Mais voici qu'elle déserte ce terrain de combats, atteinte par une vague de violence sans reflux depuis ce 14 février 2018, jour où l'hebdomadaire français L'Obs, consacrant sa Une aux mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, avec un angle où l'on sent pointer le "backlash" (effet boomerang), met en titre d'un entretien avec elle, une phrase qu'elle aurait ainsi énoncée : "Un homme sur deux ou trois est un agresseur". Affirmation qu'elle n'avait en réalité jamais édictée. Voici ce qu'elle avait dit : "si une femme sur deux est victime, combien d'agresseurs nous entourent ? Est-ce un homme sur deux ? Un homme sur trois ? Je n'en sais rien. Je sais juste que c'est beaucoup."
La pensée, celle des femmes, victime de la course au clic
Dans le texte qu'elle publie le 26 février 2018 sur son blog (hébergé par le site Mediapart), voici ce qu'elle en dit : "Le journaliste a décidé, sans me faire relire ou valider mes propos, de titrer "Un homme sur deux ou trois est agresseur", déclenchant ainsi une vague de haine et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Était-ce volontaire ou pas ? Je n'en sais rien. Au fond de moi, je ne peux m'empêcher de penser qu'un journal qui choisit de titrer ces propos le fait délibérément. Pour faire le buzz. "Aussitôt la moulinette virtuelle entrait dans la danse. Avec un flux non stop d'insultes, physiques, en mots, en dessins, en tweets, et bien peu de personnes pour la défendre, pour s'interroger, pour débattre... Dont voici un petit florilège (en ne réproduisant que ce qui nous a semblé le moins violent) :
"Un homme sur deux ou trois est un agresseur"
— Cαlcنle✞♰e (@LaMutine) 26 février 2018
Caroline De Haas, elle voit des nains partout ! ^^ pic.twitter.com/hpti2o6Q04
On a le droit de ne pas être d'accord avec #CarolinedeHaas
— Olivier Biffaud (@bif_o) 26 février 2018
On a le droit de ne pas partager les formes de son combat
On a le droit de lui répondre pour la contrer, je l'ai fait
On n'a pas le droit de l'insulter en boucle
Elle quitte Twitter, c'est dommage https://t.co/DgnYXpXMhw pic.twitter.com/cDJVuzHKYW
Le compte de @carolineDeHaas est désactivé.
— zeyesnidzeno (@zeyesnidzeno) 24 février 2018
Elle est devenue la cible permanente d'une catégorie qui ne s'intéresse au féministe que quand il s'agit de dégommer une de ses militantes radicales.
Viols et agressions sexuelles étaient monnaie courante à l'UNEF dont Caroline de Haas fut secrétaire générale de 2006 à 2009 sans jamais s'en émouvoir. Il y avait pourtant toute une porcherie à balancer.
— Eric Naulleau (@EricNaulleau) 21 février 2018
De nouveaux témoignages attestent l'existence d'une culture du viol, de l'agression sexuelle et du droit de cuissage au sein de l'Unef entre 2007 et 2015. Caroline de Haas, qui en fut secrétaire générale de 2006 à 2009, réagit pour la première fois en images à ces révélations. pic.twitter.com/ifTv2Yd12B
— Eric Naulleau (@EricNaulleau) 23 février 2018
Un féminisme français éclaté
Et pourtant, d'habitude promptes, et à juste titre, à voler au secours de femmes politiques ou de militantes laminées sur les réseaux sociaux, bien des voix restent silencieuses... Y aurait-il une géométrie variable selon l'échiquier politique où vous vous situez, selon le féminisme que vous défendez, s'interrogent quelques unes ?Très bien, je soutiens @auroreberge ... Cependant j'aurais aimé voir un soutien comparable à Caroline de Haas qui s'est fait gravement cyber harcelée... La sororité se fait avec TOUTES les femmes https://t.co/nA94cfzhOm
— Karine Plassard (@KarinePlassard) 25 février 2018
Aurore bergé à moitié à poil sur le plateau qui se plaint de harcèlement ? Ça c est un problème psy pas un pb de harcèlement #slt
— nounours (@nounours) 24 février 2018
Je suis en désaccord politique avec @auroreberge mais les attaques sur sa tenue sont d'un sexisme affligeant. https://t.co/bphZ4yhSOb
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) 24 février 2018
Sinon je remercie tous ceux qui ont eu un avis sur la réforme de l'audiovisuel, le service public, l'éducation à l'information.
— Aurore Bergé (@auroreberge) 24 février 2018
Non je plaisante, le vrai débat en 2018 sur Twitter c'est la longueur de ma robe. @lesterriens#SLT #sexismeordinaire
Trop couverte, trop découverte, un même acharnement
Mais rien n'y fait, les femmes médiatiques, politiques, artistes, actrices, etc, ne sont jamais habillées comme il le faut. Si Aurore Bergé était venue trop sexy sur un plateau de télévison pour les internautes, trois semaines auparavant, la jeune chanteuse à la voix divine Mennel était apparue trop couverte, sur un autre... pour un turban qui la coiffait. L'interprête de L'Hallelujah de Léonard Cohen, avec un final en arabe, faisait pourtant l'unanimité des jurés de "The Voice".
