois quarts de la classe lui ont donné un prénom masculin. Pour eux, ce n’est pas possible qu’une fille fasse des bêtises, crie, se fasse gronder, salisse ses vêtements. C’est assez représentatif du problème qu’il y a".
 
Il faut que les enseignants aient non seulement envie mais soient capables et convaincus de le faire.
Marie Duru-Bellat, sociologue
L'enjeu de l'égalité entre les filles et les garçons va-t-il dépendre de la conviction intime des enseignants ? En partie, oui. Selon Marie Duru-Bellat, sociologue et spécialiste de l'éducation, inscrire cet enjeu dans les programmes scolaires n'est pas suffisant. Car c'est plutôt dans la vie quotidienne que se manifestent les frictions entre filles et garçons : "On pourrait parler pendant les heures de classe sur ce qui se passe à la cour de récréation ou à la piscine, quand les filles subissent des remarques sur leur physique", réfléchit-elle. Discuter, oui, "mais avec qui ?". "Il faut que les enseignants aient non seulement envie mais soient capables de le faire, et convaincus de le faire", estime la sociologue. 

Quid de la formation des enseignants ? "Cette année, j'ai organisé deux journées de séminaire sur la question de la lutte contre le sexisme et de la lutte contre les LGBT-phobies en présence de directeurs d'académies, et de cadres", remarque Judith Klein. "C'est ensuite eux qui vont former le corps enseignant". Le hic : la formation n'est pas obligatoire. Et ceux qui s'inscrivent sont généralement déjà sensibilisés à la question. Depuis la loi sur l'école de la confiance du ministre Jean-Michel Blanquer, il y a maintenant une obligation de formation, y compris pour les enseignants du second degré. "Mais ce sont des choses qui sont en train d'être réfléchies, c'est tout nouveau", explique Judith Klein. 

La formation égalité filles-garçons, une option ? 

Selon Clara*, qui a effectué des stages d'observation dans plusieurs écoles avant d'être à son tour enseignante,"on n'est pas du tout au point...". Elle raconte son expérience en formation initiale : "Nous, dans la formation en tant que jeunes enseignants, on peut prendre en option l'enseignement de l'égalité filles-garçons. Mais ce n'est pas un enseignement obligatoire". Selon elle, le constat reste le même pour la formation continue : il n'y en a pas beaucoup. "Si on n'a pas de formation, on ne sait pas comment faire, par où passer, donc c'est un peu compliqué", regrette-t-elle.
 
C’est intéressant car on observe que même les filles reproduisent un grand nombre de stéréotypes.
Virginie Sassoon, responsable Labo du CLEMI
En attendant, l'action éducative, en complément de l'enseignement, y est pour beaucoup. Des dispositifs existent, comme le CLEMI, le centre pour l'éducation aux médias et à l'information. Chaque année, un concours "Zéro cliché" est organisé. L'objectif ? "Par la production d’articles, de vidéos, d’émissions radios, on fait en sorte d'engager les élèves dans une réflexion collective pour qu’ils arrivent à déconstruire les stéréotypes sexistes", explique Virginie Sassoon, en charge du pôle Labo-formation du CLEMI. Selon elle, la génération actuelle est plus sensibilisée à ces questions là et forment une force motrice pour briser les clichés.  

Stéréotypes : de la cour de récré jusqu'en classe

Certaines productions d'élèves sont particulièrement éclairantes, comme ce court métrage d'un élève qui a marqué l'esprit de Virginie Sassoon : "Le scénario, c’était un garçon qui était en train de pleurer dans une salle commune de lecture, et qui se faisait attaquer car il était en train de pleurer. On le traitait de mauviette. Et on le suit jusque dans la cour de récréation, jusque dans  sa prise de conscience de l’inégalité de l’assignation de genre entre les filles et les garçons. C’est intéressant car on observe que même les filles reproduisent un grand nombre de stéréotypes". L'une des fillettes du film lui demandait d'arrêter de pleurer "comme une fille". Selon elle, il y a véritablement un changement qui s'opère avant et après ce concours. En produisant ensemble, les élèves sont obligés de confronter leurs points de vue, se remettre en cause et discuter de ces questions. 
 Mais encore une fois, ces initiatives reposent sur la volonté des enseignants et la visibilité du dispositif. 

Aujourd'hui, la plupart des acteurs sont d'accord, dans le fond, sur l'importance de construire l'égalité entre filles et garçons à l'école. Mais tou.te.s sont unanimes : malgré les dispositifs mis en place, les inégalités ne disparaîtront pas en un coup de baguette magique. Car comme l'exprime Marie Duru-Bellat, "les phénomènes contre lesquels on entend lutter n'existent pas qu'à l'école : ils existent dans la société". Ils sont profondément inscrits dans les mentalités, même à l'insu de toute bonne volonté.

* Le prénom a été modifié.