Fil d'Ariane
Dans un coin de page griffonné, le décompte des femmes représentées en photo dans l’édition du jour. Et ce constat sans appel: 17 hommes pour 5 femmes. Le jeudi 23 novembre 2017 sur Twitter, Le Temps a reçu le coup de griffe d’une lectrice accompagné de ce hashtag aux allures de sentence: #invisibilisation. Quelles sont les représentations véhiculées à travers l’iconographie? Le genre devrait-il être un critère de sélection au même titre que l’émotion ou l’esthétisme? Le Temps fait son autocritique.
#iconographie @letemps 17 figures masculines, 5 figures féminines #invisibilisation pic.twitter.com/y3Bepryt7a
— Mov Movmov (@MauveMov) 23 novembre 2017
Tu veux lire un journal non discriminant visuellement ? #iconographie @letemps : 12 figures masculines, 13 figures féminines ♡♡♡ pic.twitter.com/wpMEHQEqIr
— Mov Movmov (@MauveMov) 30 octobre 2017
Moins il y a de femmes en illustration, moins elles sont légitimées. L'image à un pouvoir, celui de légitimer une grammaire visuelle.
Mauve Serra, lectrice du Temps
Mauve Serra est une lectrice régulière du Temps. Au téléphone, la Genevoise de 37 ans explique sa démarche: «Le Temps est un journal sérieux et de qualité, avance-t-elle. A l’instar d’autres médias, il reproduit pourtant des biais de discrimination, en invitant toujours plus d’hommes que de femmes dans ses pages.»
En quoi est-ce problématique? «Un journal possède un double rôle, estime-t-elle. En tant que reflet de la société, il a non seulement valeur de témoignage, mais aussi de représentation. On légitime ce qui existe. Et quand on ne le fait pas, cela "invisibilise". En l’occurrence, moins il y a de femmes en illustration, moins elles sont légitimées.»
«L’image a un pouvoir, insiste Mauve Serra. Celui de façonner une grammaire visuelle.» Et tous les détails comptent : la situation dans laquelle la femme est représentée, la légende de la photographie ou encore les détails mentionnés, nom ou prénom. Le fil du journal donne également des informations. «En page culture, on a tendance à montrer la «femme déco». Comme si, après une double page économie remplie de quinquagénaires en costume cravate, on avait besoin de se changer les idées. Je note également qu’en fin de semaine les femmes reviennent.»
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes photographiées dans Le Temps? «Nous sommes conscients qu'il y a régulièrement plus d'hommes que de femmes dans nos pages, avance d’emblée la responsable iconographie, Catherine Rüttimann. Nous essayons d'équilibrer là où nous pouvons.» Mais elle reconnaît que l’édition du 24 novembre 2017 était particulièrement masculine: «Il y avait ce jour-là un cumul de facteurs. Une actualité incontournable avec la chute du président Mugabe, la condamnation de Mladic ou encore le retour du premier ministre Hariri. Il fallait ajouter à cela des hommes en rubrique culturelle et en dernière page, deux espaces où les femmes sont généralement prédominantes. Relevons toutefois qu’il y en a trois en page une.»
A ses yeux, le problème tient également dans le choix des sujets: «On peut difficilement mettre des images de femmes quand les articles parlent d’hommes. Dans les cas où il y a le choix, on tente de les privilégier, mais sans tomber dans l’excès inverse. La qualité de l’image prime.»
Le Temps n’a pas attendu le tweet d’une lectrice pour s’interroger sur la représentation qu’il donne des femmes. Le 6 mars 2017, dans le cadre d’une édition entièrement dédiée aux femmes, une journaliste s’était intéressée à leur empreinte dans les pages «opinion et débat» du journal depuis sa création. Résultat: 27% de tribunes féminines en 2016. Un chiffre en nette progression par rapport à 2007 (20%) ou encore 1998 (8%). Toujours dans le cadre de cet événement, Le Temps avait également compilé les coordonnées d’expertes en Suisse dans un annuaire en ligne.
Article original à retrouver sur le site du Temps : > Les femmes, si invisibles dans «Le Temps» ?
A retrouver dans Terriennes :
> 8 mars 2017 : trop peu de femmes dans ses pages "débats", le journal suisse le Temps faisait déjà le bilan