Mais les internautes veillaient : non seulement le foulard (léger, presque ajusté à la manière de Simone de Beauvoir) était inadmissible mais en plus, en fouillant sur son passé, on retrouvait les inepties (réelles) qu'elle avait proférées sur les réseaux sociaux après l'attentat de Nice. D'autres avant elle, vedettes du show bizz et du cinéma français, avaient exprimé des théories très complotistes après les attentats du 11 septembre sans que personne ne s'émueve et cherche à les bannir de l'industrie du divertissement. Mais ils/elles n'étaient pas coupables de venir de Syrie ou de porter un foulard... Mennel s'est excusée pour ce qu'elle avait écrit. Las, le racisme a fondu sur Mennel comme un tigre sur sa proie.
Elles passent à la télé comme symbole de la "diversité" et puis...
— ((( sandrella ))) (@sandrella) 7 février 2018
- le même discours
- la même victimisation
- les mêmes supporters
- le même, toujours EXACTEMENT le même réseau : #lallab, #ccif, #alkanz, #uoif
Sous tous ces voiles y a-t-il une seule tête ?#CloneTroopers pic.twitter.com/jrl6vtQt8i
La jeune femme a cependant trouvé de nombreuses voix pour la défendre, dont la plus expressive, celle de Christiane Taubira.
Dans ces batailles personne n'est épargnée, d'aucun bord. Ainsi, en février toujours, alors que l'on reparlait de Tariq Ramadan et des plaintes pour viol à son encontre au moment où la justice mettait le médiatique théologien en garde à vue, puis en détention préventive, Henda Ayari l'une des deux plaignantes affichait le genre de message nauséabond qu'elle reçoit à longueur de tweets. Dont de très nombreux de la part d'autres femmes.
Quelques exemples des messages que je reçois chaque jour depuis le dépôt de ma plainte mais surtout depuis l'incarcération de mon agresseur. Je comprends mieux pourquoi certaines victimes préfèrent rester anonymes. Mais il faut tenir et je tiendrai ! Merci à tous mes soutiens ! pic.twitter.com/r65VEG1nFn
— Henda Ayari (@Henda_Ayari) 11 février 2018
Racisme et antiféminisme à tous les étages
Et dire que même Marine Le Pen, présidente du Front national, est entrée dans la bataille volant au secours de Jeanne d'Arc (ça ce n'est pas une surprise, le parti d'extrême droite s'étant approprié la guerrière héroïne nationale), oui mais de Jeanne métissée, ou plutôt son interprète pour les prochaines fêtes johanniques d'Orléans, où chaque année une interprète de la "pucelle" défile à cheval dans la ville. Un événement vieux de plus de cinq siècles, du 29 avril au 8 mai, depuis 1432 afin de célébrer la délivrance un certain 8 mai 1429 par Jeanne d'Arc et son armée de cette bonne ville d'Orléans assiégée par les Anglais. Pour 2018, le choix s'est porté sur la jeune Mathilde Edey Gamassou, 17 ans, française d’origine béninoise par son père et polonaise par sa mère.Aussitôt, banzaï ! Déferlante raciste où l'on peut lire qu'il s'agit d'une "Réécriture de l'histoire de France", "forçage de l'idéologie multiculturaliste", "propagande pro-métissage", "début d'une tentative de transformer l'Histoire en un récit où ce seront les Arabes et les Noirs qui ont fait l'Histoire de France depuis les débuts", etc, etc... Dont on ne reproduit ici qu'un échantillon, le plus "soft" que nous ayons pu trouver, celui du président d'un parti ouvertement fasciste et raciste...
Dans l'affaire #Jeannedarc Mathilde Edey Gamassou, qui semble être une jeune fille bien sous tout rapport, doit prendre conscience qu'elle n'est qu'un pantin manipulé par les cosmopolites à des fins politiques. Elle doit se retirer d'elle-même!
— YVAN BENEDETTI (@Yvan_Benedetti) 26 février 2018
Tout mon soutien à Mathilde Edey Gamassou. #JeanneDarc n'appartient pas aux identitaires. L'Histoire de France non plus.
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 21 février 2018
Je vois dès demain matin la @DILCRAH : la haine raciste de la fachosphère n'a pas sa place dans la République française. https://t.co/TkHhx74zts
Apparemment je suis aussi responsable du choix de Mathilde Edey Gamassou, la Jeanne d’Arc métisse d’Orleans le complotisme des fachos ne cessera jamais de m’étonner. https://t.co/NyW264G8jx
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) 26 février 2018
Un appel au #viol. Tout simplement. Et il paraît que cette dame est enseignante #cultureduviol #violence pic.twitter.com/50FmCLgOCE
— Sergio Coronado (@SergioCoronado) 19 février 2018
Et c'est l'une des plus fortes stupéfactions au terme de ce retour (incomplet) sur cette virtualité bien trop réelle de ce mois de février 2018 : si les femmes sont les premières victimes des violences et menaces verbales sur les réseaux sociaux, ces tombereaux d'injures sont aussi proférés... par d'autres femmes. Sororité avez-vous dit ?
#yaduboulot et beaucoup, beaucoup
A lire ici > l'intégralité du rapport