Reshma Qureshi, défigurée par une attaque à l'acide, défilera à la Fashion Week de New York

Le 8 septembre 2016, l’Indienne Reshma Qureshi défilera à l’occasion de la Fashion Week de New York. Sa particularité : elle a été défigurée par une attaque à l’acide, une violence de genre encore très présente dans certains pays.
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Reshma Qureshi pendant la campagne End Acid Sale
Reshma Qureshi pendant la campagne End Acid Sale (Arrêtez de vendre de l'acide) dit sur cette affiche : "Trouver la bonne nuance d'un rouge à lèvres est plus difficile que se procurer de l'acide concentré"
Page Facebook de Make Love Not Scars
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En mai 2014, alors qu’elle se rend en salle de classe, Reshma Qureshi est victime d’une attaque à l’acide, dans sa ville natale de Mau Aima, dans le Nord de l’Inde. Son beau frère, accompagné d’autres hommes, asperge son visage de vitriol, la défigurant à vie dans une extrême douleur. Elle a 17 ans.
 
A l’origine de l’agression, une histoire de famille : celle de la sœur de Reshma Qureshi, et de son divorce d’avec un mari violent. Celui ci n’aurait pas supporté que son ex épouse, obtienne la garde de leur fils.


Un crime d’honneur qui laisse une femmes vitriolée, c'est à dire attaquée à l'acide, comme le sont quatre à cinq Indiennes par semaine.
 

Gros plan sur le vitriolage :

L’objectif de cet acte de torture est de défigurer la victime. Sa peau brûle, ce qui entraîne nécrose, mortification tissulaire et cicatrisation très visible. Parfois, les os des victimes se dissolvent et elles perdent un ou deux yeux. Souvent, ces victimes sont des femmes (dans 85% des cas). A chaque fois, la douleur est atroce. 

L’effet de ce crime passionnel est la "privation pour les victimes d’une série de droits fondamentaux : le bien-être social et économique, la participation politique, l’épanouissement personnel et l’estime de soi. Par ailleurs, des troubles de stress post-traumatique, de l’alimentation, du sommeil ainsi que la peur, l’anxiété et la fatigue sont parmi les conséquences effroyables, sur le plan psychologique, de la violence à l’acide" selon le Centre International pour la Paix et les Droits des Hommes.

Je suis une survivante, pas une victime

L’histoire de Reshma Qureshi aurait pu s’arrêter là, mais elle en a décidé autrement.

Après l’agression, moralement, psychologiquement et physiquement traumatisée, elle voulait mourir. « Je détestais toute présence humaine autour de moi. J’ai essayé de me suicider à plusieurs reprises. Je ne supportais pas de me voir dans un miroir » explique t-elle au site l’Hindustantimes

Puis son chemin croise celui de l’ONG Make love Not Scars (Faites l’amour, pas des cicatrices) qui apporte à sa famille un soutien financier. Elle découvre alors qu’elle est loin d’être la seule à avoir subi une attaque à l’acide, et la honte fait place au courage et au militantisme. Elle raconte : «  Je me couvrais sans cesse le visage. Les gens me fixaient. Mais j’ai appris que ceux qui devaient avoir honte étaient les agresseurs, pas moi. Je n’ai plus rien à cacher. Je suis une survivante, pas une victime ».


C’est alors qu’elle se lance dans la campagne #EndAcidSale, pour le strict encadrement de la vente d’acide en Inde. Ce liquide est utilisé dans les batteries des voitures, le raffinage des hydrocarbures ou encore le décapage de métaux et est disponible en grande surface à bas prix.

Dans des tutoriels de maquillage diffusés sur YouTube, elle délivre des conseils beauté avant d’exposer son message : « Vous trouverez du rouge à lèvre très facilement au supermarché,… Comme de l’acide concentré. C’est la raison pour laquelle une fille est victime d’attaque à l’acide tous les jours ». Ou encore :« Vous trouverez de l’eyeliner partout pour 100 roupies. Mais savez vous que vous pouvez obtenir de l’acide concentré pour seulement 30 roupies ? ». Elle invite les internautes à signer la pétition de l’association

Copy of Beauty Tips by Reshma: How to get perfect red lips - Conseils de beauté par Reshma : Comment obtenir de parfaites lèvres rouges

Des vidéos YouTube à la Fashion Week de New York


La campagne fait un carton. Elle est récompensée par un Lion de Verre au Festival de la communication de Cannes. L’agence FTL Moda, une des productrices de la Fashion Week de New York repère Reshma Qureshi et lui propose de défiler. 

