#RespectezNosRègles : le sang menstruel s'affiche sur Instagram

"Respectez nos règles !" Voilà le mot d’ordre lancé par l’ONG Care France et le collectif féministe “Les Nanas d’Paname”, accompagné d’une campagne photo inédite. Une douzaine d’influenceuses connues pour leur engagement féministe ont posé habillées de blancs, certaines en sous-vêtements, avec une tâche de (faux) sang, bien visible. 

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montage règles
En haut à gauche, Camille Aumont Carnel, créatrice du compte Instagram @Jem'enbatsleclito, et auteure du livre du même nom pose pour la campagne #RespectezNosRègles, et les autres membres du collectif "Les Nanas d'Paname".
©montagephoto/instagram
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Le rouge est mis, le rouge sang surtout. Pour en finir avec le tabou des règles, une douzaine de femmes ont décidé d'afficher haut la couleur rouge du sang menstruel sur Instagram. En publiant des photos d'elles, assorties de leurs témoignages, elles souhaitent alerter les consciences sur les règles et la précarité menstruelle.

Un sujet cher au collectif “Les Nanas d’Paname”, qui travaille sur la question depuis longtemps. “Nous avions déjà collaboré avec Care France par le passé. Mais quand on a vu que c’était leur sujet de prédilection pour l’année 2019, on s’est dit que ça serait l'occasion de faire une campagne visuelle impactante pour combattre le tabou autour de ce sujet de société”, explique Chloé Bonnard, la co-fondatrice du collectif. 

Ces douze femmes, vêtues de blanc posent avec une tâche de sang ou un accessoire rouge pour dédiaboliser le sang menstruel. “On voulait un cadre blanc pour que la tâche de sang ressorte de la manière la plus pure possible. Le but était d'abord d'accrocher le regard, s'arrêter sur l'image et surtout lire le témoignage, qui est aussi fort que l’image, bien sûr”, détaille la jeune militante.

Habituées aux campagnes choc, elles ont voulu contacter des comédiennes, artistes, blogueuses dont elles connaissent l'intérêt pour la question. “Dans tous nos projets, nous partons du principe que nos différences sont une force. Il était donc indéniable d’avoir des profils aux âges différents par exemple. Le casting s’est fait de manière très fluide. Certaines font déjà partie du collectif, et d’autres abordent effectivement déjà le sujet des règles dans leurs projets. Il fallait que chaque femme puisse s’y reconnaître”, explique Chloé Bonnard. 

 

Une campagne pour faire bouger les lignes

je m'en bats le clito
Avec plus de 350 000 abonnés à son compte Instagram @jemenbatsleclito, Camille Aumont Carnel cherche à décomplexer les femmes au sujet de leur sexualité, leurs règles et leurs corps. En juin 2019, elle a sorti un livre Je m'en bats le clito, inspiré de son compte Instagram, aux éditions Kiwi. 

C’était le cas de Camille Aumont Carnel, auteure du livre Je m’en bats le clito ! et instagrammeuse sous le compte du même nom. Cette jeune femme, cheffe de profession a ouvert ce compte instagram pour ne plus avoir honte d’être une femme. Comme elle le dit dans son livre, “une femme rote, pète, chie, a des pertes blanches et c’est naturel. Je m’en bats le clito !, c’est aussi un coup de gueule qui nous pousse à assumer, à ne plus faire semblant et surtout à ne plus nous autocensurer.”

Sa participation à cette campagne était pour la jeune femme une évidence. Elle explique :  “J’avais déjà participé à la campagne l’année dernière. Mais cette année, elles ont voulu faire quelque chose de concret, qui allait vraiment bouger les lignes, en réunissant plusieurs femmes influentes. Chacune d’entre nous a pu s’exprimer comme elle l’entendait que ce soit par les photos ou les témoignages.” Et pour les photos, Camille choisit de poser en sous-vêtements, avec une tâche de faux sang. “Je ne voulais pas avoir des paillettes ou quelque chose qui symbolise . C’était indispensable pour affirmer que le sang des règles n’est pas sale. C’est normal, naturel, ça concerne plus de la moitié de la planète, ça arrive une fois par mois, donc il faut se détendre là-dessus. J’ai posté cette photo comme je l’aurais fait avec n’importe quelle autre. Pour normaliser les règles”, raconte-elle. 