Dans la vidéo ci dessous (en anglais), vous pouvez observer sa réaction lorsqu’elle apprend la nouvelle.

Acid Attack Survivor Reshma finds out she will be walking at NYFW - Reshma, survivante d'une attaque à l'acide découvre qu'elle défilera à la Fashion Week de New York


Un rêve pour l’Indienne "fan" de mode qui n’a encore jamais quitté son pays. Et un message d’espoir pour toutes les femmes qui ont été victimes de vitriolage.  
 

FTL Moda, engagé contre les diktats de la mode
 
Cela fait maintenant plusieurs années que FTL Moda convie à la Fashion Week de New York des personnes au physique bien différent des modèles traditionnels. Le collectif de jeunes créateurs italiens a ainsi permis à Madeline Stuart, mannequin trisomique ou encore Marine Rebekah, née sans avant-bras droit de participer à la semaine de défilés. 
Madeline Stuart (à gauche) et Marine Rebekah (à droite)
Madeline Stuart (à gauche) et Marine Rebekah (à droite)
Photos issues de leurs comptes Instagram

♦ La pratique du vitriolage en France, à la fin du 19ème siècle... par des femmes !


L’attaque à l’acide n’est ni un phénomène récent ni une forme de violence spécifique à un continent. Si le vitriolage est aujourd’hui communément considéré comme une violence de genre infligée par des hommes aux femmes, elle était féminine dans la France des années 1880 à 1910.

Crime d’honneur, souvent impuni, volonté de marquer physiquement la victime… Nombreuses sont les similitudes entre l’Inde et la France, malgré les différences d’époque et de sexe responsable.
 
Karine Salomé, chargée de cours à Paris Diderot-Paris 7 et chercheur associé au Centre de recherches en histoire du XIXe siècle, nous apporte un éclairage sur ce sujet.
 
Quel était le profil et le mobile de ces femmes ?
 
Karine Salomé : En général, on a affaire à des femmes qui appartiennent à un milieu ouvrier, domestique et très rarement à la grande bourgeoisie ou à l’aristocratie. 
C’est un acte de vengeance. Elles veulent punir celui qui les a abandonnées alors qu’elles étaient enceintes, en couple ou qu’il y avait eu promesse de mariage par exemple. Il y a une vraie question d’honneur derrière l’acte et l’agresseur désire marquer l’infamie sur le visage de la victime. 
 
Comment expliquer que le vitriolage était essentiellement pratiqué par des femmes ?

K. S. : C’est une agression facile à réaliser : il suffit d’acheter de l’acide sulfurique, en vente libre dans les épiceries, puis de le cacher. L’acte ne nécessite pas de force physique.
 
L’homme qui vitriolait représentait à peu près 10% des agresseurs et était considéré comme anormal  par la justice et la société. La facilité liée à l’agression faisait de lui une personne efféminée, qui manquait de courage. 

Etaient-elles punies pour ces crimes ?
 
K. S. : Dans les faits, elles étaient souvent acquittées ou écopaient de peines de seulement quelques mois. On passe sous silence la préméditation du crime. Pourquoi ? Parce qu’on considère parfois que l’homme le méritait. Et nous sommes dans la période des "acquittements scandaleux" où on punit très peu les crimes passionnels. 

On compte d’ailleurs quelques cas de vitriolage de femmes dirigés contre un maître ou un huissier. Lorsque la passion n’entre pas en jeu, les crimes sont beaucoup plus sévèrement punis.
 
Comment la société perçoit ces agressions féminines ?

K. S. : Au départ, la société s’est inquiétée de cette prise de pouvoir et de la violence des femmes. Pour la première fois, la vengeance a lieu dans l’espace public, dans la rue alors que les conflits de couple se réglaient avant en privé. Puis très rapidement, on ramène ces agressions au caractère passionné des femmes. Comme la littérature de l’époque en témoigne, elles sont considérées comme ayant perdu leurs moyens, et ayant agi sans réfléchir, et pas parce qu’elles sont à bout... Alors que les crimes sont prémédités. 
 
On ne se pose jamais la question de leur condition sociale, de leur insertion, de leurs droits ou du fait qu’elles doivent élever seules leurs enfants en cas d’abandon.

> A relire aussi dans Terriennes : Violence des femmes entre émancipation et défiguration de soi