Le message principal pour moi, c’est que le sang menstruel, ce n’est pas sale.
Camille Aumont Carnel, militante et auteure

Normaliser les règles et le sang menstruel pour montrer au grand jour ce qui est d’habitude caché ou passé sous silence. Une manière d’éduquer et de redonner confiance en elles aux jeunes filles qui découvrent leurs règles ? La prévention est au coeur de la démarche de Care et des Nanas d’Paname. “La précarité menstruelle n’est absolument pas abordée en France aujourd’hui. On a encore des jeunes filles qui n’osent pas aller demander des serviettes ou des protections dans leurs écoles. Ça a également un coût assez conséquent qui n’est pas discuté, car on continue de considérer les règles comme un sujet peu important”, confie Chloé Bonnard. Ce discours rappelle le cas tragique de cette collégienne de 14 ans, Jackline Chepngeno, au Kenya, qui étant arrivée en retard à l’école et tâchée à cause de ses règles a été moquée par sa professeure. De honte, et pensant qu’elle était sale, la jeune fille s’était suicidée. “C’est pour éviter que ce genre de drames n’arrive encore qu’il est indispensable pour nous de s’interroger, en tant que société. Notre volonté n'est vraiment pas de choquer, mais de poser les questions sur une note positive”, affirme le collectif Nanas d’Paname. 

Camille Aumont Carnel tient à insister sur cette notion de prétendue saleté, associée au sang des règles : “Le message principal pour moi, c’est de démocratiser le fait que non, le sang menstruel, ce n’est pas sale. La comédienne Noémie Delattre (qui a préfacé l’ouvrage de Camille Aumont Carnel, ndlr) le dit très bien. Quand on saigne du nez, ou d’une blessure quelconque, on n’en fait pas tout un pataquès. Alors que tout le monde se met dans tous ses états pour le sang menstruel. Je voulais qu’on le montre, qu’on arrête de se cacher.”, soutient-elle.

"Respectez nos règles", une campagne lancée par Care France
 

Une femme a ses règles en moyenne 2 555 à 3 000 jours dans sa vie, soit 7 ou 8 ans ! Pourtant, loin d’être acceptées comme quelque chose de naturel, les menstruations sont toujours la cible d’interdits très forts et d’invisibilisation en France comme dans le monde entier. 

"Dans beaucoup de pays en développement, avoir ses règles ressemble plus à un combat pour sa dignité qu'à un cycle naturel. Ce tabou a des conséquences dramatiques pour la vie des filles et femmes : considérées comme impures quand elles ont leurs règles, elles sont exclues socialement voire exilées de leur maison ; leur santé est mise en danger et, à la puberté, beaucoup arrêtent leur scolarité", explique Philippe Lévêque, directeur de CARE France.

En Inde, 40% des filles interrogées ne vont pas à l'école quand elles ont leurs règles.
Au Niger et au Burkina Faso, 35% des filles interrogées et 21% des filles manquent parfois l'école pendant la menstruation.

Montrer le sang menstruel dans sa réalité

La campagne photo met en avant une meilleure représentation des règles, pour une meilleure compréhension et acceptation, en opposition avec le liquide bleu encore montré par les publicités pour serviettes hygiéniques par exemple. “Il faut montrer la réalité des choses. Le sang menstruel est rouge, parfois marronâtre, il a parfois des caillots, et ne sent pas toujours la rose. On veut du vrai. Pourquoi ce besoin d’embellir quelque chose qui est à mon sens déjà beau ? Ce n’est pas parce que c’est du sang et que ça sort du sexe de la femme que c’est sale.”, déplore Camille Aumont Carnel. Elle poursuit : “La société a eu besoin de mettre une cage là dessus et nous on se libère de cette cage et on montre la réalité”. Un besoin de transparence et de libération de la parole que la jeune femme met en avant sur son compte Instagram et dans son livre, que ce soit concernant les règles, ou la sexualité. 

Livre camille
Extrait du livre Je m'en bats le clito de Camille Aumont Carnel.
éditions Kiwi

Pour elle, les règles concernent tout le monde, hommes comme femmes : "Le message de cette campagne est pour les femmes, les jeunes filles et les hommes. On est dans l'urgence. Les règles ne concernent pas que les femmes. C'est de l'intérêt commun. Les hommes doivent aussi faire leur part de travail. De la même manière qu'on se soucie tous des courses et du repassage, on doit tous se soucier des règles et de l'accès aux protections."

Dans l'ensemble, les retours sont positifs pour ces jeunes femmes. "Ça parle aux gens. Ça donne un effet coup de poing, mais les gens s'arrêtent et commencent à lire les témoignages. Ils les comprennent et trouvent que c'est très louable", raconte Chloé Bonnard. Elle déplore néanmoins quelques commentaires agressifs, venant parfois de femmes : "Il faut encore déconstruire pas mal de choses pour casser les codes et idées reçues sur le sujet des règles."
Pour Camille Aumont Carnel, les réactions sur Instagram étaient positives, et elles sont devenues un peu plus agressives sur les autres réseaux sociaux, notamment Twitter.  Elle nous raconte : "On m'a dit que c'était dégueulasse, pas présentable. Mais ce n'est pas le même public. Ça nous a prouvé qu'on avait raison de le faire, pour faire avancer les mentalités. On va continuer à le montrer, encore et encore pour que ça rentre !"